Aujourd'hui, elle vient déjeuner ...
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Aujourd'hui, elle vient déjeuner ...
Aujourd’hui, elle vient, encore, déjeuner.
Et la journée me semble déjà s’étirer dans toute sa langueur, alors qu'il fait encore presque nuit.
Je n'ai pas envie qu'elle vienne, je lui ai dit, ça a fait scandale, alors cette fois, j'ai cédé.
Parce que c'est mon cocon ici, parce que je sais d'avance que je vais me sentir envahie par cette présence que l'on m'impose, qu'elle m'impose, sans se soucier vraiment de ce que je ressens.
Parce qu'on n'en parle jamais.
C'est mieux, parce que quand j'essaie, c'est pour m'apercevoir que pour elle, c'est pire forcément.
Pour elle, c'est toujours pire, son père s’est suicidé, ça conditionne tout le reste.
Quand j'essaie de verbaliser les choses, elle se drape de douleur, me réexplique toute son enfance et son adolescence pour justifier ses failles et ses erreurs, pour leur donner un fondement, pour me renvoyer dans les cordes, en proclamant, sans mot dire, "reste à ta place petite, laisse jouer les grands."
Avant, je me fâchais, criais, exigeais que l'on m'entende, qu'on m'écoute, et elle prenait cette voix condescendante et suave, celle qu'elle réserve probablement à ses patients, pour me dire que je me trompe. Que ça ne s'est pas passé comme je le prétends.
Alors, je ne prétends plus. Je ne m'échine plus. Je sais que cette grande conversation, de mère à fille, de femme à femme, n'aura sans doute, jamais lieu.
Il y a plusieurs années, la psy que je voyais m'a dit :
"Pour vivre mieux, Juliette, il vous faut faire le deuil de vos parents, alors qu'ils sont toujours vivants. Vous devez faire le deuil de la relation dont vous rêviez avec eux, pour ne plus attendre des prises de conscience qui ne viendront probablement jamais."
Et j'essaie. Vraiment. Je ne prends que ce qu'ils peuvent me donner. C'est-à-dire des faux-semblants.
Parfois, je dois bien avouer que ça me fait rire, jaune, de voir que même si j'étais le vilain petit canard, jamais assez bien, la vie a fait que je suis celle que l'on appelle quand le ciel tourne à l'orage.
Un jour, il y a peu, mon père m'a dit : "Quand tu étais petite, nous t'avons désinvestie." C'est exactement ça, je crois.
Quand ils ont compris que je n'accepterais pas de me plier à leurs injonctions, ils m'ont désinvestie pour édifier, avec les joyaux ternis de mon piédestal, un trône pour ma brillante petite sœur.
Pendant un temps, ça a bien marché leur histoire de couronne.
Et puis, elle a eu son doctorat.
Le point d'orgue de leurs vies tripartites, probablement.
Un nouveau docteur dans la famille, ça fait bien.
Surtout quand on fait quelque chose de ce joli diplôme tout neuf.
Mais pour ma sœur, c'était plus une fin qu’un début.
Elle est partie à l'autre bout de la France et s’enlise dans une vie de femme au foyer désespérée, désespérante, qui ne la rend pas heureuse mais dont elle ne trouve pas l’énergie pour s’enfuir.
Quand j'essaie de l'appeler pour parler avec elle, elle ne répond pas. Et quand elle me rappelle, c'est pour me percuter, me tenir responsable de ses échecs.
Elle m'a dit il y a environ un an ou deux : "J'ai pris les miettes de ce que tu me laissais. Tu es belle, populaire, marrante avec plein de potes, il me fallait être brillante à l'école, il ne me restait que ça."
Je ne l'avais pas vu venir.
Ça m'a fait de la peine pour elle, parce que j'ai réalisé que même s'il est possible qu'elle se soit construite en opposition à moi, elle n'a pas réussi à s'extirper de ce carcan psychologique qui s'étrique de plus en plus, au fil des années.
Je pense que malgré tout ce que l’on peut vivre pendant l'enfance ou l'adolescence, malgré tous les traumas que nous trimballons, il nous faut trouver la force de briser ces chaînes, de les transmuter en une jolie parure dont nous n'avons pas à rougir.
Parce que sinon, nous les laissons gagner, et nous passons à côté de notre potentiel.
Je suis persuadée qu'elle était appelée à réaliser de grandes choses, mais elle se gâche, se teinte d'amertume, se drape de chagrin, et moi, et bien, je l'agace, probablement parce que je la renvoie en permanence à ce qu'elle n'est pas.
Elle ne vient jamais par ici. Je ne vais jamais à Montpellier.
On ne se voit pas, on ne se parle pas.
Quand nos parents ont un problème, de santé ou judiciaire, c'est évidemment moi que l’on appelle, moi qui gère la boue.
