Chapitre 14 - Sortir de la cage
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Chapitre 14 - Sortir de la cage
L’improvisation dura plus longtemps que prévu. J’essayais de raisonner mes amis, mais ils ne voulaient rien entendre. Ils me rabâchaient sans cesse le fait que je les avais laissés tomber. Comme si je l’avais souhaité. Je leur ai quasiment sauvé la vie et eux — sans aucune raison apparente — décidèrent de me tenir en cage comme un vulgaire singe. Deux mois que je croupissais dans ma prison. Deux mois que j’ai passés à discuter avec l’éther, qui bizarrement était le seul à me tenir compagnie.
C’était également le seul qui me comprenait réellement. En même temps, lui aussi s’ennuyait à mourir. Donc, après un énième plan raté et une énergie totalement lessivée, je décidai de cesser de me battre. À quoi bon négocier avec des archanges ? Ils sont tous stupides. Toujours à se vanter de leurs pouvoirs et de leurs côtés extraordinaires alors qu’ils ne valent pas mieux qu’un humain qui passerait ses journées devant le foot, une bière à la main.
L’éther essayait pourtant de me faire entendre raison, de me pousser à continuer à me battre, mais je ne pouvais plus. Un sentiment de lassitude s’était emparé de moi et il ne comptait pas me lâcher de sitôt. L’énergie décida en conséquence de prendre la relève et m’envoya au second plan. L’échange qui suivit ne fut pas tendre. Je ne vous dirais pas ce qui s’est dit pour votre bien, mais une chose est sûre, l’éther avait le sens de la répartie. Au bout d’un moment, Mickael se braqua, ouvrit la cage, m’empoigna et me braqua la tête contre les barreaux. Si j’avais encore été un humain, je n’aurais pas survécu à ce choc. Il fut d’une telle violence que Gabriel et Azrael accoururent pour qu’il me lâche.
L’éther souriait comme s’il venait de gagner la manche alors que ça venait seulement de prouver qu’il valait mieux que je reste en cage. À moins que… Il détourna le regard vers le bas et je pus distinguer un objet métallique dans notre main. La clé de la cage… Mais pourquoi diable l’a-t-il prise ? Il sait très bien que ça ne marche pas ; la dernière fois que j’ai testée, on me l’a repris aussitôt.
— Ne t’inquiète pas Jophiel, j’ai un plan.
— Ça, je me doute, mais en quoi consiste-t-il ?
— Tu verras bien…
Il ne prit pas le temps de m’expliquer davantage. Je me retrouvai catapulté dans le lac de la première fois. J’entendais au loin des bruits d’explosions, mais je ne pouvais savoir ce que ça signifiait vraiment. Mes amis criaient, non de douleur, plutôt de surprise. De toute façon, l’éther m’avait promis qu’il ne ferait rien aux archanges. Mais, est-ce que je peux réellement avoir confiance en une source d’énergie diaboliquement puissante ? En attendant, je n’entendais plus rien. Seul le silence accédait à mes oreilles.
Enfin jusqu’à qu’une voix gutturale vienne rompre ce silence. C’est à ce moment que je retrouvai la vue et la possibilité de bouger mon corps à ma guise. Une voix dans le fond de ma pensée me laissa avec cette phrase : « C’est à ton tour maintenant ». Qu’est-ce que mijotait l’éther ? Et surtout, quel était cet endroit ? Je tournais sur moi-même afin d’avoir une vision de cet étrange environnement, brûlant. J’aurais pu enlever tous mes vêtements vu la chaleur de cet endroit si je n’avais pas encore un peu de pudeur.
La voix, de plus en plus forte, semblait s’approcher. Cependant, elle était tellement forte que sa provenance m’était inconnue. Tous les murs présents autour de moi me renvoyaient un écho de celle-ci. Les portes présentes tout autour de moi commencèrent à claquer et, d’un geste de survie, je déployai mes ailes et m’envolai. C’est à ce moment-là que je vis un trône. Je m’approchai et distinguai une personne, en train de boire ce qui paraissait être un whisky.
