Oaxalt
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Oaxalt
Chapitre 1 du Livre des Péchés : La Paresse
« N’est pas mort ce qui à jamais dort, et en d’étranges éternités la mort même peut mourir. »
Passage issu du Necronomicon
31 mars 2314
La journée d'aujourd'hui n'a pas été riche d'enseignements sur ce qui fut jadis connu comme la ville de Nantes. J'ai procédé à quelques prélèvements minéraux et végétaux sur la terre ferme, puis j'ai plongé dans cet immense lac qui semble avoir tout englouti. Si de la berge rien ne transparaît des profondeurs, une fois à l'intérieur, tout s'éclaircit. L'eau est tiède et limpide, apaisante, on y évolue facilement, sans effort. Je n'y ai croisé aucune forme de vie animale, seulement les vestiges d'un autre temps : des carcasses de voitures, les fondations de maisons, ou encore des routes goudronnées d'apparence encore intacte. Ces éléments n'apportent rien de plus à notre connaissance. Néanmoins, je ne suis pas remonté les mains vides. Sur le chemin du retour à la surface, j'ai remarqué une petite statuette coincée entre deux rochers et emmêlée dans les algues. Je suis parvenu à l'en dépêtrer avec difficulté, mais le jeu en valait la chandelle : elle est fascinante et ne ressemble en rien aux œuvres recensées dans nos bases de données (je m'en suis assuré auprès de mon robot Ebok, qui m'accompagne dans le cadre de cette mission d'archéologie sur la planète Terre). Elle mesure une hauteur de quatre-vingt centimètres exactement et pèse précisément deux kilos. Elle fut probablement sculptée dans le granit, et, malgré son aspect ancien – d'après Ebok, elle daterait de l'Antiquité – elle est remarquablement bien conservée, n'ayant pas subi l'érosion du temps. Lisse au toucher, les contours de la sculpture toujours aussi précis, cette statuette représente un jeune homme au visage poupin et aux cheveux courts, probablement en train de dormir, comme en attestent ses yeux fermés. Il semble être vêtu d'une longue et simple toge, ses pieds sont dénudés et ses bras sont placés le long de son corps. Ma première impression fut que cette statuette représentait un jeune homme en train de dormir, mais, après l'avoir bien observée, je me demande en fait si elle ne symbolise pas le rite funéraire d'une civilisation passée ayant peuplé la Terre.
La question reste ouverte.
Ebok a parfaitement réussi à organiser notre campement pour cette mission. Nous sommes installés dans un petit bosquet, où nous avons déplacé notre capsule spatiale. Pendant que j'étais parti en observation, Ebok s'est assuré de sécuriser ce qui sera notre lieu de vie ainsi que d'établir nos circuits de communication avec la maison-mère. Tout est parfaitement calme ici. La journée a été longue, et, si ce n'est la découverte de la statuette, peu enrichissante.
Je viens de donner mes instructions à Ebok pour la nuit et je vais à présent aller me coucher, en espérant ramener de mes explorations de demain de meilleures nouvelles.
1 avril 2314
Aujourd'hui, je suis encore rentré bredouille de mon exploration du lac. Toujours rien. Je referai une dernière plongée demain afin de m'assurer de ne pas être passé à côté de quelque chose, mais, si ce n'est pas le cas, je commencerai à m'aventurer dans le bosquet dans lequel la capsule est installée. Peut-être constituera-t-il un terreau plus fertile pour mes recherches ?
Je me suis senti souffrant toute la journée, sans doute les contrecoups de mon récent atterrissage. J'ai demandé à Ebok de me réaliser un bilan médical complet, mais il n'a rien indiqué de grave, tout est dans les normes. La fatigue ressentie est probablement passagère. Il est vrai que je ne me ménage pas à la tâche.
Bref, une journée à oublier.
En rentrant dans la capsule, j'ai néanmoins remarqué un détail intriguant. La statuette se trouvait confortablement installée dans mon lit, sous les couvertures. Je n'ai aucun souvenir de l'y avoir laissée. Je suis persuadé de l'avoir placée hier dans un carton à proximité de la table de nuit portative.
Lorsque j'ai interrogé Ebok à ce sujet, il s'est montré incapable de me fournir des éléments concrets et satisfaisants : les caméras qu'il a installées la veille dans la capsule ont connu un problème et n'ont pas fonctionné correctement.
Étrange.
Enfin, comme je le disais, je suis tellement éprouvé que mes souvenirs restent évasifs. Après tout, j'ai peut-être mis moi-même « Le Dormeur Du Lac » dans le lit ce matin après m'être levé. Je viens de le replacer dans le carton après l'avoir longuement contemplé. Je suis à présent convaincu que la statuette ne représente pas un jeune homme décédé, préparé et vêtu pour un quelconque rite mortuaire. Non, autant son visage me semblait poupin hier, autant, aujourd'hui, je lui trouve les traits plus tirés, l'air grave. Ses yeux, eux, sont toujours fermés. Non, vraiment, j'en suis sûr, c'est bien « Le Dormeur du Lac », non pas « Le Défunt du Lac ».
Quoi qu'il en soit, je vais à présent aller me coucher, une bonne nuit de sommeil me fera le plus grand bien.
2 avril 2314
Encore une journée pour rien, je commence sérieusement à m'agacer.
