MSF n'est pas une « petite » ONG ; Elle se partage avec quelques autres ONG (Oxfam, La Croix Rouge, Action Contre la Faim, Save the Children...) et des organismes des Nations-Unies (l'OMS, UNICEF, UNHCR= Haut Comissariat aux Réfugiés, le PAM=Programme Alimentaire Mondial) le gros de l'intervention humanitaire, autour desquelles gravitent par ailleurs de multiples autres ONG, associations,...

Ses actions sont à la hauteur de sa taille et de ses moyens, et quand on entre en son sein, on se rend vite compte qu'on est loin, bien loin de cette poignée de médecins qui dans les années 1970 avaient fondé l'association au retour de la guerre du Biafra au Nigéria.

Je vous ai déjà raconté l'arrivée au siège à Paris, qui constitue un des cinq centres opérationnels que compte désormais l'organisation. Je vous ai raconté ses multiples bureaux, ses sections, ces briefings au cours desquels se dévoile le langage-type ONG à maitriser rapidement (DESK, Admin, Log,...). Je vous ai raconté l'arrivée à la coordination de N'Djamena où l'on retrouve à nouveau de nouveaux noms (CM = Chef de Mission, Coadmin, Comed, Colog.. « Co » signifiant coordinateur) puis à Moissala (CP= Chef de Projet, responsable admin, médecin référent, responsable logistique, et selon les projets des tas d'autres ramifications)

Je vous ai aussi parlé de la taille du projet : une Unité Palu pouvant accueillir jusqu'à 80-100 lits (1800 admissions l'an dernier) , des campagnes de distribution de médicaments de prévention du palu (CPS) correspondant à 170 000 plaquettes distribuées l'an dernier, un appui logistique et opérationnel au district sur la vaccination, la prise en charge et le suivi épidémiologique des méningites au sein de l'hôpital,...

Autant vous dire que derrière, il faut les moyens matériels, financiers et humains pour pouvoir faire tourner tout ça.

La mise en place de l'U.P est en elle-même impressionnante : en amont, tout un travail de préparation, discussion et négociations avec les autorités, évaluation et sensibilisation des partenaires de santé ; puis le recrutement et la formation des équipes soignantes, la préparation des locaux, la révision des protocoles et des outils de travail, l'installation de l'UP. J'ai passé deux jours à préparer la commande avec le pharmacien : il s'agit vraiment de faire (re)démarrer un mini hôpital, avec tous le moyens nécessaires : qu'il s'agisse des lits, des médicaments, du matériel d'examen, du matériel de soin, allant des seringues et des sondes aux extracteurs d'oxygène, de la stérilisation à la chaîne de tri des déchets... Tout doit être pensé et anticipé afin que le projet puisse être mené à bien sans trop de lacunes dommageables, dans des pays où l'on trouve difficilement le matériel manquant, et encore plus rarement avec le niveau de qualité souhaité.

En cela, MSF peut se prévaloir d'une grande expérience et dispose d'une organisation logistique des plus impressionnantes : d'immenses hangars positionnés à Bordeaux alimentent l'ensemble des missions de MSF-France, permettant d'acheminer ici le matériel nécessaire à une mission palu, là un hôpital mobile suite au tremblement de terre au Népal, ici encore un bloc opératoire pour le conflit au Yémen... avec des guides, des kits pré-établis, des commandes de médicaments respectant les normes de fabrication européennes...

Tout cela fait que au plus haut du pic le projet de Moïssala peut recruter jusqu'à 120-130 nationaux, en plus des 10 expat que nous sommes, ce qui fait de MSF est un des plus gros employeurs de la région, dans une zone où nombre d'agents de santé sont sans emploi faute de moyens pour les recruter. Et comme c'est un employeur qui paye, qui paye correctement et en temps et heure, avec des avantages tels une assurance santé par exemple, tout le monde bien sûr veut bosser pour nous.

Les ONG bénéficient ainsi de ce prestige, car elles sont connues pour avoir les moyens. Dans la ville de Moïssala, la moitié du parc automobile doit être détenu par les ONG, ces gros Toyota Landcruiser, l'autre moitié étant détenue par les autorités et l'armée. Tout ceci ne va pas sans susciter nombre de conséquences, positives comme négatives, faisant de MSF un acteur incontournable et respecté dans le district, mais suscitant aussi convoitises et rancoeur selon que l'on arrive à tirer profit de sa présence sur place ou pas. Il y a tout une dynamique locale générée par la présence de MSF ici, qui va bien au delà de son seul rôle médical de prise en charge du paludisme. Il n'est en outre pas évident de faire cohabiter un projet de gratuité des soins, axé sur une pathologie, avec le système sanitaire local, sans grands moyens autre que le prix des consultations, des hospitalisations et de la vente de médicament, confronté à des populations elles aussi sans grand moyen pour pouvoir payer ces soins.

Et c'est ainsi que je découvre chaque jour un peu plus toute la complexité, la dynamique, les bénéfices et les travers de l'implantation de la grosse machine MSF à Moïssala. L'U.P a ouvert ses portes ce samedi ; les cas de palu ont fortement grimpé dans la région et le service de pédiatrie de l'hôpital affichait complet. Le moteur tourne, la machine se met en marche. Et on va rapidement passer les vitesses...