Chapitre 42 : L’oreille cachée

Les plats étaient servis, mais l'ambiance était étrange. Badou, en particulier, semblait attentif. Comme si chacun guettait l’autre, mesurait ses mots, choisissait ses silences. La cuisine embaumait les épices douces, les rires étaient présents, mais rien ne sonnait tout à fait naturel.

Un serveur apporta les plats : Badou et Aminata avaient choisi les tomates savoyarde aux crozets, un choix réconfortant et traditionnel. Marbella opta pour une croztiflette robuste, tandis que Yoann choisit un burger montagnard, tous deux semblant chercher du réconfort dans leurs plats. Amélisse, quant à elle, avait commandé une reblochonade, un plat riche et indulgent qui reflétait son besoin de réconfort émotionnel. Les plats étaient servis dans de jolies assiettes en bois, accompagnés d'une bonne bouteille de vin blanc de Savoie pour toute la table.

Amélisse, assise entre Yoann et Aminata, gardait les bras croisés, ses doigts jouant nerveusement avec le pendentif discret autour de son cou. Une fine pièce argentée, qu’elle portait rarement. Ce soir-là, elle ne cessait d’y toucher. Sans vraiment s’en rendre compte.

— « Alors, vous croyez que la police va nous rappeler ? » lança Yoann d’un ton neutre, en fixant son verre.

Yoann espérait en secret qu'Amélisse avoue son secret. Grâce à Marbella, il savait maintenant décrypter les micro-expressions, ces petits signes qui trahissaient le malaise ou le mensonge. Peut-être que le vin blanc permettrait de percer ce qu'ils ignoraient. 'Je ne devrais pas me réjouir trop tôt,' pensa-t-il. 'J'attends de voir ce que ça va donner.'

Un silence glissa sur la table.

Marbella s’éclaircit la gorge.

— « Tant qu’on reste cohérents… il n’y a aucune raison. »

Amélisse hocha la tête sans répondre, les yeux fuyants. Elle baissa les yeux sur son assiette, incapable de croiser le regard de Marbella.

Dans la rue en bas, garée à bonne distance, une voiture noire banalisée attendait, moteur éteint. À l’intérieur, l’inspecteur Martin, casque sur les oreilles, écoutait.

Il tapota calmement un bouton sur son enregistreur.

Voix d’Amélisse, à peine audible dans le micro dissimulé dans son pendentif : — « …ça me rend malade… mais on a juré. »

Martin nota quelque chose dans un carnet.

Yoann, lui, avait remarqué un détail. Amélisse n’arrêtait pas de jouer avec son pendentif. Un comportement qu’il avait déjà vu… chez Marbella, lorsqu’elle dissimulait quelque chose.

Son regard se fit plus appuyé. Il ne disait rien, mais sa méfiance s’activait.

— « On devrait peut-être arrêter de se voir un temps, vous croyez pas ? » proposa Badou, nerveux.

— « S’éloigner, c’est prendre le risque qu’on nous convoque séparément. Et qu’on s’emmêle, » répondit Marbella.

Aminata haussa les épaules.

— « À ce stade, je préfère qu’on reste soudés. »

Mais le lien se fissurait, imperceptiblement.

Là-haut, dans l’ombre, Amélisse se sentait épiée… parce qu’elle l’était. Et malgré sa bonne volonté, elle savait que ce dîner serait peut-être la dernière fois qu’elle parvenait à jouer son rôle sans craquer.

Ecrit le 23/04/25

Image Dall.E

Barbara Wonder