Épisode 10 : Transformation
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Épisode 10 : Transformation
Même quand on vient de vendre son âme au diable et qu'on sait que l'on ne dispose plus que d'un temps compté, trente ans, de prime abord, ça paraît long, surtout quand on est jeune, et plus encore quand on déborde d'énergie. Le terme lui paraît si lointain que sur le moment même, et pendant plusieurs années ensuite, même si son acte l'effraie, Siegfried tarde à réaliser toute la portée de ce qu'il vient de faire.
Maintenant qu'il a sur le Bockfiels le château qu'il a tant appelé de ses vœux, Siegfried peut enfin célébrer son mariage avec Mélusine et tenter d'oublier dans ses bras le terrible marché qu'il vient de conclure.
Il devient très vite connu dans la région sous le nom de Siegfried de Lucilinburhuc, "Siegfried de la Petite Forteresse", où il a désormais pris ses quartiers, délaissant petit à petit son château de Koerich où il ne trouve plus aucun intérêt à vivre puisqu'il ne peut le faire que sans Mélusine.
Et comme le diable le lui a laissé entendre, la Petite Forteresse et la seigneurie qui en dépend connaissent un développement fulgurant.
La forêt de la vallée de l'Alzette, au pied du rocher, cède bien vite la place à un bourg castral où les habitants, profitant du cours de la rivière qui permet de nombreux échanges, connaissent très tôt la prospérité. En moins d'une décennie, le territoire se transforme complètement, se sillonnant de rues et se peuplant de maisons, de magasins et d'embarcadères, et même d'églises. Bourgeois et paysans célèbrent alors la gloire de leur comte Siegfried, auquel ils sont convaincus de devoir leur prospérité. Il collabore avec l'Abbaye Saint-Maximin de Trèves pour veiller au salut de leurs âmes comme à la sécurité de leurs corps... et de ses biens - car après tout, une seigneurie prospère, ça attire les convoitises, et mieux vaut penser à sa protection.
Une seigneurie prospère, cependant, ça attire aussi de confortables revenus à son seigneur, et les rentes de Siegfried de Lucilinburhuc font désormais de lui un seigneur riche qui n'a plus à se préoccuper du lendemain. Il est bien fini le temps où il s'arrachait les cheveux pour trouver comment rassembler les fonds nécessaires pour acquérir sa terre et construire son château. Oublié, le temps de Siegfried de Koerich et de Feulen. Fini le temps du hobereau pauvre sans grandes ambitions qui passait ses journées à chasser sur ses terres.
Mélusine lui donne sept enfants, fils et filles - et doit se débrouiller à ces occasions pour apporter quelques adaptations à son sortilège. Bien sûr, le but reste d'avoir apparence humaine tout en gardant sa vraie nature de sirène, mais elle ne veut pas pour autant sacrifier ses enfants, ni dans leur existence ni dans leur avenir. Elle tient à donner à Siegfried de vrais enfants humains, comme ceux qu'il aurait d'une authentique humaine. Elle ne veut pas qu'il les rejette, eux et elle, parce qu'ils seraient des monstres. Elle-même a déjà eu assez à faire de son côté dans sa vie pour accepter et gérer sa vraie nature sans trop savoir d'où elle vient, et elle ne veut surtout pas imposer cela à ses enfants. En plus, pour atteindre son but, elle doit absolument éviter que quiconque se pose des questions, surtout pas Siegfried - celui qu'elle ne veut pas perdre... et celui qui précipiterait le plus sûrement la catastrophe annoncée si jamais il venait à en être au courant. Tout cela lui pose assurément de nouveaux défis qui souvent lui donnent un air soucieux, même si ses samedis de retrouvailles avec elle-même sont respectés et même si tout le monde semble tenir pour acquises ses disparitions hebdomadaires.
Devenu désormais plus mondain avec le développement de son nouveau domaine, Siegfried renoue avec ses anciens frères d'armes, désormais mariés eux aussi, qu'il avait délaissés dans sa jeunesse négligente, et noue des alliances avec les autres seigneuries des environs. Il pense au futur et à de belles alliances avec les familles seigneuriales alentour pour ses enfants.
Cette croissance rapide, qu'il est bien obligé de gérer mais qui fait sa gloire et son bonheur apparent, le maintient occupé et lui ferait presque oublier la terrible échéance qui l'attend.
Mais chaque occasion où qui que ce soit déverse sur lui ses bénédictions ou lui souhaite longue vie lui rappelle le passage du temps. L'émetteur de bons souhaits l'ignore, bien entendu, et ne comprend pas pourquoi il ne reçoit en retour qu'un regard noir de la part de Siegfried de Lucilinburhuc. Il le trouve bien ingrat.
Il ignore évidemment qu'il vient de lui rappeler que les années passent, que son sursis s'amenuise, que sa mort est bien plus proche que sa constitution physique le laisse supposer, et surtout qu'au moment fatidique, sa destination dans l'au-delà sera l'enfer et non le paradis. Pas même le purgatoire, qui lui laisserait au moins encore une lueur d'espoir...
Musique : Transformation
Épisode 11 : Sic Transit Gloria Mundi
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos