Fiche de lecture: « Le Bonheur était pour demain » de Philippe Bihouix
On Panodyssey, you can read up to 30 publications per month without being logged in. Enjoy29 articles to discover this month.
To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free!
Log in
Fiche de lecture: « Le Bonheur était pour demain » de Philippe Bihouix
Introduction :
Que faire lorsque la complexité technique et l’obsolescence accélérée nous enserrent de plus en plus ?
Que faire lorsque la question climatique gagne en ampleur dans les débats de société alors que notre empreinte écologique ne baisse pas ?
Oui que faire ?
A l’heure où les débats éthiques se font de plus en plus présents lorsque l’on parle de technologies. Les récits et la complexité technique qui les accompagnent se posent en des moyens absolus dans notre quête du notre bonheur.
L’ingénieur engagé Philippe Bihouix nous propose une « parenthèse philosophique » à la course effrénée aux nouvelles technologies par le contre-récit de la sobriété technique.
En effet les promesses technologiques développées entre le XVIème et XXème siècle ; nous ont lovés dans une sorte « d’apathie fictionnelle » en ne nous laissant que deux alternatives.
Alternatives que sont « le solutionnisme technologique » et la « décroissance ».
Un avenir à la médiane des deux n’a jamais été réellement proposé et considéré dans le débat public.
Un avenir où il serait possible de un juste équilibre entre ambition et modestie.
Comment me direz-vous ?
Par la sobriété d’usage
Les 9 promenades de Philippe Bihouix nous apportent du recul à notre dépendance à l’espoir suscité par les technologies et son coût énergétique.
D’une part, l’ingénieur nous met en garde contre l’illusion d’une vie sans coût énergétique (I) et d’autre part, il préconise de bâtir un modèle plus sobre et éthique (II).
Présentement la question climatique voit sa résolution dans une myriade de solutions et de ressources nouvelles
I) L’échappée vers des ressources nouvelles : la négation de l’éphémère
a) Le désir d’une nouvelle utopie technique
Repousser les limites.
Voilà un horizon agréable où la contraction des ressources physiques et naturelles n’existe pas. Les substituts ou les ressources déjà disponibles devront simplement être mieux gérées. Pendant ce temps, il faut s’affairer à trouver des ressources nouvelles .
Trouver de nouvelles ressources n’est plus une éventualité mais des impératifs et une implémentation beaucoup plus complexes :
- · Des réseaux basées sur l’hydrogène rendant accessibles l’énergie solaire
- · Des nouvelles batteries rechargeables et ultra-rapides
- · Une massification de dispositifs pour exploiter les énergies marines
- · Des mini-centrales sous-marines
- · Des villes intelligentes /Villes forêts
- · Des îles artificielles
- · Des nano-robots
Qu’est-ce donc ? De belles promesses ou la marque hubris ?
Pourrait-on trouver un juste équilibre entre ambition et modestie ?
Dans ce récit, la nature est une source à profusion qu’il convient de transformer et réparer les dégâts au moyen de multiples compensations.
b) L’espoir de sauts technologiques
Les désirs humains et de l’expression de la puissance se côtoient dans le récit du progrès technique. Les prémices de la société hyperindustrielle étaient là lorsque Francis Bacon décelait déjà la tentation de l’homme à se prendre pour le maitre de la nature.
Avec la multiplication des ressources découvertes au fil du XVIIIème jusqu’au XXème siècle on entre dans une ère des utopies de moyens : Rendre le monde plus parfait par l’utilisation de la machine.
« On quitte les utopies à vues humanistes de Platon ou More pour entrer dans l’ère des utopies de moyens qui rêvaient d’utiliser la machine pour rendre le monde plus parfait » (P.Bihouix)
Cette entrée dans l’utopie des moyens a été accrue par les récits de science-fiction où les théories prônant des accommodements entre nature et la technique progressent.
Le culte de la technique et ses imaginaires s’étendent dans les consciences.
Extension dans les consciences qui s’illustre par :
L’écomodernisme : Philosophie qui veut maximiser sur les effets des nouvelles technologies pour régler la question environnementale.
La tendance ”accélérationniste” avec son manifeste: Une critique du capitalisme voulant mettre la technologie au centre des enjeux sociaux et de la lutte pour l’émancipation théorisée par Alex Williams
La tendance néo-schumpétérienne ou une vision considérant que la dynamique de l’innovation se fait au gré des processus économiques complexes qui induit une injonction à innover pour éviter les éventuels risques de pénuries causés par une forte démographie.
