Servitudes
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Servitudes
Servitudes
Nous savons tous qu’il y a des solidarités de caste – entre officiers de toutes nations, entre compagnons du devoir, entre enfants de la bourgeoisie, entre snipers, entre quincailliers, entre punks à chiens.
L’exogène en ressent une limite intérieure immédiate. Il est confronté à d’autres usages, à des codes énigmatiques, à des sous-entendus flottants, à une mémoire dont il ne sait rien.
Vous ne serez jamais du clan, en quelque sorte de naissance : vous n’étiez pas né pour cette chance d’un état d’excellence, d’une fratrie, d’un don, d’une insoumission. Ce mérite. Cette élection. Ce séjour olympien. Votre sentiment d’exil, que vous méconnaissiez, apparaît douloureusement : un mal être diffus, une dépossession de soi (de l’assurance d’être important, d’être essentiel même, prévalence que vous n’auriez pas crue si fragile). Nous sommes tous des Invisibles pour les murs des propriétés. Nous sommes tous les mendiants des êtres que notre imaginaire anoblit.
S’ils vous accordent une attention, c’est la curiosité polie des grands fauves ennuyés pour les badauds fascinés devant la cage. Si vous tendez la main en signe d’allégeance, ils la croquent distraitement. C’est un honneur.
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Très jeune, j’étais invité dans la propriété d’aristocrates tourangeaux au titre d’ami d’une de leurs filles. Leur sens de l’hédonisme était très compréhensif : elle pouvait bien se prêter à toutes ses fantaisies, elle ne se donnerait pas. J’étais de ces fantaisies. En somme, une façon moderne de droit de cuissage. Ils se moquaient éperdument de ce que je pouvais bien faire dans la vie, il suffisait qu’ils sachent qui j’étais – et je n’étais pas eux. J’étais de toute éternité de leurs fermages. Un bien corvéable à merci pour mademoiselle de…
Ces gens ont beau se suffire à eux-mêmes et être leur propre spectacle, il ne leur déplaît pas d’avoir à leur table le public occasionnel de roturiers intimidés. De tout le repas je n’eus rien à dire, et sans doute était-ce mieux ainsi. Que leur aurais-je appris, qu’ils ne sachent : mon insuffisance native, ma misère amoureuse, mon irrémédiable bégaiement, mon incurable absence de savoir-vivre. Il est de pires exils, je suppose. En fin de repas, sur une vaste terrasse ombragée, lycéen placé entre un évêque en jupons et le président des HLM de Touraine (un bénévolat, je présume), je fus subjugué quand les fils de la famille nous ont servi le café. Ce ballet aérien, viril et pourtant gracieux et si naturel trahissait pourtant une vie financière à présent réduite à peu (ce peu était déjà beaucoup).
Avaient-ils autrefois mystérieusement intériorisé le sens du service chez les nurses, les gouvernantes et les majordomes à présent disparus ? était-ce filiation discrète d’amours morganatiques ? mes aristocrates étaient devenus leur propre domesticité. Et du talent des anciens serviteurs ils avaient la fierté grave, imbue, dévote, des gens de maison qui partagent la vie des dieux, alors qu’ils servaient à leur propre table.
[Auteur de l’image non identifié]
A suivre dans http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com/