— Qui es-tu pour oser pénétrer impunément dans mon royaume ?
— Jophiel…
— Jophiel ? Je n’ai pas de frères de ce nom-là…
C’est à cet instant que j’eus un déclic. Comment avais-je pu ne pas comprendre ? On ne pouvait se trouver qu’à un seul endroit bien particulier. La chaleur, les portes, le trône, il ne pouvait s’agir que des enfers. Et la voix gutturale ne pouvait être que celle de Lucifer. C’est également à ce moment précis qu’un frisson parcourut tout mon être. J’étais en présence du maître des enfers. Lui qui, dans les légendes, passait son éternité à torturer les âmes de mes semblables, était devenu tout à fait réel pour moi.
— C’est Dieu qui m’a transformé en archange…
— Ne prononce pas son nom en ma présence !
— Pardon…
— Et comment ça se fait que tu n’aies pas des ailes blanches comme les autres ?
— C’est parce que l’éther est en moi.
— Intéressant.
Une colonne, partant du sol, grimpa jusqu’à moi et un siège apparut, m’obligeant à m’asseoir. Il me demanda de tout lui raconter. Alors j’obéissais, avec appréhension. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’une parole de travers et je finissais dans une de ces portes pour l’éternité. Je sais ce que vous pensez… Je suis un archange moi aussi donc je peux l’affronter. Mais c’est comme si vous vouliez être plus efficace qu’un plombier qui a cinquante ans de métier alors que vous n’avez qu’un an. Lucifer me ferait manger la poussière en un clin d’œil.
Pourtant, à mesure que je déblatérais sur mes dernières aventures et l’arrivée des cavaliers de l’apocalypse, Lucifer se déridait. Il paraissait même sympathique au fur et à mesure de la conversation, faisant quelques blagues au fur et à mesure de mon récit. Il avait l’air vraiment passionné. Une fois ma tirade terminait, il me posa que deux questions.
— Alors le paradis est envahi ? Et personne ne m’a appelé pour le combat ?
— Oui je pense et non même si je ne comprends pas trop pourquoi.
— Moi si, mes frères ne me portent pas tellement dans leurs cœurs depuis que j’ai été envoyé ici. Il n’y a qu’Azrael qui éprouve un peu de compassion.
— Elle est très gentille.
— Bon et comment je peux t’aider ?
— Je ne sais pas… À vrai dire, je ne sais même pas si j’ai envie de les aider… Qui pourrait enfermer son ami dans une cage ?
— Regarde autour de toi, dit-il en écartant les bras. Ça ressemble à une cage, tu ne trouves pas ?
— Si, beaucoup même.
— C’est le propre des archanges, enfermé ceux qui ne le méritent pas. Et si tu restais un peu ? J’ai bien envie d’en apprendre plus sur toi.
— Mais les cavaliers plongent le monde dans le chaos… Il ne faudrait pas aller les combattre ?
— De ce que tu m’as dit, ils n’ont attaqué que le paradis pour l’instant.
— En effet.
— Donc, ils n’en veulent qu’à mon père. On est tranquille, ici, ils ne viendront jamais.
— Après tout… pourquoi pas ! Ils ne vont pas s’inquiéter pour moi là-haut de toute façon. Ils seront même sûrement rassurés que je ne sois plus à côté d’eux.
— Adjugé alors. Asmodée !
Un démon arriva, le regard sévère.
— Oui, mon roi.
— Prépare la suite, nous avons un invité.
— Très bien.
Il se retira. Lucifer me prit par l’épaule et me fit visiter l’enfer. Je dois dire que c’était un endroit charmant même s’il manquait un tantinet de couleurs. Hormis le rouge et le noir, il n’y avait pas trop de fantaisies. Mais cela ne me dérangeait pas. Avec l’éther en moi, j’étais aux couleurs.
Plus ça allait, plus je me sentais chez moi. Et ce sentiment perdura plusieurs mois après mon arrivée en enfer.