Chapitre 9 - Gabriel
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Chapitre 9 - Gabriel
La douche fit un bien fou. Brulante au début, elle m’absorba par la suite si bien que je me perdis dans mes pensées. Je suis en passe de devenir un ange. Ma petite vie insignifiante d’humain n’a plus beaucoup de sens désormais. Et cela me ravit. Mais pas totalement bizarrement. Je me sens quand même perdu.
Après tout, le bon côté à l’humanité, c’était que je ne vivais que pour moi. Je faisais ce que j’avais à faire et puis c’était tout. On ne me demandait rien, ou pas grand-chose, en retour. Tandis que là, c'est différent. Je vais devoir aider à sauver mes semblables. Et dire qu’il y a quelques semaines, j’étais comptable dans une société de menuiseries. La vie a bien changé.
Quelque part, je pourrais voir ça comme une opportunité. Après tout, c’est comme une promotion. Seulement au lieu d’avoir un salaire en plus, je récupère des ailes. Ce n’est pas si mal comme avantage. J’entendis toquer à la porte de la salle de bain.
— Quand tu auras fini de vaquer à tes pensées, tu te dépêcheras, on nous attend, cria Ael pour couvrir le bruit de l’eau.
— J’avais presque oublié, j’arrive.
J’accélérai la cadence et m’habillai rapidement. Dix minutes plus tard, j’étais sorti de la salle de bain, habillé d’un smoking. Ne me demandais pas pourquoi, je l’ai trouvé en arrivant et l’on m’a dit que c’était à moi.
Ael me conduit vers une sorte de salle de réception. Une grande table était au milieu de la pièce sur laquelle étaient agencées de nombreuses victuailles. Les décorations, semblables à s’y méprendre à celles des portes, avaient cependant une touche de rouge qui accentuait la beauté de ce lieu. Azrael, qui nous attendait devant la table, avait opté pour une robe qui lui descendait jusqu’aux pieds. Elle pointa sa montre.
— En retard !
— C’est ma faute, la douche était très accueillante, dis-je.
— Vous les humains… râla-t-elle.
— Un commentaire ?
— Vous êtes insupportables !
— Là, tu n’as pas tort, riais-je.
On s’installa autour de la table et commença à se servir à manger. On me conseilla le poulet farci aux olives, ainsi que des frites maison. Leur repas ne semblait pas si différent des nôtres. D’ailleurs, je croyais avoir lu sur internet qu’ils ne mangeaient pas.
— Comment cela se fait-il que vous mangiez ?
— Je me demandais si tu allais la poser. En effet, nous n’en avons pas besoin pour survivre. Mais père s’est demandé si ce n'était pas mieux que, nous aussi, nous puissions consommer ces mets raffinés.
— Dès lors, nous nous sommes mis à manger encore et encore, enchaîna Ael.
— D’ailleurs, ça se voit chez certains plus que chez d’autres, commenta l’archange de la mort.
— Toujours aussi méchante…
Nous mangions à foison. En une heure, tout avait disparu. L’estomac rempli, et deux ou trois coupes plus tard, une personne fit irruption dans la pièce. À son entrée, je me sentis mal à l’aise. Comme si je ne me sentais plus à ma place.
— Alors comme ça Az, tu fais tes affaires en douce.
— Gabriel, mon frère ! dit-elle en sautant pour l’enlacer. Qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne devais pas être en Amérique pour bénir un couple ?
— Si, si, mais papa m’a demandé de rentrer plus tôt. Il y aurait une affaire urgente à régler. Mais il ne m’en a pas révélé plus.
Gabriel s’installa en face de moi et me fixa. Je ne pus tenir le regard, donc je contemplai mon assiette. Cependant, il avait un regard plus curieux qu’étrange.
— Qui est-ce ?
— Je suis Joseph, enchanté Monsieur, dis-je, dans ma barbe.
— Oh ! Je t’en prie, appelle-moi Gabriel. Mais dis-moi Joseph, qu’est-ce qu’une âme humaine comme toi fait au paradis ?
Je regardai Azrael qui me fit signe que je pouvais.
— Je m’entraîne pour devenir un ange.
