Mes propres salissures
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Mes propres salissures
-Alors, vous avez trouvé les livres de Denton Welch ?
-Oui, oui. Mais je les ai commandés sur Amazon pour les avoir le plus vite possible, et même comme ça, ils arrivent dans un mois des Etats-Unis.
-Ah, mais dites-le-moi, je vais vous prêter les miens en attendant. Je vous les apporte demain.
-Je…oui, d’accord.
Je…n’aime pas emprunté des livres, ou même quoi que ce soit à un Zautre. Pour les livres, ça vient d’une fois où ma belle-sœur m’a prêté un livre pendant ces vacances quasi-familiales en terre « bretonnormande ». Tous les matins, mon beau-père nous levait pour nous montrer : « Regardez !!! on voit le Mont st Michel !!! ». Tous les matins.
« -Tiens Alexia, tu veux pas que je te prête un livre ? »
Qu’est ce que je réponds ?
« -…oui… »
Je n’aime pas les changements. D’habitude, tout le monde fait comme si je n’existais pas. Pourquoi changer tout-à-coup ?
Je me retrouve quelques minutes plus tard avec un exemplaire de livre de poche du livre d’Anne Rice en français « Entretien avec un vampire ». Tiens, je note au passage que je ne peux pas blairer les vampires, mais je ne me souvenais pas d’où ça venait…
Je prends le livre, je le lis, comme la notice belle-familiale me demandait de le faire. Un peu partout, comme je peux, en mangeant principalement. Je finis le livre en quelques jours je crois, 2 ou 3. Surtout pour me sortir de la corvée. Mais je me souviens aussi que j’avais apprécié ça, presque réconciliée avec la fiction…mon visage n’en trahissait évidement rien.
Puis je le rends, une fois la lecture terminée.
Quelques minutes après, j’entends un orage se former dans la petite maisonnée de vacances d’où que c’est que « Regardez !!! on voit le Mont st Michel !!! ». Que se passe-t-il ? Pour une fois, je ne me sentais pas du tout concernée, j’essayais plutôt de me recroqueviller encore plus que d’habitude histoire de ne pas finir encore une fois en dommage collatéral. J’entends ma belle-sœur sangloter. Oh pitié, je ne veux pas savoir.
Le beau-frère parle au beau-père. Je répète, le beau-frère parle au beau-père.
Le beau-frère parle à ma mère. Ouh là. Là, ça sent vraiment mauvais, je crois que j’essaye d’empiler mes os les uns sur les autres. Toute petite, ils ne me verront pas avec un peu de chance.
IL vient me voir. Le beau-frère. Olivier.
« -Alexia… ?
Je ne suis même pas sûre d’avoir dit quoi que ce soit…ca va tomber, et pile sur moi.
-Tu as lu le livre ?
Un signe de la tête, tout au plus.
-Ce qu’il y a, c’est que tu l’as rendu mais dans le même état que tu l’as eu…tu l’as Sali, vraiment. »
Quoa ? Tout ça pour ça ?
Ah ben oui, je l’ai sali…ça ne se salit pas un livre ? Mon petit corps se débloque et se redresse. Il comprend que, franchement, là, y’a pas grand-chose. L’orage a fait pschitt.
« euh…ah bon ?
-Oui Alexia. Quand tu empruntes quelque chose à quelqu’un, il faut en prendre soin. Vraiment, là, c’est pas bien. »
Me demandez pas de citer quoi que ce soit du livre hein…par contre, depuis, emprunter quoi que ce soit à quelqu’un alors que « je salis les livres », ben pas la force.
Donc, mon directeur de recherches me propose ses livres. Mais j’ai tellement hâte de commencer que là, ben bien obligée de dépasser mes propres salissures potentielles. Je ferai attention comme jamais.
Je suis rentrée à la maison avec les livres du Zautre...je les ai posés dans un endroit que j'estime être "le moins potentiellement salissable". Ils sont épais. Ils sont vieux, mais bien entretenus. Encore un mois avant de recevoir ceux que je pourrais salir à loisir…je regarde mes mails tous les matins dans l’espoir que.
Je n’arrive pas à les prendre en main. Je les laisse posés là, sur ce qui me sert de bureau.
Pourquoi ?
Pourquoi ai-je choisi « recherches en littérature » alors que je déteste lire ? Alors que je déteste les livres ? Alors que je déteste avoir mal ? Je ne suis pas si maso que ça. Je comprends qu’on le croit en me voyant faire. Mais vraiment, non. Je ne suis pas si maso que ça.
Il y a quelque chose que je cherche…au milieu de. Tout ça. Je sens que je dois aller là. Au milieu de la piscine et lâcher la petite planche qui me permet de flotter. Me noyer sans me noyer.
C’est « vital ». Pour sortir de la « sur-vie ». Pour entrer dans le réel. Tout est paradoxe. Tout est rien.
Bref.
Je n’ouvre pas les livres prêtés, je les entrepose là sagement en attendant que « les miens » arrivent. J’en avais besoin, de les avoir là. Ce n’était pas complètement inutile.
Ils arrivent. Je rends les Zautres.
Je mets les miens presque à la même place que ceux du Zautre.
Et j’attends. Ou plutôt, je les regarde. Je n’arrive pas à m’en saisir. Je sais que dès que je les aurai en main, d’une part je vais devoir bosser comme une malade, et d’autre part il va se passer quelque chose.