Épisode 29 : Soupçons
On Panodyssey, you can read up to 10 publications per month without being logged in. Enjoy9 articles to discover this month.
To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free!
Log in
Épisode 29 : Soupçons
Mélusine quitte la chambre où repose Siegfried, mais elle est perplexe. Qu'il refuse qu'elle le touche, voilà qui est diamétralement opposé à toutes ses habitudes.
Certes, cela lui rappelle les débuts de leur mariage, quand elle a dû intégrer les conventions sociales de son nouvel environnement et apprendre la discrétion. Quand elle a dû apprendre que les gestes de l'affection n'avaient pas leur place devant des tiers, quand elle a dû apprendre à réfréner sa spontanéité et que c'était source entre eux de quelques disputes.
Mais ici, ils étaient seuls. La seule domestique présente venait de sortir et personne n'était rentré pour prendre le relais.
Qu'il veuille rester seul à un moment où il doit se sentir particulièrement fragile et exposé est tout aussi étrange. Dans un tel moment, ne ressent-on pas plutôt un besoin de soutien ? Celui de la présence de ceux qu'on aime et dont on est aimé ?
Alors, certes, le spectacle de son délire, ou de la déchéance dans laquelle il est revenu à Lucilinburhuc, aurait pu perturber leurs enfants. Ça, elle peut très bien le comprendre. Mais elle ? Elle qui a toujours été à ses côtés depuis le début ? Elle à qui il se raccroche depuis qu'ils sont mariés ? La croit-il donc trop faible pour pouvoir supporter certaines choses ? Et notamment certaines qu'elle a pu voir ?...
À moins peut-être qu'il ait honte... Honte d'être revenu dans une déchéance animale qu'il aurait préféré pouvoir gérer tout seul et cacher aux yeux du monde, même de sa plus intime, sans doute. Sa mère n'est plus là pour voir encore en lui le bébé qu'il fut, et après tout, Mélusine n'est pas sa mère. Elle est celle à qui il veut plaire. À la réflexion, elle peut comprendre ça. Elle-même doit bien s'avouer qu'en dehors même du secret qu'elle ne divulguerait qu'au prix de sa vie, elle n'aimerait pas non plus être exposée à lui dans des circonstances semblables. Même les animaux se cachent pour cela, ne serait-ce que parce que ces moments-là les exposent aux prédateurs.
Mais lors de leur cérémonie de mariage, le prêtre ne leur a-t-il pas dit qu'ils se mariaient pour le meilleur et pour le pire ? À quoi bon aimer et être aimé, si ce n'est pour se soutenir mutuellement dans les pires moments, y compris ceux où l'on s'est fait arracher jusqu'à sa dignité ?...
À moins qu'il ait honte peut-être de la raison pour laquelle il a perdu sa dignité ?... Honte devant elle ? Précisément devant elle ?... Après tout, comment et pourquoi a-t-il perdu son heaume, son épée et son meilleur cheval ? Un mari jaloux ? Ou un père, ou bien un frère, qui s'estimait déshonoré et voulait se venger ? Une autre femme ? avec qui il s'est fait surprendre au mauvais moment ?... De nouveau, la jalousie s'insinue en son cœur.
Mais de nouveau, les arguments qui la réduisent à néant refont eux aussi surface. Son étreinte, sa prière à peine audible, la peur qu'elle a perçue en lui, avant même son départ. L'aurait-il laissée l'aider à se préparer pour un rendez-vous galant ? Peut-on être gêné après mais pas avant ? Et puis, équipé de pied en cap comme pour un combat, est-ce ainsi que l'on se rend à un rendez-vous galant ? Il y a ces arguments, et puis il y en a d'autres. Tout d'abord, où et quand aurait-il rencontré cette autre femme ? Certes, le développement de Lucilinburhuc a obligé Siegfried à se montrer plus sociable et à étendre son réseau de relations, mais même si c'étaient loin d'être les moments qu'elle préférait dans leur vie de couple, et même si elle faisait tout pour les réduire au strict minimum, elle l'accompagnait partout où il allait et elle assistait toujours aux réceptions. Toutes réunions qui comptaient bien plus d'hommes que de femmes, d'ailleurs.
Et même en interne, Siegfried n'était pas connu pour user du droit de cuissage habituellement reconnu aux seigneurs. C'était d'ailleurs une raison importante de la fidélité du personnel de la Petite Forteresse : on s'y sentait en sécurité, donc on s'accommodait de son caractère difficile. Et à dire vrai, même si l'une ou l'autre avait bien eu l'idée de profiter de ce qui semblait bien reconnu comme la faiblesse générale de l'homme pour tirer quelque parti de l'intérêt de son seigneur, elle avait très vite compris que Madame la Comtesse n'a aucune intention de partager son époux et que celle qui entreprendrait de le séduire s'exposerait à des conséquences qu'il vaut mieux éviter. Mélusine sourit à l'idée de se sentir à l'occasion dangereuse et redoutable. Non - tout le monde sait dans tout le pays que Siegfried de Lucilinburhuc est très amoureux de sa femme et n'a d'yeux que pour elle.
Mais malgré tout, un doute persiste à la tarauder. Et si tout ce qu'elle faisait n'était que se rassurer à bon compte ? N'a-t-elle pas entendu il y a longtemps que quoi que l'on puisse en dire, les humains sont inconstants ? Mâles comme femelles d'ailleurs ?...
Et puis, s'il ne s'agit pas d'un mari trompé, ou d'un père ou d'un frère déshonoré, arrivé au mauvais moment en plein milieu d'un rendez-vous galant, alors de quoi peut-il bien s'agir ? Ça aussi, c'est un argument en faveur du doute. De quoi d'autre peut-il bien s'agir ? Elle a beau retourner la question dans sa tête, elle ne connaît pas d'ennemis à Siegfried. Pas en tout cas d'ennemis qu'il pourrait ne vouloir rencontrer qu'en privé et qui seraient capables de lui infliger au combat une défaite aussi cuisante. Siegfried n'est certes pas un seigneur de la guerre, tant s'en faut. Mais tout seigneur qui se respecte se prépare au combat et participe à des tournois, et à ce sport, Siegfried vaut certainement son prix. Il est loin d'être le dernier venu en la matière, et dans la région, on le respecte. A-t-il honte de sa défaite ? Probablement.
Mais alors, pourquoi s'est-il à ce point exposé ? A-t-il sous-estimé le danger ? En tout cas il en était conscient, elle pourrait en jurer. Elle a trop ressenti sa peur avant son départ pour en douter. Mais qu'est-il donc allé faire là-bas ? Pourquoi n'a-t-il voulu dire à personne ce qu'il en était ? Même le Père Adalbéric sait seulement qu'il lui a fait dire une messe à son intention.
Une seule chose est certaine : c'est qu'à Koerich, il s'est passé quelque chose de grave. De très grave. Siegfried ne serait jamais revenu dans cet état s'il n'avait pas eu affaire à un adversaire extrêmement dangereux. Et surtout extrêmement puissant. Un combat à un contre plusieurs, peut-être ? Mais qui ?... Et, surtout, pourquoi ?... De quel seigneur puissant a-t-il bien pu provoquer le courroux pour revenir à la Petite Forteresse abîmé comme il l'était ? Et qu'a-t-il bien pu faire pour en arriver là ?
Musique : Ludovico Einaudi - Walk
Épisode 30 : Amnésie
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos