Chapitre 1
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Chapitre 1
L’hiver intérieur
Je n’ai jamais cru à ces histoires de "nouveaux départs". Vous savez, celles où, après une rupture, on se réinvente comme une déesse de la résilience et on transforme notre vie en conte de fées moderne. Non, dans la vraie vie, quand on perd l’amour et tout un pan de soi-même, on se retrouve bien souvent là où j’en suis : à trente ans, de retour chez ses parents, avec une garde-robe pliée dans des cartons et une estime de soi en miette.
Greenwich Village me manque terriblement. Ce quartier était un morceau de mon âme, avec ses cafés bondés, ses librairies cachées, ses artistes de rue et son chaos savamment organisé. Là-bas, je pouvais presque croire que je faisais partie de quelque chose de plus grand, quelque chose de magique. Maintenant, j’habite à Sunnyside, Queens, chez mes parents, dans une maison qui sent la soupe au chou et les souvenirs d’une enfance que j’ai passé ma vie à dépasser.
Ne vous méprenez pas : mes parents sont adorables. Ma mère cuisine des scones comme personne, et mon père, avec son accent irlandais qui roule les R comme un moteur diesel, sait toujours trouver les mots pour me faire sourire. Mais retourner vivre ici après avoir passé des années à voler de mes propres ailes… c’est un peu comme remettre des chaussures trop petites. Inconfortable et étouffant.
Et puis, il y a ce travail. Libraire chez Barnes & Noble, Union Square. La place parfaite pour une amoureuse des livres, me direz-vous ? Pas tout à fait. Certes, je pourrais passer des heures à déambuler entre les rayons, humer l’odeur du papier neuf et toucher les couvertures avec la même tendresse qu’on réserve à un premier baiser. Mais travailler pour une grosse enseigne, c’est une autre histoire. Tout est formaté, calibré, prévisible. Et puis, il y a cette promotion qui flotte dans l’air comme une carotte au bout d’une canne. Un salaire alléchant, la promesse d’une autonomie retrouvée. Mais à quel prix ?
générée par Microsoft Bing
Quand j’étais encore à Manhattan, je rêvais de petites librairies indépendantes. Celles où les livres ont une âme et où les conversations avec les clients s’étirent comme des dimanches paresseux. Mais aujourd’hui, mes rêves sont en hibernation, enterrés sous le poids des responsabilités et d’une réalité financière implacable.
La vérité, c’est que je me sens vide. Depuis la mort de ma grand-mère et ma rupture avec Adam, il ne reste plus grand-chose de moi. Elle est partie sans prévenir, emportant avec elle ses histoires, ses secrets et cette étincelle qui me faisait croire que tout était possible. Adam, lui, a pris ses affaires et mon cœur, me laissant avec une pile de souvenirs trop lourds à porter.
Il y a des jours où je me demande si je n’ai pas oublié comment rêver. Vous savez, la fameuse sensation des papillons dans le ventre? Et ben, dans mon ventre à moi, il y a plus de chance de trouver des “papillotes” en chocolat, surtout en cette période de doute. Je me lève, je prends le métro, je vends des livres, je rentre, je dors. Et je recommence. La vie s’écoule comme un hiver interminable. Un hiver intérieur, où tout semble figé, silencieux, glacé.
Alors voilà où j’en suis : coincée entre une promotion que je ne désire pas vraiment et une liberté qui semble hors d’atteinte. Entre des souvenirs douloureux et une absence totale de plan pour l’avenir. Je reste piégée dans les filets de mon passé, comme une libellule emprisonnée dans une toile, battant des ailes en vain contre des souvenirs qui refusent de lâcher prise.