Le tournoi meurtrier 5/5
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Le tournoi meurtrier 5/5
Chapitre 5
La cour du château de Cauzac était beaucoup trop exigüe pour une joute à cheval. C’est pourquoi Jacques avait choisi le champ de foire du village qui se trouvait au pied du château. Le Seigneur de Cauzac avait donné des ordres tôt le matin pour monter rapidement une tribune et installer les piquets délimitant le couloir du tournoi. Il avait aussi fait passer le message à tout le village qu’un tournoi se tiendrait à midi pour laver dans le sang la trahison de l’hospitalité qu’il avait eue à l’égard du fils d’un ami de son père, le seigneur Amaury de Chamfort. Plusieurs affiches avaient été placardées sur les grands platanes de la place de l’église et sur les murs de l’estaminet.
Peu avant midi, la place était déjà remplie de curieux. Villageoises et villageois avaient commencé à se masser le long des rubans multicolores installés entre des piquets et destinés à contenir la foule, côté opposé à la tribune. Charles, le second assistant de chasse du Seigneur de Cauzac, avait proposé à Amaury une armure de guerre adaptée à sa taille, dont un heaume pointu et un écu ovale. Son cheval avait été également harnaché sur le devant avec des plastrons de fer et portait une jupe de drap blanc et rouge et des rennes décorés de carrés de tissu aux mêmes couleurs. Installé à l’une des extrémités de la lice, Amaury vit arriver Jacques de Cauzac vêtu d’une chasuble blanche.
— Je suis prêt à vous combattre, Monseigneur, lança Amaury à Jacques.
— Ce ne sera pas moi. J’ai désigné Godric qui est fort habile aux joutes et tournois pour soutenir mes couleurs et l’honneur de notre maison. Ce sera donc lui que vous combattrez.
Jacques fit demi-tour et rejoignit la tribune où s’étaient installés ses proches ainsi que Blanche qu’il avait contrainte malgré son refus à assister à ce duel à mort. Amaury aperçut au fond de la lice un Godric immense monté sur un grand cheval. Jacques, une fois installé dans la tribune aux côtés de Blanche, regarda des deux côtés et frappa une première fois pour que les chevaliers se mettent en ligne. Les palefreniers apportèrent les lances à chaque combattant après les avoir présentées devant la tribune et les avoir mesurées pour montrer qu’elles étaient d’égale longueur. La lance de Godric était bariolée de couleurs verte et blanche, les couleurs des Cauzac. Celle d’Amaury était blanche et rouge. Amaury n’avait jamais jouté et, n’ayant pas les talents guerriers de son père, il se sentait mal à l’aise avec cette lance de dix coudées de long.
Jacques claqua des mains pour donner le départ. Les deux jouteurs s’élancèrent dans un nuage de poussière. Les chevaux au galop augmentaient leur vitesse. Le choc fut très brutal et Amaury fut déséquilibré de sorte qu’il dut user de tous ses talents de cavalier pour se remettre en selle. Puis il y eut le deuxième passage. Blanche avait frémi au premier impact alors que Jacques avait éclaté de rire. Elle baissa les yeux au moment du deuxième affrontement. Amaury chuta de son cheval au contact de la lance de Godric. La foule applaudit l’exploit de Godric. Cette fois-ci, Jacques avait eu une expression interrogative. Pourtant son champion dominait manifestement le combat. Amaury, aidé d’un des palefreniers se releva et remonta sur sa monture. Il fit un léger signe à Blanche comme pour lui signifier que tout allait bien. Jacques donna le coup d’envoi du troisième combat. Les chevaux se mirent à galoper de plus belle. Le cœur de Blanche battait à rompre. Le choc fut encore plus violent. L’extrémité de la lance de Godric glissa sur le bouclier et se brisa net au contact avec le plastron métallique d’Amaury qui s’écroula sur le sable. La lance ainsi brisée avait glissé au-dessous de l’armure et avait transpercé le bas ventre d’Amaury qui gisait dans une marre de sang. Il respirait difficilement. Blanche se précipita aussitôt et s’approcha de son oreille.
— Amaury, je vous aime. Vivez, je vous en supplie ! Sachez que je déteste Jacques. Il a profité du fait que mes parents, avant leur décès, avaient forgé ce projet de mariage avec le père de Jacques et l’avaient consigné sur un manuscrit qu’il a retrouvé dans les papiers de son père. Mais je n’étais qu’une enfant et je suis sûre que si mon père vivait aujourd’hui il serait revenu sur cette promesse. Jacques est un monstre. C’est lui qui a tenté de vous tuer à la chasse. Et, voyez cette lance, elle a été sciée pour qu’elle casse. Vivez et sauvez-moi de ce tyran.
Mais Amaury n’entendait déjà plus ses paroles. Ses yeux se fermaient et il sentait la vie lui échapper. Toutefois, dans un ultime effort, il essaya de lui parler.
— Mon Amour, dites à mon fils Roland que je ne suis pas mort en lâche. Dites-le lui, je vous en supplie.
— Je vous le promets, répondit-elle.
Jacques, Seigneur de Cauzac était satisfait. Il félicita Godric qui ne comprenait pas que sa lance se soit brisée ainsi à une coudée de son extrémité. Le corps d’Amaury fut transporté sur une litière jusqu’au château. Blanche ne donna pas à Jacques la satisfaction de la voir pleurer. Son expression était d’une colère froide.
Le soir, Jacques était heureux et il but beaucoup de vin de Cahors pour fêter cette victoire. Blanche se tint fière, silencieuse et attentionnée. Alors que Jacques s’était vautré dans un fauteuil, chantant une chanson de corps de garde, aux trois-quarts saoul, Blanche s’éclipsa aux cuisines. Elle revint quelques minutes après avec une carafe de liqueur de genépi qu’elle posa sur la table. Elle prit un verre, le remplit et se tourna vers Jacques.
— Je ne vous propose pas de liqueur, mon ami, car vous semblez déjà bien assez enivré.
Aussitôt, Jacques bondit en colère.
— Donne-moi ça, traîtresse. Les liqueurs ne sont pas faites pour les femmes, hurla-t-il en lui arrachant des mains le verre qu’elle portait à sa bouche.
Jacques but d’un trait et se resservit trois fois. Puis il s’écroula, mort. Un filet de bave sortait de sa bouche. Blanche appela les servantes qui informèrent toute la maisonnée. Puis Godric entra dans la pièce. Il observa la scène, le corps affalé, sans vie, le filet de bave. Il rassura Blanche et lui dit qu’il s’occuperait de tout. Lui, il savait. Il adressa un regard complice et tendre à Blanche puis sortit.
Quelques mois plus tard, alors que le printemps faisait ses premières promesses de lumière et de vie nouvelle, Roland de Chamfort, fils d’Amaury de Chamfort, Seigneur d’Alayrac, un magnifique jeune homme de dix-neuf ans, épousait Blanche de Septeuil au pied du Mont Aigoual.