Congratulations! Your support has been successfully sent to the author
Épisode 84 : Requiem pour une confiance perdue

Épisode 84 : Requiem pour une confiance perdue

Published Jan 30, 2025 Updated Jan 30, 2025 Tale
time 8 min
0
Love
0
Solidarity
0
Wow
thumb 0 comments
lecture 4 readings
0
reactions

On Panodyssey, you can read up to 10 publications per month without being logged in. Enjoy9 articles to discover this month.

To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free! Log in

Épisode 84 : Requiem pour une confiance perdue

Avant de commencer quoi que ce soit, dans cette chambre qu'elle n'a pas tout à fait quittée et dont il a verrouillé la porte derrière eux, Mélusine sonde le regard de Siegfried pour y chercher des traces de Siggi le Fou. Le faire avec Siegfried : d'accord. Mais le faire avec Siggi le Fou ; jamais, jamais, jamais. Au grand jamais. Quitte à se sauver à toutes jambes à travers les couloirs jusqu'à son boudoir et à s'y enfermer à double tour. Quitte à crier au secours à la cantonade et à leur attirer la honte. Mais elle ne voit dans son regard que le brun doux des yeux de Siegfried. Alors elle se détend et s'autorise à poser la tête dans le creux de son épaule.

Il la lui relève, doucement, laisse une main lui descendre le long de la joue, puis lui saisit le menton. Lui aussi la scrute du regard.

- Ce que nous allons faire maintenant, tu vas aussi aller le confesser bien sagement au Père Adalbéric ?

Elle est choquée et ne peut pas le lui cacher.

- Siegfried !... Certaines choses ne se racontent à personne, voyons...

- On ne sait jamais... Je préfère être sûr...

Elle soupire. Il n'a plus confiance en elle, lui non plus. Elle peut le comprendre, bien sûr.

Mais désormais, il y a comme une barrière entre eux. Une barrière formée par l'idée d'être sous l'examen de regards extérieurs.

Pour le meilleur et pour le pire, pour le pire et pour le meilleur, leur fluide circule toujours. De plus, leur dernière séparation n'est pas assez ancienne pour leur avoir fait oublier ce qu'ils ont à faire. Il sait comment l'attirer, comment l'amener à faire les choses, comment les mener à bonne fin, comment les lui rendre agréables. Elle sait comment l'attirer, comment lui plaire. Ils ne peuvent pas dire que leurs retrouvailles sont un échec.

Mais ce n'est plus comme avant. Quand tout est accompli, ils se retrouvent juste sur le dos, côte à côte, les yeux fixés sur le plafond. Avant, ils se seraient touchés, pris dans les bras, enlacés. Même sans en faire des tonnes question tendresse ou passion - l'heure n'est pas toujours au grand romantisme, on n'a pas toujours envie de ça. Parfois on est juste fatigués et on s'endort très vite de façon très prosaïque et très ordinaire. Mais ils auraient toujours gardé un minimum de proximité. Leur complicité les aurait amenés à se taquiner mutuellement. En plus de ça, ici, on est en pleine journée, et les choses n'ont pas duré des heures. Il n'y a pas matière à tomber endormis sur place. Mais ici, rien. Juste deux corps allongés côte à côte sur le dos. Si souvent, dans ces moments-là, Siegfried ouvre son cœur à Mélusine. En plus, comme il s'agit en principe de retrouvailles, il y aurait matière à le faire. Mais ici, rien. D'ailleurs, même dans l'étreinte, ils ne se sont pas livrés comme avant. Elle l'a bien senti. Chacun gardait une réserve, un quant-à-soi. Comme une sorte de pudeur. Ils ne se sont pas lâchés sans retenue comme ils savent qu'ils peuvent le faire - et comme ils l'ont souvent fait dans le passé. Ils ont juste passé des moments ordinaires. Agréables certes - mais ordinaires.

Comme deux étrangers qui se plaisent beaucoup, mais qui savent qu'ils resteront toujours des étrangers.

Il ne leur manque plus que se contenter de se lever, de se nettoyer, de se rhabiller, et de s'en retourner vaquer à leurs affaires respectives comme si de rien n'était.

Quelle serait encore la différence entre elle et n'importe quelle domestique avec laquelle il aurait envie de soulager ses tensions ?... Combien de temps encore avant qu'il passe à l'acte de cette façon ?

Et elle, en serait-elle réduite de son côté, pour soigner sa fierté autant que pour combler sa solitude, à se consoler - en cachette bien entendu - avec un bellâtre quelconque puisé dans le même vivier...

Et tout cela pour en avoir quoi, au bout du compte ? Juste quelques heures de détente, d'euphorie et d'illusion, avant de retrouver l'amère réalité de la solitude et de la dégradation... Certes, dans la misère, ce serait toujours bon à prendre... Mais cela ne souffrirait aucune comparaison avec l'incroyable communication qu'ils partageaient toujours ensemble autrefois, parfois en mode majeur, parfois en mode mineur, mais toujours présente, et dans tous les cas absente de toutes ces amusettes insipides.

