JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 1er juin
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 1er juin
17 juin
Quand on démonta la dernière cabine téléphonique en service dans la ville, un doigt y fut retrouvé. J’avais lu l’information dans les archives numériques de la gazette locale. Je téléphonai à Guss, du Cercle d’influence locale. Il était légiste et parlait aux gens comme s’ils étaient morts. C’est-à-dire qu’il parlait tout le temps. Il se souvenait. Il allait me raconter comment l’énigme avait été résolu, quand je raccrochai et filai prendre l’air.
Finalement, je préférais n’en rien savoir. Il est rare que la résolution des mystères ne déçoive autant que le souvenir des chutes du Mozambique. De même, en tournant le coin d’une pensée, découvrir l’explication du monde, serait aussi terne et déceptif que la résolution d’un bon polar.
Je m’en expliquai avec les canards qui ne jugèrent pas bon de me répondre. En somme, ils étaient eux-mêmes le mystère du monde, pas besoin qu’on le leur explique. Je me tenais pour réfléchir au sommet des marches qui descendaient à la source. On a parfois besoin d’un socle d’où contempler les perspectives d’une pensée, sans pour autant se statufier ainsi qu’au square l’empereur Auguste saluant on ne sait quoi, sans doute pétrifié à la vue du dieu à venir.
Être un homme qui ne veut pas que sa vie soit écrite (comme on dit : c’était écrit) dans la pierre des épitaphes, est la vouloir une potentialité toujours renouvelée. Il la veut imaginable. Il veut l’écrire lui-même. Or il ne sait pas écrire ou ne sait pas ce qu’il écrit. S’il s’en souciait il n’écrirait plus. On referme le livre dès que se connaît le nom de l’assassin, il est oubliable. Comment refermer la vie d’un être dont on ne résout pas l’énigme ?
Depuis que l’invasion du mal proliférait dans les chaleurs de l’été la ville était une vaste bibliothèque à ciel ouvert.