Elle avait déjà bien mal commencé, puisque Ebok ne m'a pas réveillé à l'heure convenue ce matin. Ce robot commence à m'inquiéter, il s'est déconnecté de lui-même durant la nuit et n'a, par conséquent, pas poursuivi les tâches d'analyse des prélèvements que je lui avais confiées. Enfin bon, moi-même, je me suis surpris à rester paresser au lit. Ce n'est pas dans mes habitudes, je mettrai ça sur le compte de la fatigue qui m'a gagné depuis mon atterrissage.
Concernant l'exploration du lac, je la stoppe définitivement. Ma dernière après-midi à nager en ses profondeurs ne m'a rien appris de plus. Finalement, ce lac ne m'aura offert que cette surprenante statuette.
Lorsque je suis rentré exténué de mon périple, je suis allé la contempler dans son carton. Aussi bizarre que cela puisse paraître, elle semblait s'être orientée en direction de mon lit, comme si « Le Dormeur du Lac » voulait m'observer durant la nuit à travers ses paupières fermées. D'ailleurs, sans doute par effet du jeu d'ombre et de lumière au sein de la capsule, en observant le visage du jeune homme, j'ai eu l'impression que ses yeux n'étaient plus si fermés que ça. Peut-être l'avais-je mal regardé les premières fois ?
Ceci étant dit, je suis aussi énervé contre moi-même : je n'ai rien préparé de ma randonnée de demain à l'intérieur du bosquet. Après dîner, je suis allé directement fainéanter dans ma chambre. Il va vraiment falloir que je me ressaisisse.
Demain est un autre jour comme on dit.
3 avril 2314
Je ne suis pas sorti de la capsule aujourd'hui.
Mis à part dormir et aller me restaurer, je n'ai absolument rien fait.
Rien du tout.
Au cours de l'une de mes périodes de sommeil, j'ai fait un cauchemar des plus affreux. J'étais dans mon lit, en train de dormir à poings fermés. « Le Dormeur du Lac » était là, lui-aussi, dans son carton. Mais ses yeux n'étaient pas fermés, n'étaient plus fermés. Ils étaient grands ouverts, de couleur rouge sang. Et ils me fixaient dans mon sommeil. Bien que conscient de la situation, je ne parvenais pas à réagir. Je ne sais d'ailleurs pas si je voulais réagir, je me sentais comme enveloppé du voile d'une douce et apaisante torpeur. Je n'avais envie de rien, je voulais rester comme ça, dans le lit, serein, tranquille, relaxé. Doucement, il est sorti du carton, son pas devenant de plus en plus assuré au fur et à mesure de son avancée vers le lit. Vers moi. La toge qu'il portait flottait autour de sa silhouette et son visage n'avait à présent plus rien de poupin, d'enfantin. C'était un masque sérieux, rendu macabre par ce regard sans vie, sanguin. Mais encore une fois, je semblais incapable du moindre mouvement. « Le Dormeur du Lac » s'est doucement approché du lit, puis est grimpé dedans avant de s'emmitoufler sous les couvertures, à mes côtés. Son contact fut dans un premier temps brûlant, mais rapidement, il ajouta à ma torpeur. Je me sentais bien, les battements de mon cœur ralentissaient, je souhaitais rester dans mon lit, à ne rien faire, à m'enfoncer encore plus profondément dans mon sommeil, un sommeil éternel. Avant que je ne sombre définitivement, « Le Dormeur du Lac » a posé sa bouche contre l'une de mes oreilles, son souffle ardent m'incendiant la nuque, puis a prononcé un unique mot : Oaxalt.
Je suppose que c'est ainsi qu'il se nomme.
Je me suis alors réveillé en sursaut. « Le Dormeur du Lac » – ou devrais-je dire Oaxalt – était toujours dans son carton, comme je l'y avais laissé. Je n'ai pas eu le courage d'aller l'observer plus en détail. Je suis juste allé chercher un verre d'eau, puis je me suis recouché.
Ebok s'est encore déconnecté aujourd'hui. S'il n'était pas un robot, je dirais qu'il souffre du même mal que moi.
4 avril 2314
Ebok est définitivement hors-service, il ne répond plus. J'ai enclenché la procédure de restauration de son système, mais cette dernière a échoué.
Tant pis.
Oaxalt n'est plus dans le carton. Je ne sais pas où il se trouve, je l'ai cherché sans succès dans la chambre.
Demain, il faudra que j'active manuellement la capsule afin de repartir, car, sans Ebok, plus aucune analyse n'est possible.
Je pourrais le faire aujourd'hui, mais je suis trop fatigué, je retourne me coucher.
5 avril 2314
Toujours aucune trace d'Oaxalt. Mais, à vrai dire, je ne l'ai pas cherché non plus.
Je suis allé récupérer le manuel d'activation de la capsule et j'en ai lu les deux premières pages. Je me suis arrêté car j'avais trop sommeil.
Cela fait deux jours que je ne me lave plus et que je ne me restaure plus. Je n'ai plus envie de rien.
J'espère être plus productif demain.
6 avril 2314
Je suis resté couché dans mon lit toute la journée, la lecture du manuel attendra encore un peu.
7 avril 2314
Je viens de me réveiller mais je retourne me coucher. Oaxalt était à mes côtés lorsque je suis sorti du sommeil.
J'espère que je pourrai enfin quitter cet endroit.
Je retourne me blottir contre Oaxalt, les muscles de mon corps sont comme ankylosés, les battements de mon cœur ralentissent, mes paupières sont trop lourdes.
Je sens déjà mes yeux en train de se fermer.