Partie 2 : La remise en question - Chap. 11 : La fragilité des chaînes de valeur - Sct. IV : Relocalisation
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Partie 2 : La remise en question - Chap. 11 : La fragilité des chaînes de valeur - Sct. IV : Relocalisation
Après avoir eu le vent en poupe pendant une bonne trentaine d'années malgré une grogne persistante au sein des populations, la mondialisation et la délocalisation commencent donc à subir une perte de vitesse jusque chez leurs partisans suite à des événements récents tels que la pandémie de COVID-19 ou la guerre d'Ukraine.
Les écologistes commencent à se sentir moins seuls, eux qui trouvent depuis longtemps absurde (parce qu'énergivore et très polluant) de faire venir des denrées alimentaires par avion des antipodes au lieu d'en produire sur place en local - surtout s'il s'agit de ressources alimentaires qui ne sont pas fondamentalement différentes de ce que l'on pourrait produire en local. Tout en assurant un revenu décent aux agriculteurs et aux éleveurs de là-bas comme d'ici.
Les éleveurs européens les rejoignent pour se plaindre des allers-retours excessifs, prohibitifs et polluants causés par une gestion de l'élevage et de l'agro-alimentaire pensée uniquement en termes d'économies d'échelle - avec pour résultat que l'élevage se fait à un endroit, le contrôle sanitaire des animaux à un autre, l'abattage à un troisième, le contrôle sanitaire de la viande à un quatrième, le découpage à un cinquième et le conditionnement en barquettes à un sixième, j'exagère peut-être mais à peine - alors que tout pourrait se faire sur place à un seul endroit, certes à plus petite échelle mais en local et proche du consommateur final (une partie de l'opposition à l'Union Européenne vient de là, dans la mesure où l'UE a justement encouragé très fortement ces économies d'échelle en y voyant une rationalisation théorique qui ne correspond pas du tout à la réalité pratique du terrain - ou en tout cas dans la mesure où elle est perçue comme ayant fortement encouragé cette rationalisation qui n'en est pas une (car l'argent que l'on pensait gagner par les économies d'échelle est reperdu et gaspillé dans la logistique)).
Les tiers-mondistes et les nationalistes des pays pauvres sont contents de trouver enfin des alliés qui pensent aussi, comme eux-mêmes le font depuis des décennies, qu'il est illogique de baser toute l'économie agricole des pays pauvres sur les besoins des pays riches (en alimentation humaine certes mais aussi animale et maintenant aussi en biocarburants) et de consacrer des kilomètres carrés de terres cultivables à des cultures exclusivement destinées à l'exportation alors qu'elles pourraient être consacrées à nourrir des populations autochtones entières qui souffrent de la famine et qu'ONGs comme individus isolés (entre autres dans ces pays dits "riches") doivent soutenir de leur générosité (et le font avec de plus en plus mauvaise grâce) alors qu'en réalité, toutes les ressources potentielles sont là, mais qu'elles sont utilisées en dépit du bon sens au nom d'intérêts qu'il serait sans doute sain de remettre en question - et que toute aide que l'on peut apporter à ces populations en détresse est certes essentielle dans l'urgence, mais qu'elle n'a en réalité pas beaucoup plus d'efficacité qu'un sparadrap sur une prothèse.
Les écologistes, sur ce point, rebondissent en disant qu'il est tout aussi absurde de remplacer des cultures traditionnelles qui, elles, au moins, étaient adaptées aux climats et aux sols, par des cultures qui non seulement y sont étrangères - ce qui pourrait être un enrichissement en soi si au moins on respectait certaines règles - mais qui surtout n'y sont pas adaptées, donc épuisent les ressources disponibles (notamment l'eau) et perturbent des écosystèmes entiers. Par exemple, pourquoi cultiver des légumes gourmands en eau dans des pays qui déjà au départ souffrent de la sécheresse ? Même avec des technologies d'irrigation, de dessalement de l'eau de mer et autres, cela reste une absurdité. Et ne parlons pas de l'abattage de forêts entières pour cultiver des palmiers pour leur huile (décriée pour son effet sur la santé cardiaque), du colza pour le bioéthanol, ou pour exploiter des mines d'or.
Les nationalistes des pays traditionnellement riches emboîtent volontiers le pas à tout ce petit (et grand) monde en disant que pour lutter efficacement contre le chômage, il est temps de reconstituer dans leurs pays un tissu industriel et productif que l'on y a bien laissé s'effilocher (sous prétexte qu'il revenait trop cher à entretenir), plutôt que d'exploiter la misère endémique de pays en développement en profitant du niveau rase-mottes de leur niveau de vie et de leur couverture sociale au niveau zéro alors même que dans les pays de vieille industrialisation, des millions de gens en âge de travailler désespèrent de trouver un emploi et en sont réduits à vivre... des aides sociales, et qu'on leur retire ainsi toute dignité. Pendant que si leurs populations galèrent juste en dessous du niveau de pauvreté, les dirigeants des pays en développement, eux, se frottent les mains en se vantant de leurs économies prospères grâce à l'avantage comparatif de leur main-d'œuvre bon marché qui ne demande qu'à travailler (et pour cause). Les nationalistes des pays de vieille industrialisation ajoutent en la matière que si ces pays en développement y gagnent en transfert de technologie et surtout de savoir-faire, ces mêmes savoir-faire, pendant ce temps-là, se perdent dans les pays autrefois développés à force de désertification économique, ce qui pousse ces mêmes nationalistes à appeler les gens d'affaires délocaliseurs des "traîtres à la nation" parce qu'ils jettent l'avantage comparatif de leur pays d'origine en pâture à ce qui sont en fait des concurrents en bonne et due forme, pas des pauvres malheureux que l'on aide par charité (et les partisans du progrès social répondent à cet argument qu'il ne s'agit ni de concurrents en bonne et due forme, ni de pauvres malheureux que l'on aide par charité, mais d'une main-d'œuvre quasi gratuite, taillable, corvéable et exploitable à merci, ce qui est encore pire : en fait, on fabrique des chômeurs et des assistés sociaux ici et des pauvres exploités jusqu'à la corde là-bas... et qui y gagne ? Devinez. En attendant, à ce stade, la mondialisation apparaît plus comme une machine à générer des pauvres et de la pauvreté un peu partout que la chance pour le monde et l'enrichissement qu'elle devrait normalement être).
Finalement, des tiers-mondistes de gauche aux nationalistes de droite en passant par les révolutionnaires et les écologistes (qui sont objectivement alliés à la gauche mais que tout un passéisme et tout un conservatisme inhérents à leurs positions identifient plutôt comme étant à droite), beaucoup de monde à travers tout le spectre politique semble bien tomber d'accord à ce sujet sur un seul mot d'ordre : "Relocalisons !" "Relocalisons la production - et beaucoup d'autres choses aussi par la même occasion".
Crédit image : © Alison Toscano