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Le Kyklos, épisode 04

Le Kyklos, épisode 04

Published Oct 3, 2024 Updated Oct 17, 2024 Horror
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Le Kyklos, épisode 04

La quiétude s’était lentement réapproprié les lieux, grignotant les heures tardives avec une voracité insatiable. Les derniers lampadaires, telles des sentinelles fatiguées, n’offraient plus le moindre réconfort et leur lumière vacillante s’éteignait peu à peu, au rythme des programmateurs de Port Leucate, laissant place à une obscurité oppressante. Seul le murmure entêtant des vagues, semblable à un chant funèbre, apportait une ombre de réalité à cette nuit troublante. Sur l’esplanade, quelques rayons de Lune, timides et hésitants, osaient s’aventurer comme des âmes perdues cherchant désespérément un refuge. Ils enveloppaient d’une lumière astrale les trois adolescents qui attendaient, immobiles et silencieux, devant la bouche béante du Kyklos. Cette ouverture délabrée, semblable à une gorge béante prête à les engloutir, s’ouvrait sur les entrailles du complexe. La frontière était mince, mais palpable, entre l’air encore chaud poussé par la mer, et le souffle glacé qui remontait des profondeurs du bâtiment abandonné.
— Vous savez, tenta timidement Laurent, on peut encore se dire qu’on a vécu une hallucination collective et on va se finir ailleurs, n’importe où, mais ailleurs.
— Ou alors on entre, contredit Anaïs, on affronte nos peurs, et on en rigole tout l’hiver.
— Aussi, soupira Laurent.
Antoine ne disait rien. Il restait pétrifié, son regard rivé sur la trace macabre que son corps avait imprimé contre le mur. Son visage, figé en un masque de cire, dissimulait le tumulte qui grondait en lui. Une rage incandescente couvait sous sa peau, sa joue brûlant d’une fureur volcanique. Dans un geste lourd de sens, Anaïs se plaça entre les deux hommes. Le temps sembla se suspendre, lorsqu’elle glissa sa main dans celle d’Antoine. Il la serra aussitôt, comme un naufragé s’accrochant à une bouée. Pour Anaïs, son cœur manqua un battement, pour Antoine, ce contact fut l’étincelle qui embrasa sa détermination. D’un pas résolu, il franchit le seuil de cette pièce maudite qui l’avait marquée de son empreinte glaciale et brûlante. Les deux autres le suivirent, comme attirés par une force invisible. La pièce les engloutit telle une bête affamée gobant ses proies.

Une chape de plomb s’abattit sur les trois adolescents tandis que leurs épaules s’affaissèrent sous le poids invisible d’une terreur grandissante. La lumière blafarde de la Lune semblait reculer, repoussée par la corruption qui imprégnait ce lieu dévasté. À terre, des détritus usés par la morsure du temps gisaient tels des cadavres pourrissants sous un linceul de poussière. Leurs empreintes de pas, derniers témoins de leur fuite, étaient encore là, griffures anachroniques sur un sol fissuré. Ils restèrent un moment plantés dans cette entrée figée. Les secondes ou les minutes n’avaient plus d’existence et se mêlaient les unes aux autres, exemptes de toute mesure convenue. Seules leurs respirations saccadées servaient de métronome aux rythmes erratiques de leurs cœurs affolés. Lorsque la lumière de la Lune renonça, les ténèbres s’épaissirent. Alors, dans les contours de leur adaptation à l’obscurité, Antoine aperçut la porte de fond de ce qui avait dû être la boutique de souvenirs. Le point de passage obligé pour sortir de tout complexe de loisir. Celui qui tente de vous attraper par le portefeuille une dernière fois.
— C’est là-bas, murmura Antoine en rompant le silence étouffant qui commençait à trop peser. La porte au fond.
— Elle donne sur quoi ? se risqua Laurent, la voix déjà chevrotante. 
— Une réserve, mais après ça sonne sur un couloir de service et on peut rentrer dans le Kyklos en contournant les accès barrés, expliqua Antoine.
— T’es allé jusqu’où ? interrogea Anaïs d’un ton accusateur.
— Pas très loin dans le couloir. J’ai vu la lumière d’une torche et j’ai juste eu le temps de revenir ici avant d’entendre la porte du fond s’ouvrir.
— S’ouvrir ? Tu veux dire qu’il y a un gardien là-dedans ? s’inquiéta Laurent, partagé entre soulagement et effroi.
— Je ne sais pas, admit Laurent. Je me suis renseigné sans en avoir l’air, mais personne n’a su me répondre. Pour les gens c’est juste condamné. 
— Des caméras de surveillance peut-être ? suggéra Anaïs. 
— Non, ce sont des leurres et les panneaux sont juste dissuasifs. Les caméras visibles sont factices en fait.
— Alors on y va, lança Anaïs en prenant les devants. Qu’est-ce qu’on risque ? De se faire surprendre ? Au pire, on jouera les imbéciles. On flattera le type en lui posant plein de questions sur le Kyklos. Pas celui des cartes postales, mais celui qu’il connaît, lui. On lui posera plein de questions et on lui promettra de plus revenir.
— J’aime bien cette idée, approuva Laurent. Et c’est déjà moins flippant de se dire que quelqu’un vit ici la nuit et qu’il est toujours là quoi !
Antoine préféra ne rien ajouter. Il n’était pas vraiment certain de cette lumière, de cette lampe torche. Il n’était pas certain qu’un gardien vive ici de jour ou de nuit. Ce qu’il savait en revanche, c’est que le Kyklos ne rongeait pas son os cette nuit. Il le sentait. Il sentait bien la main d’Anaïs qui l’entraînait vers la porte derrière le comptoir, mais il avait aussi cette impression que quelqu’un d’autre lui tenait la main gauche. Laurent emboîta le pas derrière son ami, mais se refusa à demander pourquoi Antoine marchait un bras tendu par la main d’Anaïs et l’autre tendu tel un zombie de série B avançant vers sa proie. 