Espérance alors d’une innovation exponentielle qui génère l’idée d’une accélération technologique continue en trompe-l’œil.
Elle produit un décalage et distend toute la complexité du processus de transformation de l’énergie.
Espérance fugace d’une énergie à profusion car les lois de la physique ne font exception.
Les avancées technologiques ne sont en réalité qu’un ensemble d’avancées techniques.
L’ensemble des récits autour d’un progrès au service de la nature sont donc légitimés, tout en oubliant le lien systémique entre ressources et énergie qui fonde notre civilisation thermo-industrielle.
Un développement exponentiel des technologies n’est pas possible car le monde et ses constructions reposent sur des matériaux.
« Il n’y a pas de loi Moore dans le monde physique de l’énergie »
« A l’échelle mondiale et les bilans des bilans fait flux de matières, de produits intermédiaires et de produits finis, notre économie n’a jamais été aussi matérielle »
Si nous continuons à produire et extraire de l’énergie cette allure, il faudra des ressources de toute nature et en grande quantité.
Nous sommes pris dans cette ruée vers l’innovation tout en feignant la volonté de réduire l’épuisement la vitesse des ressources qui nous sont accessibles.
Nous sommes en plus enfermés dans la complexité technique et notre économie mondialisée entrave la mise œuvre et l’agilité de tous pour adopter des mesures allant dans le sens de la sobriété.
Les changements à opérer sont très lourds et sont coûteux économiquement et politiquement.
La volumétrie de nos activités peut expliquer cette dépendance à la complexité.
« La taille et ou la densité génèrent obligatoirement de la complexité technique et organisationnelle, elles nécessitent des structures de pilotage et de décision appropriées »
La difficulté à maintenir de grands systèmes techniques
Le lien étroit entre complexité technique et notre économie mondialisée aboutit à créer des usines à gaz et des mesurettes trop peu efficaces face à l’ampleur des enjeux environnementaux.
La poursuite de la croissance à tout prix et ses multiples accommodements sapent la confiance des citoyens les plus engagés sur la question du réchauffement climatique et paralysent les autres.
Face à l’urgence du réchauffement climatique et son approche systémique qui met du temps à advenir beaucoup pensent qu’il faudrait mieux opérer une révolution par le bas en attendant.
Simplement les efforts et les initiatives seraient décuplés avec une action publique coordonnée.
Simplement Philippe Bihouix propose une batterie de solutions qui pourraient être mises en place en redonnant toute sa place aux humanités sans proscrire les avancées technologiques mais en les sélectionnant avec le plus grand soin en fonction de nos usages.
II) Un modèle alternatif en reconnexion avec nos émotions
L’intelligence sensible et responsable doit être remise en avant plutôt que de tout déléguer à la machine.
Le culte de la technique doit s’effriter pour permettre l’émergence de cette nouvelle fiction qui convoque un nouveau modèle éducatif.
a) Un modèle plus sobre & éthique
La revalorisation du rôle l’ingénieur et de la recherche scientifique pourraient faire valoir leurs positions contre des projets techniques néfastes pour la planète
L’émulation est la force qui permettrait de mettre en valeur les bons exemples et les bonnes pratiques
Des méthodes d’enseignements renouvelées via tous les supports disponibles
Réhabiliter les Humanités avec un soutien financier massif pour favoriser des emplois locaux ou des loisirs au choix de chacun et non des produits importés de l’autre bout du monde pour être compétitif mondialement
Le temps et la pratique continue d’une activité dans le champ des Humanités redynamiseraient nos imaginaires
Les ponts entre les générations seraient construits plus facilement
Repenser l’espace public en fonction des Humanités et optimiser l’utilisation des bâtiments publics le week-end
La démocratisation des Humanités permettrait peut-être des remparts à un hédonisme débordant ou s’accommoder au consumérisme, de briser une certaine routine.
Nous pourrions tous nous engager pour le bien commun avec enthousiasme
b) Un appel à la tempérance dans nos imaginaires technologiques
L’exploration d’alternatives et de champs nouveaux sont donc nécessaires malgré les tendances actuelles.
