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Ces Enfants

Ces Enfants

Published Jul 31, 2020 Updated Jul 31, 2020 Travel
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Ces Enfants

28 Sept 15

Publié par roadtrip-in-peru.over-blog.com  - Catégories :  #Tchad

 

Ces Enfants

 

Il y a d'abord ceux qui vous disent bonjour à chaque fois qu'on passe. Qui vous crient « Lalé ! Lalé » de loin en agitant la main, ou qui à peine sachant tenir sur leurs deux pattes viennent vous serrer la main le long du chemin.

Il y a ceux qui commencent à parler français à l'école et qui vous demandent à chaque fois « Comment tu t'appelles ? » sans trop bien comprendre autre chose que le prénom dans votre réponse.

Il y a ces nombreux gamins de la parcelle voisine, entre 1 et 5 ans, qui courent à chaque fois vers vous pour venir vous saluer, un à un, vous chanter les petites marionnettes, vous réclamer un bonbon.

Il y a tous ceux qui au passage de la voiture crient « Nasara, Nasara ! » en agitant les bras pour que vous leur fassiez coucou en retour. Il y avait ce groupe d'enfants derrière l'hôpital à côté de la paroisse, avec deux enfants au bec de lièvre, qui guettaient chaque passage de la Fox pour nous interpeller en criant ; mais on ne les voit malheureusement plus trop depuis que 3 d'entre eux ont été foudroyés au mois d'août.

Il y a aussi ceux des villages qui vous regardent fascinés, qui s'approchent pour nous observer, puis qui se mettent à déguerpir dès qu'on fait un pas vers eux, ou pour les plus petits qui se mettent à pleurer.

 

Et puis il y a ceux de l'U.P. Ceux qui arrivent aux admissions, fatigués après plusieurs heures de route, ceux qui sont grognons ou apeurés dès qu'on les examine, ceux prostrés et peu réactifs en hypoglycémie ou après avoir convulsé, les dyspnéiques à cause d'une infection respiratoire ou d'une anémie sévère.

Il y a ceux qui viennent sans qu'on comprenne vraiment le critère de gravité qui a justifié son référencement, et ceux qu'on nous amène précipitamment dans des états sévèrement dégradés. Il y a là souvent la peur de ces étrangers en blouse et des piqures qu'ils vont leur administrer, les bras de maman comme seul refuge et son sein comme objet de consolation par excellence.

Ces Enfants

 

Il y a ceux des Urgences.

Les plus sévères, ceux qui demandent le plus d'attention.

Il y a ceux en détresse respiratoire sous oxygène et ceux dans le coma qui convulsent régulièrement.

Il y a ceux qui restent ici seulement quelques heures et ceux qui vont y passer plusieurs jours.

Il y a ceux qui atterrissent sur la table de réanimation pour être ventilés ou massés et qui souvent n'en repartiront pas. Il y a cette saveur dans la bouche à chaque fois qu'on emballe un petit corps pour le rendre à la maman, assez amère quand on s'y attendait, beaucoup plus âcre quand on ne l'a pas vu arriver.

Il y a eu cette petite G., si mignonne avec ses grands yeux qui vous observaient sans comprendre ce qui lui arrivait, mais qui ne bronchait jamais. Ma petite protégée. Elle a fait un épisode d'asphyxie une nuit, comme un asthme très grave, qu'on a réussi à juguler. Puis quelques convulsions le lendemain. Puis des moments où ça allait mieux. Puis des moments où le cœur battait trop lentement, qu'on a récupéré. Puis à nouveau la détresse respiratoire. Et une nuit elle s'en est allé.

« On propose, Dieu dispose » répètent les infirmiers dans ces cas là pour arriver à faire passer l'amertume et continuer à soigner les autres enfants.

 

Il y a ceux des Soins Intensifs, qui arrivent là soit parce qu'ils ont réussi à se sauver des Urgences, soit parce qu'ils sont jugés suffisamment stables à l'entrée pour sauter cette première étape.

Il y a ceux qu'on va transfuser parce que leur taux d'hémoglobine est vraiment trop bas.

Il y a ceux pour qui on a une notion de convulsions dans la journée mais qui sont assez bien éveillés.

Il y a les malnutris, des fois un peu maigres, des fois vraiment cachectiques, à qui l'on donne du lait enrichi pour qu'ils reprennent rapidement des forces et du poids.

Il y a ceux pour qui les mamans ont dit qu'ils refusaient de manger ou qu'ils vomissaient, et pour qui on commence par un traitement intra-veineux.

Il y a ceux, nombreux, qui ont un paludisme mais surtout une autre maladie, une fièvre qui persiste, une infection du poumon, une otite, une diarrhée, des lésions cutanées, et qu'on traite ici parce qu'ils ont eu « la chance » d'avoir le TDR (test de diagnostic rapide) positif, leur ouvrant l'accès aux soins gratuits et de qualité de l'UP.

Il y a ceux qui restent prostrés plusieurs jours, et ceux qui retrouvent rapidement un état satisfaisant.

Il y a ceux qu'on nourrit par sonde, et ceux qu'on surprend déjà à à peine 6 mois la main dans la gamelle de riz et le beignet à la main.

Il y a ceux qui pleurent dès qu'on les regarde, parce qu'ici malheureusement on leur fait souvent une petite piqure au bout du doigt pour contrôler leur glycémie ou leur taux d'hémoglobine, et ceux peu traumatisés avec qui on parvient à jouer avec le stéthoscope voire à obtenir un sourire.

Il y a ceux qui vous fixent avec leurs grands yeux en se demandant qui vous êtes et ce que vous leur voulez, si vous êtes un gentil ou un méchant.

Il y avait notamment la petite D., malnutrie sévère sous lait thérapeutique exclusivement, qui se mettait à pleurnicher dès qu'elle voyait son voisin en train de manger du riz, parce qu'elle aussi voulait sa part. Le jour où on l'a autorisé à manger du Plumpy Nut, cette pâte d'arachide nutritionnelle utilisé dans la malnutrition, elle nous a enfin fait un sourire de satisfaction et a cessé de pleurnicher.

Ou encore ce petit L. qui, dès l'entrée, chantait en permanence un petit air pour contenir son stress et effacer sa peur, notamment au moment où on le perfusait. « Laaa, la, la, la ! » chantonnait il à longueur de journée, tant et si bien que son refrain me trotte souvent encore dans la tête.

 

Il y a ceux du Post Intensif, qui ont passé les deux premiers niveaux, facilement en un ou deux jours, plus laborieusement en une semaine - quinze jours, et qui attendent leur Visa pour le billet retour maison. Ceux-là sont méconnaissables par rapport à ceux des arrivées ; ils pleurent, ils jouent, ils dorment, ils ont de la bouillie plein le visage et la bouche, et n'attendent qu'une chose, c'est de rentrer.

 

Et il y a à nouveau ceux qu'on recroise le soir en rentrant, qui nous crient « Nasara, Nasara ! » ou « Lalé, Lalé ! » dans la voiture, qui viennent nous serrer la main et nous demander « Comment tu t'appelles ? », qui nous font des grands sourires et qui pouffent de rire dès qu'on leur fait un signe.

Lequel est déjà passé chez nous ? Lequel viendra nous rendre visite dans quelques jours ou quelques semaines ? Lequel connaitra la vie adulte, et lequel ne la connaitra pas ?

Ici, ça grouille d'enfants qui jouent et qui courent partout librement. Et ce sont très certainement tous ces visages d'enfants qui resteront pour moi les souvenirs les plus touchants de ces quelques mois passés ici.

 

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