Le bas de la porte racla le sol en un grondement sourd tout en suivant les sillons laissés par d’autres ouvertures passées. Anaïs passa la tête, puis s’aventura la première dans la réserve lugubre, en entraînant Antoine. Laurent se précipita à leur suite, fuyant la boutique dont la dernière peluche vivante avait l’aspect d’un rat et grattait encore son esprit. Il revoyait le gros rongeur qui s’était accaparé les restes de sa chocolatine. Une décharge glacée le foudroya en un éclair et il jeta un dernier regard en arrière afin de voir s’il restait un bout de la viennoiserie. La panique l’envahit aussitôt. Une voix insidieuse lui susurrait qu’il l’avait manqué dans les ténèbres. Une autre, plus sournoise, plus perfide, plus machiavélique, lui souffla que tout avait disparu, dévoré par un rat monstrueux bien réel. Le même rat était là, tout comme ce qui avait propulsé Antoine contre le mur, ce qui l’avait griffé en laissant sur son visage la marque indélébile, la fissure entre deux mondes qui désormais n’en faisait qu’un. Ils avaient franchi un seuil interdit, traversés le Rubicon, mais tous les chemins ne mènent pas à Rome. Et certains passages ne devraient jamais être foulés par les mortels, ils n’étaient pas faits pour eux. La porte se referma en faisant s’ébranler les murs. La violence du souffle souleva jusqu’aux longs cheveux d’Anaïs. La bourrasque qui les frôla était chargée de cette humidité rance que seules les choses anciennes exhalent. Tous les trois s’étaient alors retournés dans un seul et même mouvement. Tous les trois regardaient la porte close, les yeux écarquillés d’une horreur indicible qui témoignaient d’une seule et même question : comment se pouvait-il que ce fracas aussi violent, accompagné de ce souffle méphitique pestilentiel, n’eût produit aucun bruit ?
Instinctivement, Laurent s’était blotti contre Antoine qui chercha un refuge contre Anaïs. Mais elle poussa un hurlement si soudain et si strident que Laurent se jeta contre la porte qu’ils venaient d’emprunter, tentant vainement de l’ouvrir. Antoine bascula contre une étagère, renversant des ours en peluche en maillot de bain, à moitié décomposés. Anaïs s’était retournée vers la porte du fond et reculait frénétiquement en repoussant un ennemi invisible devant elle. 
— Putain Anaïs tu fais quoi ? s’écria Antoine, paniqué.
— On m’a touché ! hurlait Anaïs terrorisée, on m’a touché !
— Mais c’était moi ! protesta Antoine. On a eu peur quand la porte s’est fermée. On s’est collé tous les trois.
— Oui, murmura Anaïs en reprenant difficilement ses esprits. Oui, en file indienne, Laurent, toi et moi. Sauf que je n’étais pas la dernière. Quelque chose s’est appuyé contre moi.
Laurent cessa de tirer sur la porte, glacé d’effroi. L’écho des derniers mots d’Anaïs résonnait dans sa tête comme une sentence de mort imminente. Il s’agrippait à la poignée de la porte pour ne pas perdre pied.
— Anaïs, chuchota Antoine d’une voix tremblante. Regarde au fond du couloir.
Lentement, Anaïs releva la tête, son cœur battant à tout rompre dans sa poitrine glacée. Un froid sépulcral envahissait  la pièce, tel un étau de glace qui les comprimait inexorablement, broyant leur os et gelant leur sang. Son regard, empreint de terreur, se porta au fond du couloir, serpentant entre les rayonnages de peluches aux yeux vitreux et les serviettes de plage qui pendaient tels des linceuls. Au fur et à mesure que ses yeux s’aventuraient  en direction de la porte du fond, le couloir, lui, semblait s’étirer, se déformer, comme aspiré par une force malveillante. Distinguait-elle la même chose qu’Antoine, ou son esprit lui infligeait-il le supplice d’une vision propre à ses phobies le plus intimes ? Au fond du couloir, à travers les volutes blanches de son souffle haletant, la porte n’était plus tout à fait fermée ni tout à fait ouverte. Elle flottait, spectrale, entre deux plans de réalité qui n’auraient jamais dû coïncider. Et dans l’encadrement de cette ouverture contre nature, une silhouette se dessinait. Des traits fantomatiques, déchirés, semblables aux lambeaux d’un linceul antédiluvien esquissaient la vision cauchemardesque d’une présence que l’existence même vomissait. Cette entité ni vivante ni morte semblait être l’incarnation de l’horreur primordiale, un vestige abominable d’un temps où les lois de la réalité n’étaient pas encore gravées dans le marbre. Anaïs sentit son esprit vaciller, au bord du précipice de la folie. Puis, dans le silence éteint de ce tombeau fermé, ils entendirent tous un son qui déchira le reste de leur intégrité psychique. C’était un son plaintif, décharné, celui d’un enfant qui pleure, paralysé par la peur. Des pleurs désespérés, déversés en sanglots incontrôlables. Derniers remparts futiles face à l’inévitable.

 

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