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Je ne veux pas que tu mordes (1/2)

Je ne veux pas que tu mordes (1/2)

Published Nov 9, 2020 Updated Nov 9, 2020 Environment
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Je ne veux pas que tu mordes (1/2)

Tiens, il y a un Biocoop, je te dis

C'est juste après la conférence psy « L'enfant qui mord, qui tape ou qui casse ». Et, là, on va partir à la campagne.

– Attends-moi un instant, j'ajoute. Oui, j'achète du pain pour ce soir et puis on file.

Tu me dis d'accord, à tout de suite, tu aimes m'embrasser un instant et tu lances Google Maps. Avec le mode trafic en temps réel, c'est bien parce que toi et moi on a chacun un itinéraire préféré et des intuitions qui ne collent pas. Mais si on laisse le GPS nous guider avec l'envie d'aller au plus vite, on n'a plus besoin de se chipouiller.

Donc je file vers la Biocoop. Mais, une fois dans la boutique, tout commence à aller de travers.

Oui, ça ressemble à un labyrinthe avec plein de détours et sans aucun raccourci. Et c'est une ambiance étrange où tout ce qui est affiché 100% naturel semble plutôt factice.

Une fois, j'étais entré dans un Bio c’ Bon, c'était à Pigalle dans un espace réduit aussi. J'aime beaucoup le bio mais plutôt au marché. Oui, là, il y a des maraîchers un peu rasta avec des légumes laids, pleins de terre, du cerfeuil tubéreux, des betteraves pas cuites, des salades à planter, etc. Quand je faisais du Yoga, la prof nous donnait des cours de massage aussi, alors j'étais entré dans un Naturalia à la recherche d'huile spéciale pour ça. Ma prof disait qu'il suffisait de prendre de l'huile de sésame au rayon alimentation d'un bon Monoprix mais, moi, je trouvais ça bizarre de masser les pieds de la femme d'à-côté, et le bas de son dos, ses mains, avec de l'huile pour la salade. Alors je suis entré dans le Naturalia mais je suis ressorti illico. Je trouvais ça très cher. C'était la première fois que j'entrais dans une boutique comme ça. Ça me faisait bizarre parce que, pour moi, le naturel c'est aussi le sauvage et l'imparfait, le désordre et l'insoluble. Et c'est comme si dans ces magasins-là tout ça avait disparu.

Green-friendly

Là, dans la Biocoop, je finis par trouver le rayon pain tout au fond du labyrinthe près des caisses. Le gars qui sert est plutôt jeune mais avec un look à la Pierre Rabhi. Il a un tablier avec plein de mentions spéciales green-friendly et éco-responsable. Je vois bien qu'il m'a vu mais il fait comme s'il ne me voyait pas. Tout ce qu'il fait prend un temps fou. D'ailleurs je ne comprends pas trop ce qu'il fait parce que le pain est avec le fromage. Enfin, c'est dans le même rayon alors peut-être qu'il se prépare un sandwich au fromage ou une raclette.

Et je ne sais pas si c'est la conférence psy ou l'ambiance 100% bio qui me met dans cet état, mais j'ai soudain envie de taper ce gars-là. Pas de le mordre ni de casser quelque chose mais le taper.

Je me retiens bien sûr et je préfère me faire remarquer pour avoir un peu de pain. Il me dit oui, attendez, mais il sort de son rayon avec ce qu'il préparait, emballé et pesé. Il va je ne sais où et puis revient. Il me donne un pain, je file vers la caisse et le gars devant son tapis roulant a aussi le tablier green-friendly et eco-responsable.

Il a une femme devant lui qui a deux artichauts, il lui demande c'est quoi ça ? Des artichauts elle répond et il tape le nom dans sa caisse enregistreuse. Mais la dame lui dit qu'il se trompe parce que les artichauts sont en promo aujourd'hui. Alors, pas de souci, il décroche son téléphone et demande la responsable pour annuler l'opération. Je crois comprendre qu'elle est à l'étage au-dessus parce qu'elle doit descendre visiblement.

Une angoisse primordiale peut-être

Là, je pense beaucoup à toi qui m'attends dans la voiture avec sans doute l'itinéraire le plus rapide pour filer vers la campagne. Alors je commence à m'angoisser. Parce que je sais que pour toi le pain ce n'est pas un souci finalement. Et puis, si on évite les bouchons, on pourrait s'arrêter à Soucy. C'est le village juste avant d'arriver, la boulangerie est ouverte jusqu'à 19h00 je crois.

Hier matin, il y avait une autre conférence : « L'enfant qui a peur ». Et c'était passionnant parce que la psychanalyste racontait plein d'histoires pour montrer que « l'objet primordial » qui satisfait l'enfant – la mère en général – devient aussi objet d'angoisse et que les enfants reproduisent ce qui les a impressionné, cette angoisse-là par exemple. C'est pour tenter de s'en rendre maître. Et c'est peut-être pour ça que je suis rentré dans la Biocoop, pour me mettre dans le pétrin et répéter encore un sale truc mine de rien.

Penser à tout ça fait baisser un peu mon angoisse. Je regarde le gars de la caisse et j'ai aussi envie de le taper ou de casser quelque chose soudain.

A suivre...

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