De la même pièce 9/10
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De la même pièce 9/10
Andrea me pose une main sur l'épaule et il me laisse seul dans la pièce. Je le déteste. Je ne sais plus bien comment mais quelques minutes arpès, je suis dans la nuit de Padoue. Je m'en vais dans l'auberge des pauvres, je n'ai pas envie d'aller dans une locande où il faut encore sourire et saluer pour demander une chambre. Je m'assois dans la salle commune, avec les ivrognes, je prends une carafe de vin, je la monte dans ma chambre, je bois, je dors, je bois de nouveau. Le jour après je vais au Jardin Botanique de Padoue, dévenu désormais pour moi le centre du monde , pour le simple fait d'y avoir passé quelques journées avec elle. Je cherche de quoi faire changer d'idée mon ami, afin qu'il me concède la main de sa soeur. Je passe plusieurs fois sous la fenêtre de Foscarina, en esperant de l'entrevoir. Je voudrais lui crier que je l'aime. Mais aucun son ne sort de ma gorge. Je reste en silence devant sa fenêtre, en silence je m'en vais. Rentré à Venise, l'idée de voir Bepi et Gina m'est juste insupportable, ils me connaissent depuis que je suis né, je n'arriverais pas à cacher à leurs yeux ce que je suis en train de vivre. Je demande au batelier de me conduire chez Lucrezia, Quand j'arrive Silvana m'ouvre et me dit qu'il faut que je revienne à un autre moment, car il y a un déjà un client avec elle. Je pousse Silvana d'à côté, je monte les escaliers par deux, j'ouvre la porte et je trouve un nobilhomme que je connais fort bien, qui ne peut pas retenir un cri de surprise et embarras extrême. Je l'attrape par le bras et je lui crie "Casse-toi immédiatement d'ici ou je te tue". Il est blême, il se réhabille à la hâte, et il dévale les éscaliers en melangenat insultes et jurons qui personne n'écoute, même pas Dieu. Quelques minutes après il sort en claquant la porte. On ne l'entends plus. Lucrezia m'observe avec le regard le plus doux que je lui ai jamais vu. Je jette à ses pieds ma besace avec tous les séquins qu'elle contient. Puis sans un seul mot je la pousse dans le lit dejà défait. Je passe toute la nuit à la prendre, je n'arrive pas à m'arrêter, je l'embrasse, je la serre, je crie, je voudrais dispareître dans son corps et ne plus jamais revenir dans le monde des hommes. Puis à l'aube, j'éclate en sanglots. Elle me caresse la tête et elle me demande: "Alors, qui est-elle?", "elle?", "Oui, la fille dont le plus beau et le plus amoureux des hommes de Venise n'a pas obtenu la main", "Comme tu sais que c'est cela?" elle rit doucement "Tu sais, quand vous tombez amoureux, c'est toujours moi qui cueillit vos premières caresses, et je peux te dire, Almoro', que d'amour tu en as plein les doigts". Je me lève et je dis: "Lucrezia, comme peux tu faire cela? comment peux tu accepter de tricher de la sorte avec ton âme?" elle prends un séquin qui se trouve par terre et dit: "cette même pièce qui t'autorise à tricher avec ton corps, m'autorise à tricher avec mon âme". Pendant des années j'avais regardé les yeux de Lucrezia, pour la première fois je la regarde dans les yeux:"épouse moi", elle me sourit "Tu sais que ce n'est pas possible", "Oui, je te dis, épouse moi, puis prennons ta fille Elisabetta avec nous et partons ensemble à Iskandaryia, tout sera nouveau, pour toi et pour elle". "Elisabetta n'a pas besoin de quelques chose de nouveau, elle est heureuse là où elle est, quant à moi, il n'y aura jamais rien de nouveau, ni à Iskandaryia ni ailleurs sur terre, mais merci de me l'avoir demandé Almoro', tu es arrivé à me faire sentir aimée, ne ce serait qu'une fois dans la vie". Puis elle s'était lévée , elle avait pris les séquins qui se trouvaient par terre et jettés un par un par la fenêtre, dans le canal.
Il Consiglio dei dieci, Supernova éd. Venezia 2022. pp. 136-138