Si leur amour doit absolument se terminer, s'il est trop grièvement blessé pour jamais pouvoir s'en relever, doit-il pour autant finir de cette manière ? dégradé au rang d'une aventure qui aurait dû rester sans lendemain mais qui s'est juste prolongée un peu (beaucoup) trop longtemps ?...

Avant, elle lui aurait caressé les cheveux, la joue, elle aurait osé poser la main sur sa poitrine... Aujourd'hui, elle n'ose même plus lui prendre la main. Si elle ose ces gestes qui lui paraissaient si naturels avant mais qui aujourd'hui lui semblent d'une incroyable audace et presque intrusifs, elle est sûre qu'il la repoussera. Mais elle doit faire quelque chose si elle ne veut pas le perdre de la façon dont elle le craint. Et vite. Elle a tout au plus quelques minutes. Et encore. À savoir. Sa main repose là, le long de son corps, tout près de la sienne. Elle peut essayer d'avancer la main contre la sienne, peau contre peau. Voir comment il va réagir. Elle essaie...

Il ne retire pas sa main. Victoire.

Elle tourne la tête pour le regarder.

Il fait de même.

Avant, il se serait tourné vers elle. Se serait soulevé sur un bras. Aurait posé son autre main au-delà d'elle.

Aujourd'hui, il se contente de la regarder.

Elle ne sait pas quoi lui dire. Et lui non plus.

En sont-ils arrivés là ?

Va-t-elle devoir, pour engager la conversation, lui demander, un peu ridiculement, si c'était bien ?... Et sans même être sûre que cela débouche sur grand-chose, finalement...

En fin de compte, elle se contente de soupirer.

Il soupire aussi.

Et finalement, c'est lui qui rompt le silence.

- Nous sommes décidément des spécialistes pour ce qui est de faire n'importe quoi.

Elle ne sait pas trop dans quel sens interpréter cette phrase, et elle a peur de le lui demander.

- Maintenant, chaque fois que nous faisons quelque chose, j'ai l'impression qu'il y a quelque part, je ne sais pas où, quelqu'un qui nous regarde. Quelqu'un qui juge et qui évalue tout ce qu'on fait. Si c'est bien ou mal. Si c'est fait correctement ou pas. Dans les règles ou pas. S'il faut faire comme ci, ou comme ça, ou s'il faut faire autrement. Si on fait bien ou pas de dire ce qu'on dit, de faire ce qu'on fait, de décider ce qu'on décide. De penser ce qu'on pense. De sentir ce qu'on sent. C'est difficile d'avoir confiance en soi et de se laisser aller dans ces conditions-là, tu sais. On joue la sécurité. On reste là où on peut être sûr qu'on sera dans les règles. On a des barrières partout, tout autour de soi. Avant, nous étions libres.

Mélusine soupire et retourne la tête vers le plafond.

- Avant, il n'y avait que toi et moi. Personne d'autre.

- Exact.

Elle sent qu'il la regarde.

- Mais dis-moi... Pourquoi as-tu eu l'idée de parler au Père Adalbéric ?...

Elle soupire.

- Maudit à jamais soit le moment où j'ai eu cette idée, c'est un fait. Mais je l'ai fait parce que... parce que je croyais que ça pourrait nous aider.

- Nous aider ? Pour quoi ? Contre quoi ? Contre qui ?... Si c'est pour l'erreur que j'ai commise il y a longtemps, je t'ai déjà dit combien de fois que personne ne peut m'aider.

Elle se tait un moment.

- Toi, tu penses au Père Adalbéric. Moi, je pense à cette... créature, ou démon, ou entité, ou je ne sais pas quoi, qui parfois entre en toi, qui fait que tu n'es plus toi-même et qui te fait faire n'importe quoi.

Elle ne veut pas nommer Siggi le Fou, et elle espère de tout son cœur que Siegfried ne le fera pas non plus. Elle pense que le nommer, ce serait l'invoquer. Et ils n'ont vraiment pas besoin qu'il se manifeste, et surtout pas maintenant.

- À la différence près que ça, je ne le contrôle pas vraiment. Ça va, ça vient, puis ça part, puis ça revient, puis ça s'en va, je ne sais pas trop pourquoi ni comment. Tandis que toi, rien ni personne ne t'obligeait à parler au Père Adalbéric. Toi, tu as vraiment fait un choix. Ce que tu as fait, c'est toi qui as bien voulu le faire.

Elle sent son regard peser sur elle, alors elle tourne son visage vers lui. Pour croiser un regard plein de reproches. Elle baisse les yeux.

