Chapitre 31 : Le Retour à la Réalité

Les mois ont passé, et Carl ne les a pas oubliés. Marbella en est certaine. Pourtant, il est resté silencieux, comme s’il leur laissait du répit… un répit stratégique.

Mais la vie continue. Chacun tente, à sa manière, de refermer le chapitre du logis et de reprendre le contrôle sur son existence.

Marbella passe ses journées à écrire. D’abord par habitude. Puis par nécessité.

L’écriture a toujours été une échappatoire pour elle, mais cette fois, c’est différent. Avant, elle écrivait pour manipuler, pour s’approprier les idées des autres. Aujourd’hui, elle écrit pour comprendre. Pour se comprendre.

Chaque matin, elle s’installe devant son écran, un café brûlant à la main. Et elle tape.

Les mots coulent, parfois avec fluidité, parfois dans une douleur insoutenable.

“Elle observait son reflet, cherchant un visage familier, mais ne trouvant qu’une inconnue aux yeux cernés. Tout semblait sous contrôle. Pourtant, au fond d’elle, une part d’elle-même criait à l’aide.”

Elle fronce les sourcils.

D’où vient cette phrase ? Elle ne l’avait pas préméditée.

Elle efface. Puis réécrit.

Mais les mots reviennent, inévitables, comme une confession qu’elle n’a jamais osé faire.

Yoann est son premier lecteur. Ils écrivent ce livre ensemble, un roman à quatre mains inspiré de leur vécu, mais transformé en fiction.

— Tu es sûre que ce n’est qu’une histoire ? lui demande-t-il un soir, en reposant son carnet.

— Pourquoi ?

— Parce qu’on dirait que c’est toi.

Elle détourne les yeux. C’est le danger de l’écriture. Ce qui devait être inventé devient vérité.

Mais elle n’efface plus.

Peu à peu, Marbella apprend à lâcher prise. À ne plus tout contrôler.

Elle est suivie par un psychothérapeute, et même si certaines séances sont éprouvantes, elle sent qu’elle avance.

Mais Yoann, lui, n’a pas trouvé cette paix intérieure.

Dès qu’il croise des policiers, son cœur s’accélère. Il redoute le jour où quelqu’un fera le lien avec Félicia.

— Tu crois qu’on va payer pour ce qu’on a fait ? demande-t-il un soir, allongé à côté d’elle.

— On a déjà payé, répond-elle en serrant sa main.

Depuis le départ de Cyril, Amélisse ressent un vide étrange.

Ils se sont trouvés dans le chaos, et maintenant qu’il est au Japon, elle se surprend à guetter ses messages.

— Salut grande sœur, je viens d’arriver à Tokyo. C’est dingue ici. J’ai trouvé un petit café où je vais écrire.

— Prends soin de toi. Et n’oublie pas : si tu rencontres un problème, appelle-moi.

Elle imagine Cyril, errant dans les rues animées du Japon, cherchant à se reconstruire loin des fantômes du passé.

Lui, qui a toujours cherché à comprendre qui il était, essaie maintenant de s’oublier.

De son côté, Amélisse a pris une décision radicale : elle s’est éloignée de sa mère.

La dernière discussion qu’elles ont eue a été une explosion de rancœur et de vérités enfouies. Amélisse ne peut pas lui pardonner ce qu’elle a fait à Cyril. Elle ne peut pas accepter les mensonges qui ont détruit leur famille.

Alors elle a coupé les ponts.

Mais il y a un secret qu’elle porte encore, un fardeau qu’elle refuse d’affronter.

Marbella.

Elle est la seule à n’avoir pas repris contact avec elle. Non pas par haine, mais parce que la voir lui rappellerait trop ce qu’elles ont caché.

Garder ce secret la ronge, mais elle préfère s’éloigner plutôt que d’être confrontée à la vérité.

L’amour entre Badou et Aminata a été une évidence. Peut-être trop rapide, peut-être trop intense. Mais après tout ce qu’ils ont traversé, ils se raccrochent l’un à l’autre comme deux naufragés sur une même embarcation.

Ils se sont fiancés, et pour eux, il n’y a pas de retour en arrière possible.

— Tu es sûre que ce n’est pas trop précipité ? lui avait demandé Bird, la meilleure amie de Badou.

— Non, avait répondu Aminata sans hésiter.

Elle avait douté d’elle, de son passé, de sa capacité à aimer, mais jamais de Badou.

Et lui, il l’a rassurée, lui a prouvé qu’il était prêt.

Mais pour avancer, ils ont dû faire un choix difficile.

Ils ont confronté leurs parents.

Et ça a été insupportable.

Les révélations sur leurs rôles dans la société secrète ont brisé quelque chose en eux. Ils ne pouvaient plus voir leurs parents de la même manière.

Alors ils ont coupé les ponts.

Certains jours, ils doutent. Certains jours, Aminata se demande si elle a bien fait.

Mais dès que son esprit est assailli par le doute, elle regarde Badou.

Et elle sait.

Carl n’a pas bougé.

Il les a laissés vivre, se reconstruire, croire que tout est derrière eux.

Mais Marbella le sait.

Ce silence, ce n’est pas un oubli.

C’est une stratégie.

Un soir, alors qu’elle relit son manuscrit, elle sent un frisson lui parcourir l’échine.

Elle a l’impression d’être observée.

Elle se retourne. Rien.

Mais elle sait que ce n’est pas fini.

Elle repose son carnet, souffle un coup, et regarde Yoann.

— Tu crois qu’il reviendra ? murmure-t-elle.

Yoann ne répond pas. Il n’a pas besoin de le faire.

Ils savent tous les deux que la réponse est oui.