— Pardon ! dit-il, en s’étouffant avec la cuisse de poulet qu’il venait de croquer.
Il se tourna vers Azrael et la toisa du regard. Elle aussi baissa les yeux. Alors je ne suis pas le seul, ça me rassure.
— Tu as recommencé ! Qu’est-ce que je t’avais dit ? Plus de transformations humaines !
— Mais il peut nous aider… Et l’on a besoin du plus d’aide possible.
— Et papa, tu lui en as parlé ? Il en pense quoi ?
— Il est d’accord.
— Moi aussi je pense qu’il peut être utile, dit Ael, essayant de se faire remarquer.
— Oh, Ael, toi ici ? En sa présence ? Les choses changent de plus en plus.
— Non, là, c’est différent. Lui, je le supporte que parce qu’il le veut, répondit-elle.
— Intéressant. Bon, ce n’est pas tout ça mais quelle est cette urgence ?
L’archange de la mort lui raconta toute l’histoire. Il gardait ces yeux rivés sur moi. À la fin du récit, il sourit.
— Donc les cavaliers sont de retour et tu penses qu’un simple humain peut nous aider à les combattre.
— Je t’en prie, tu connais leur force, tu sais qu’il nous faut le plus d’anges possible.
— Mais nous en avons suffisamment. Et puis comment veux-tu lui apprendre le combat ? Il nous a fallu des milliers d’années à nous pour le maîtriser.
— J’avoue que, dit comme ça, cela semble impossible mais…
D’un coup, je me levai et mis les mains sur la table. Je toisai Gabriel et pris la parole, sûr de moi. Enfin à moitié, je savais quelque part que j’allais très vite le regretter.
— Je veux prendre part au combat et vous assister ! C’est la première fois que je sens que je peux faire plus que compter des chiffres. J’ai une mission plus grande. Et surtout, je ne souhaite pas aller au purgatoire…
— C’est donc ça… Soit, puisque c’est la volonté de ma sœur, je ne vais pas m’y opposer. Cependant, je ne peux pas la laisser tout gérer toute seule. Quel grand frère ferais-je sinon ! Demain, ce sera moi qui vais t’entraîner. On verra si tu me prends toujours de haut.
— Non mon frère, ne fais pas ça ! pria-t-elle.
— Oh mais si ! Je désire voir en quoi ce jeune homme est si spécial pour que tu décides de le transformer.
Il se leva, prit une pomme qui restait sur la table et s’en alla. Juste avant de quitter la pièce, il se retourna.
— Demain, 9 h à la salle d’entraînement. Et ne soyez pas en retard. Ael compris.
— Bien mon frère…
— Alors à demain, dit-il d’un sourire qui remontait jusqu’aux oreilles.
Ael, qui avait entendu son prénom gloussa. Enfin, c’est ce que me transmit Az lorsqu’elle le vit transpirer à grosse goutte. Je pense qu’il a déjà vécu un entraînement avec Gabriel. Et si, lui, un ange a peur, cela veut dire que moi, un simple humain, je suis fichu. Il va vraiment falloir que j’apprenne à me taire.
Cela faisait dix minutes maintenant que Gabriel était parti et un silence de plomb s’était installé. C’est l’archange qui le brisa en première. Elle se leva.
— Bon, il est tard. Je vais vous accompagner jusqu’à vos chambres. Tâchez de bien dormir. Demain, la journée va être rude.
— J’ai fait une bêtise, c’est ça.
— Non du tout… Tu as juste répondu à l’un des anges les plus puissants de la création. Mais qu’est-ce qui t’est passé par la tête sans déconner ? cria-t-elle.
— Je ne sais pas trop…
— Bon, ce n’est rien. Je ne pense pas qu’il va aller jusqu’à te tuer. Il ne prendrait pas le risque de contrarier papa. De plus, nous n’avons pas le droit de tuer des humains. Tu as de la chance.
— Beaucoup en effet.
Nous partîmes tous les trois de la salle. Des majordomes s’affairaient à tout ranger. On peut dire qu’ils étaient efficaces. Une fois chacun arrivé devant nos chambres, elle nous dit bonne nuit et s’envola. Je rentrai donc dans celle-ci, épuisé, et me couchai sans prendre le temps de me changer.