Je sais faire, habituée à gérer la mienne et celle des autres.
Dans ces moments-là, je suis pragmatique, efficace, affûtée.
Je clashe, chirurgicale, je fais le taf et laisse un message auquel elle ne répond jamais, sauf si j'appelle son mari en carton pour mettre un coup de pression.
Alors là, elle daigne quand même décrocher son téléphone et me demande des comptes pour finalement asséner "ah ce n'est que ça ?" suivi immanquablement de "Et pourquoi, moi on ne m'a pas appelée ?"
Voilà, on en est là.
Une enfant qui ne cesse de se comparer à sa grande sœur, alors que nous n'avons pas grand-chose de comparable, à part l'ADN, et encore, autour de ce dernier, il y a beaucoup de zones d'ombre que je n'ose pas encore éclairer à coups de coton-tige envoyés Outre-Atlantique.
Aujourd’hui ma mère vient déjeuner, encore.
Le motif officiel c’est l’anniversaire de mon petit dernier.
Je vais sourire, prendre sur moi, éviter les uppercuts et les jugements silencieux, faire mine de ne pas voir les mimiques condescendantes et mielleuses, prendre des notes sur la façon de ne jamais me comporter avec mes enfants.
On dit que l’on se construit sur le modèle de ses parents, ou sur leur anti-exemple complet. Moi, ça a toujours été l’option 2.
Elle me trouve trop louve, trop protectrice, je ne l'ai jamais trouvée assez.
Elle trouve que j'écoute trop mes enfants, elle n’a jamais su le faire.
Chacune fait ce qu’elle peut, mais quand je vois les relations qu’elle entretient avec ma sœur ou avec moi, je me dis que j’ai certainement raison de faire les choses à ma façon.
Ma mère est psy, je n’ai jamais compris comment.
Ma mère est psy avec les autres, j’espère qu’ils vont bien, parce qu’avec une psy comme elle, je ne sais pas s’ils peuvent vraiment aller mieux.
Aujourd’hui ma mère vient déjeuner, et comme à chaque fois, je repense à toutes les saloperies qu’elle m’a fait au fil du temps.
De ses menaces de plaintes au pénal quand je refusais qu’elle voie ma fille.
De ses invitations en vacances à mon ex-mari, alors qu’il avait perdu ses droits de visite sur Fleur au motif de :
“j'invite qui je veux chez moi.”
De son négationnisme de mes propres souffrances:
“C’était juste une PETITE agression sexuelle, y’a-t-il vraiment besoin d’en faire un fromage?”
De mes lettres à cœur ouvert laissées sans réponse, de ses renvois dans les cordes parce qu’il y a des choses dont elle n'a pas envie de parler.
Aujourd’hui ma mère vient déjeuner pour fêter l’anniversaire de mon petit garçon, qui est si intuitif qu’il ressent qu’elle ne l’aime pas vraiment.
Parce que ma mère n’a jamais eu le cœur assez grand pour aimer plusieurs âmes en même temps.
Je crois que c'est pour ça d’ailleurs que les relations avec ma sœur sont si compliquées, parce que nous nous succédons sans cesse dans le rôle de suppléante de l’amour de nos parents.
Aujourd’hui elle vient déjeuner et j’ai déjà envie d’être à ce soir, pour panser encore l'abysse du vide que sa présence aura réveillé.
Xoxo, Juliette
image réalisée avec Seelab et retravaillée avec Canva
Erwann Avalach hace 2 horas
Autant de maux dans si peu de mots....
(updated)J'imagine qu'une autre publication viendra cette nuit expurger tout ce ressenti.
Jean-Christophe Mojard hace 8 horas
Parents toxiques, coupure salvatrice.
(updated)Perso j'aurais privilégié le restaurant, la zone neutre, mais certainement pas chez moi. Comme ça j'évite le risque de l'injonction et je ne pollue pas mon intérieur.
Juliette Norel hace 5 horas
ne t'inquiète pas... j'ai de la sauge
(updated)mais hâte que ça se termine
Jackie H hace 9 horas
Courage Juliette... ❤️🌹
(updated)Ta mère s'est-elle faite psy dans l'espoir de combler elle-même ses propres fêlures ? ou de trouver un moyen de les rationaliser ?... je me pose la question...
Difficile d'avoir de la place pour les autres quand on est plein de soi-même...
En tout cas je pense que ton psy a raison sur le fond, et pas qu'avec ta mère : il faut faire le deuil du monde tel qu'on voudrait, ou qu'on aurait voulu, qu'il soit, pour pouvoir accepter le monde tel qu'il est vraiment...
Pas facile, je sais...
Courage 🌹
(au moins ton papa semble avoir commencé à faire le chemin pour avoir pu te faire cet aveu...)