De son côté, Siegfried rentre à Koerich le cœur étreint par la tristesse. Le chant de Mélusine exprimait un désespoir si absolu qu'il lui est impossible de l'oublier. Il erre sans but dans son château, sur ses terres. Lui qui est si habile à la chasse, il n'a plus de goût à traquer le gibier. Il n'a plus de goût à rien d'ailleurs. À rien d'autre qu'à tenter de s'expliquer le mystère de Mélusine. Mais il a beau réfléchir, il n'y voit aucune explication.

Pourquoi un tel désespoir ? Lui-même, Siegfried, en est-il la cause ? Mais alors, pourquoi lui a-t-elle fait promettre de revenir au Bockfiels ? Elle a l'air de tenir à sa présence, mais pourtant, si c'est le cas, pourquoi se cache-t-elle de lui dans un coin obscur ? Il la devine si belle, aussi belle que son chant, et il aimerait tellement pouvoir faire plus que deviner sa beauté. Pourquoi le craint-elle à ce point ? Elle lui demande de partir, mais aussi de revenir. Elle ne veut pas qu'il reste, pourtant elle a l'air de le souhaiter. Il n'y comprend plus rien, et ça l'énerve. Le comportement de Mélusine n'a pour lui ni queue ni tête.

Siegfried sait très bien ce que lui diraient les plus proches de ses compagnons d'armes s'il s'en ouvrait à eux.

- Laisse tomber, Siegfried, il y a sur terre bien d'autres filles beaucoup plus simples qui ne te prendront pas la tête. Tu n'as pas besoin dans ta vie d'une donzelle qui te fasse autant de complications. Regarde ce que ton existence est devenue depuis que tu la connais - enfin, si on peut dire que tu la connais. Tu n'as certes jamais été le seigneur le plus occupé du pays, mais depuis que ton chemin a croisé le sien, tu te traînes à droite et à gauche et tu ne fous plus rien, mis à part te poser des questions qui ne trouveront probablement jamais de réponse - pour la bonne et simple raison qu'il n'y en a pas et que ce n'est pas la peine de chercher à y comprendre quoi que ce soit. Et toute ton existence se dissout là-dedans. Reprends-toi, Siegfried. Ressaisis-toi. Tiens, va t'enfiler quelques bières à la taverne du coin. Ça te remettra les idées en place.

Siegfried n'est pas bien sûr que s'enfiler quelques bières soit le bon moyen de se remettre les idées en place, mais ça lui paraît assurément un bon moyen de se changer les idées, d'oublier un peu les soucis du moment et de prendre un peu de recul par rapport au carrousel d'interrogations qui l'obsède. Alors il prend le chemin de la taverne. Qui sait, peut-être y trouvera-t-il aussi une fille accorte pour égayer son humeur. Ou alors peut-être y croisera-t-il un chevalier de passage avec qui échanger des souvenirs de tournois et brailler des chansons paillardes. Si ça se trouve, les deux à la fois. Au moins, ça le détendra.

Mais tout ce qu'il trouve à la taverne est de la mauvaise bière qui lui donne la tête lourde et mal à l'estomac, et quand il l'a cuvée dehors parce que le tavernier a fini par le mettre à la porte, tout seigneur de l'endroit qu'il est, avant que ce soit lui qui finisse par vomir sur son carrelage, il s'aperçoit aussi que tout ce qu'il a croisé dans ce débit de tord-boyaux est un larron qui l'a délesté de sa bourse avec les pièces d'argent qu'elle contenait.

Tout compte fait, à ce tarif, mieux vaut encore penser à Mélusine. Au moins elle a une voix captivante, au moins elle a l'air jolie, au moins elle est capable de survivre dans un environnement hostile et cela fait d'elle une créature fascinante, au moins elle a émis le souhait de le revoir - même s'il ne paraît pas cohérent avec le reste de son comportement - et peut-être a-t-elle en fait des problèmes qui lui permettront à lui, Siegfried, de se rendre utile en les lui éliminant et de se montrer par la même occasion digne de son épée, de son titre de noblesse et des héros de légende qui l'ont fait rêver dans son enfance.

Musique : Frédéric Laurent - La Bourrée des serfs

Épisode 7 : Déclaration

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