Je ne veux pas que tu mordes (2/2)
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Je ne veux pas que tu mordes (2/2)
Je vais peut-être laisser le pain bio
Mais je me rappelle ce que disait l'autre psy sur les enfants qui mordent, qui tapent ou qui cassent. Oui, cette agressivité-là cache toujours une profonde tristesse et même un état dépressif au fond. Moi, à cet instant, je ne me sens pas spécialement triste ni déprimé. Mais peut-être que je me cache bien mon jeu. Et je repense au Bio c’ Bon de Pigalle. C'était un soir, juste après une consultation chez le naturopathe, parce que j'avais souvent très mal au ventre. Il faut arrêter les laitages, le sucre et le gluten, il m'avait dit. Alors, après ça, j'avais erré comme une âme en peine dans les rayons du Bio c’ Bon à la recherche d'un pain sans gluten. J'ai imaginé vivre comme ça tout le reste de ma vie et ça m'a beaucoup déprimé. Je suis sorti sans rien acheter et puis, au fil des semaines, mes maux de ventre se sont apaisés. Et c'est passé à présent. Mais c'est peut-être ce passé-là qui revient au présent.
Et, là, la responsable du Biocoop ne descend toujours pas, alors je me dis que je vais laisser le pain bio et puis te rejoindre. J'hésite un instant. Il y a devant moi deux femmes qui n'arrêtent pas de parler, enfin une seule parle. Alors soudain j'ai très envie de taper sur celle-là pour la calmer un peu. Ça me changerait de mon fantasme de vouloir prendre soin de la femme agitée ou déprimée. Je sais bien que ce fantasme me vient des moments quand ma mère se plaignait des enfants. Moi, j'essayais d'être toujours sage mais ça ne changeait rien. Peut-être que si je l'avais tapée ça l'aurait un peu calmée.
Il paraît que l'enfant qui mord, qui tape ou qui casse a « un circuit pulsionnel court ». Oui, il passe à l'acte parce qu'il ne sait pas y faire avec ses pulsions sadiques. Il s'agit alors de lui poser des limites : « Je ne veux pas que tu mordes » par exemple. Ou bien « je te le demande, ne te mets pas en danger ». C'est le psy qui fait ça dans les premières séances, et ainsi l'enfant apprend à ajourner, élaborer ou sublimer ses pulsions. Et puis il passe à un circuit plus long.
Et je me souviens de la fois quand, enfant, je me suis battu avec mon frère. C'était avec Philippe, celui qui est arrivé juste après moi. Je l'ai tapé, j'ai cassé ses lunettes et il a saigné du nez. Je ne sais plus trop pourquoi j'ai fait ça. J'avais sans doute un circuit pulsionnel court.
Professionnel de la petite enfance
Penser à tout ça calme un peu mon envie de taper la femme qui parle et j'ai soudain une autre idée :
– J'ai juste un pain bio, alors je vous donne l'appoint et je file ?
C'est au gars à la caisse que je dis ça mais la femme réagit au quart de tour :
– Ah oui ! Et moi, j'ai juste du thym, je fais l'appoint et je file !
Je me souviens, ces femmes-là étaient aussi à la conférence. Elles sont donc sans doute des professionnelles de la petite enfance, directrices de crèche ou de jardins d'enfants. C'était ça le public. Et je pense encore à ma mère qui était assistante maternelle agréée. Je vois bien que je ne pourrai pas négocier avec elle.
La responsable finit par arriver, annuler l'opération en attente, le gars de la caisse passe les artichauts avec le code promo, la professionnelle de la petite enfance passe avec son thym, moi je paie le pain bio, je sors. Il y a du soleil, je ne sais pas combien de temps tout ça a duré.
Et là, je me frotte les yeux soudain parce que je ne vois plus ta voiture. Peut-être que tu as craqué ou que tu veux jouer à cache-cache avec moi.
***