Il nous faudra prendre à bras le corps les problématiques liés au big data, des smart cities et de leur consommation d’énergie conjugué à l’amenuisement des matières premières.
Il faut se concentrer sur le ce que l’on peut changer dès à présent et tempérer notre faculté de projection dans le futur.
Construire une société sobre au présent peut se faire par plusieurs étapes énumérées par l’ingénieur :
- · Passer par le réglementaire pour engendrer le changement de modèles d’affaires.
- · Repenser notre rapport à l’espace public en optimisant l’usage des surfaces existantes
- Se déplacer plus lentement
- · Plutôt que la gratuité préconisée à gauche de l’échiquier politique, une forte progressivité des tarifs
- · Instaurer un tarif progressif à la consommation pourrait s’étendre au numérique aux trajets aériens ou aux transports
- · Plutôt que la logique de gouvernance des biens communs reposant sur l’arbitrage, des sanctions peuvent se faire au sein de communautés
- · Plutôt que généraliser le revenu universel censé compenser le développement de nouvelles activités numériques et automatisées, une assurance-chômage étendue lui serait préférée.
- · Plutôt que de laisser le marché et la finance verte s’autoréguler on pourrait passer par une obligation réglementaire
- · Plutôt qu’une fiscalité environnementale fondée sur les taxes sur les carburants une fiscalité sur la consommation des ressources compre serait préférable
- · Plutôt que de faire porter la protection sociale sur la productivité du travail des salariés, on pourrait la faire porter par une fiscalité environnementale qui développerait « une économie sobre en ressources, moins polluante et plus riche en travail ».
Il en découlerait 1 système construit de l’emploi humain et des effets environnementaux se centrant sur :
- · Les modes de production
- · Les choix d’organisations
- · Le sens des investissements
- · L’élaboration de maintes éco-contributions avec des aménagements pour les plus précaires
- · Possibilités d’accords préférentiels pour l’usage de ressources non renouvelables sur des secteurs choisis (médecine)
- · Généralisation des initiatives zéro déchets dans l’administration, les écoles et entreprises publique
- · Généralisation des lieux de réparation citoyenne avec la possibilité pour les réparateurs d’être rémunérés avec le soutien de l’Etat
- · Réorientation des subventions publiques vers l’économie locale et du travail humain situés dans les territoires
Toutes ses mesures vise regagner une grande part d’autonomie et de réconcilier les citoyens avec leurs institutions tout en étant disruptif.
Toujours dans ce souci de retrouver une France innovante et autonome, sachant se démarquer dans la compétition internationale, Philippe Bihouix trace les contours d’une « low-tech Nation ».
Il la décrit comme telle :
“Une France décidant de son avenir commun…. une France sachant s’habiller , s’équiper et s’outiller sans réduire en esclavage des populations entières à l’autre bout de la planète”.
Philippe Bihouix nous propose une utopie des moyens réalistes à notre portée avec un peu d’inventivité et surtout de pratiques
Une perspective plus réaliste que beaucoup de scénarios de science-fiction qui sont adeptes de l’utopie des moyens gouvernés par nos désirs et nos peurs.
Ex : La solution trouvée par l’astrophysicien Dan Hooper pour résoudre nos problèmes énergétiques toujours plus importants au gré des avancées technologiques et de notre imagination.
“Une seule galaxie ne sera pas du tout suffisante pour répondre aux besoins énergétiques d’une civilisation de haute technologie…”
Une perspective qui tranche avec les scénarios limites fantasques proposés par les fanatiques de la technique en se lançant à l’assaut d’exo planètes inaccessibles.
Une perspective qui tranche alors qu’il suffirait juste de « maintenir notre monde dans un état plus vivable ».
Il nous faut cependant être en alerte face aux défis présents et futurs qui se rapprochent de nous à grand pas.
Le maintien vers un état plus vivable de la planète se pose de plus en plus avec la pandémie actuelle et le chemin qu’indique Monsieur Bihouix, vers la sobriété technique semble se matérialiser sous des aspects et des initiatives concrètes.
On peut citer la note de l’Institut Paris Région du 25 Mars 2021 ou encore le récent succès de la campagne participative d’un film sur les low-tech .
Toutes ces initiatives nous montrent bien que l’intelligence sensible et responsable peut être remise en avant.
Que la sobriété d’usage n’est pas un mirage.
Que nous avons de bonnes raisons d’espérer.