La simple présence de Shlomo m'apaise. J'arrive à lui parler avec un calme insperé des meurtres, de l'arme rarissime dont le mystère interpelle toute la ville. Shlomo est très concentré. Il ne me dit rien, mais l'attention avec laquelle m'écoute fait en sorte que ma manière de presenter les évenements, mes propres mots, se clarifient, en clarifiant à mon esprit  les étapes de la recherche. Après une heure, je comprends quel chemin faut emprunter pour continuer à avancer. Je pense que Shlomo arrive à saisir, sans besoin de lui dire, jusqu'à quel point notre rencontre m'a aidé, même si d'une manière différente de celle que je m'attendais en venant au Ghetto. Quand j'ai terminé il se lève, il s'approche des feuilles de la Torah qui se trouvent sur le présentoir en bois, collé au mur. Il allume les bougies du menorah, puis endosse un talled dont la blacheur a l'éclat de la naige au soleil. Il ferme les yeux et commence à chanter. Un chant long et régulier entre gémissement et exstase. Je sais que les juifs ne prient pas devant les goyim, je me rends compte de l'immese privilege de présencier à ce moment. Une fois terminé me dit "C'était le psaume: Le Juste resplends comme Lumière". "Qu'elle merveille, Shlomo. Merci de l'avoir chanté devant moi", "Je ne l'ai pas chanté devant toi, je l'ai chaté pour toi. Je ne connais rien de cette arme, je ne sais rien de ces crimes, mais je connais l'amour que Adonaï, le Seigneur, accorde à tous ceux qui cherchent la Justice avec une telle volonté, une telle force. J'ai prié afin qu'il te soutienne de sa main droite, qu'Il te guide et qu'Il protège tes pas. Tu es un homme bon, Almoro'. Tu es un homme juste. Et les Justes Lui appartiennent de toute eternité".

Le Conseil des dix. Paris, 2012. Inédit

Il Consiglio dei Dieci, Venezia 2022, p. 141-142