- J'ai cru bien faire, Siegfried. Pardonne-moi.

Il reste silencieux un moment, puis il tourne à son tour le regard vers le plafond.

- Au fond, ce qui t'est arrivé, c'est la même chose que ce qui m'est arrivé à moi il y a des années avec mon vœu. Tu as fait ça parce que tu as cru que si tu le faisais, les choses iraient mieux. Mais ce qui est réellement arrivé, c'est qu'après ça, les choses sont encore pires qu'avant.

Il soupire.

- Malheureusement, je ne peux pas t'en vouloir d'avoir commis la même erreur que moi autrefois. Je te le dis, nous sommes vraiment deux à faire n'importe quoi. Chacun à tour de rôle.

La main qui touche la sienne lui prend le poignet. Sentir ça la réconforte un peu. Un peu de sa chaleur se diffuse en elle pendant qu'il continue à parler.

- Sauf que toi, tu avais quand même l'expérience. Tu savais comment on le vit quand on est de l'autre côté. Tu avais un avantage que moi, à l'époque, je n'avais pas. Tu aurais quand même pu m'en parler d'abord. Tu aurais dû réfléchir. Tu devais quand même bien te douter que... que... enfin... de l'effet que ça allait me faire. Ça, quand même, tu le savais. Tu aurais dû t'y attendre, que je le prendrais mal.

Elle relève les yeux vers lui.

- Et si je t'en avais parlé d'abord, aurais-tu été d'accord ?

Il tourne vivement la tête vers elle.

- Et toi, à l'époque, si je t'avais parlé de mon vœu avant de décider de le faire, aurais-tu été d'accord ?...

Elle baisse les yeux en silence.

Il détourne le regard et le reporte vers le plafond.

- Eh bien voilà.

Effectivement, rien de plus à en dire.

- En attendant, nous n'avons plus confiance l'un dans l'autre. Pas pour les mêmes raisons, c'est vrai - mais le résultat final est quand même là.

Elle détourne la tête et regarde le plafond à son tour.

- C'est exactement ça.

- Et une fois que la confiance a été brisée, il faut très longtemps avant qu'elle se répare. Quand elle se répare. Si elle se répare. Tu le sais mieux que personne, non ?

Elle ne peut pas dire le contraire.

Ce frisson glacé dont elle commence à avoir (un peu trop) l'habitude la parcourt une fois encore.

Avant, il l'aurait serrée contre lui pour la réchauffer. Pour la rassurer.

Mais aujourd'hui, il se lève du lit. Il hésite à poser la main sur son épaule, puis sur son ventre - puis, finalement, ne fait ni l'un ni l'autre.

Évidemment. Qui a envie d'avoir un geste d'affection envers quelqu'un en qui il n'a pas confiance ?

Bien sûr qu'elle le comprend - elle qui a mis plusieurs années avant de seulement envisager de laisser Siegfried l'approcher à nouveau, autrefois. Elle est bien la première à savoir le temps qu'on met pour guérir.

Mais ça fait mal quand même.

Ça fait peut-être même d'autant plus mal.


Musique : Whitesand - Empty World


Épisode 85 : Bilan


Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos

lecture 4 readings
thumb 0 comments
0
reactions

Comments (0)

You must be logged in to comment Log in

You can support your favorite independent writers by donating to them

Prolong your journey in this universe Tale
Épisode 87 : Éboulement
Épisode 87 : Éboulement

Cette fois-ci, Siegfried en a marre. Si cet incapable de Jang n'est pas fichu de lui trouver Mélusine dans une grotte...

Jackie H
9 min
Épisode 86 : Traque
Épisode 86 : Traque

Une branche qui craque. Tout de suite Mélusine dresse l'oreille. Quelque chose - ou quelqu'un... - s'approche.Vite, à...

Jackie H
4 min
Épisode 85 : Bilan
Épisode 85 : Bilan

Étendue dans le bras de l'Alzette qui traverse sa grotte au creux du Bockfiels, Mélusine se repose. Elle retourne, pour quel...

Jackie H
8 min
Épisode 83 : Échos et vibrations
Épisode 83 : Échos et vibrations

Les semaines passent. Mélusine a suivi le conseil du Père Adalbéric et s'est à nouveau réfugiée dans son boudoir. Elle avait...

Jackie H
9 min
Épisode 82 : Consolation
Épisode 82 : Consolation

Le Père Adalbéric, désemparé, s'approche d'elle. Sa réserve de prêtre lui interdit de la prendre dans ses bras ou de lui pas...

Jackie H
3 min
Épisode 81 : Rupture
Épisode 81 : Rupture

Le Père Adalbéric décide de voler au secours de Mélusine et d'intervenir.- Nous ne sommes pas vos ennemis, comte Sieg...

Jackie H
8 min

donate You can support your favorite writers

promo

Download the Panodyssey mobile app