

À côté.
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À côté.
Il a l’allure d’un clown blanc. Sauf que lui, il sourit en permanence.
Il a de grands yeux bleus écarquillés comme un bouclier face à tous les temps.
Il se fige-niche souvent dans le silence.
Mais je le vois tapoter sa jambe en séquençant les rythmes quand le cours dure trop longtemps.
Il oublie tout le temps ses documents, prend quasiment peu de notes, est presqu'incapable de répondre aux questions à l'oral mais semble donner le change aux exercices écrits.
La semaine dernière, j’ai enfin pris un moment rien que pour lui.
Avant mes forces étaient consumées par l'attention que je dois donner en cours.
Mais il est venu manger à côté de nous - je ne sais pas s’il peut être avec - et je l’ai trouvé tellement courageux !
On mangeait dehors au soleil, je pense que cela l'a aidé.
Je ne voulais pas faire semblant d'être quelqu'un d'autre alors je lui ai envoyé des salves de questions, avec mes gros sabots d’auvergnate-pseudo-punk, sur sa passion : la batterie.
Il a répondu à tout. Parfois avec un filet de voix, mais il m’a répondu.
Avec son sourire et ses grands yeux encore un peu plus écarquillés.
Avec cet échange, je voulais juste qu’il sache que lorsque je lui passe la feuille d’émargement et qu’il me sourit, - comme il sourit à tout, pour prévenir qu’il ne faut pas franchir plus que ce sourire-là -, et que moi-même je lui souris franchement comme pour lui répondre « Oui, je sais, je n’irai pas plus loin » :
« Tu sais, R., nous sommes tant comme toi.
Avec notre treillis de la normalité, on fait tout pour passer inaperçu, surtout ne pas paraître bizarres.
Mais la vérité, c’est qu’on compose tout le temps pour ne pas se faire démasquer.
Moi non plus, je ne sais pas faire. Pas faire avec les règles qui se jouent et que l’on ne m’a même pas toutes données. Le jeu de cette société n’a pour moi aucun intérêt, puisqu’il faut être sempiternellement sur ses gardes. Tout comme toi, il m’épuise …
Il m’oblige à contrer ma spontanéité. À ne surtout pas prendre d’initiatives, improviser, parce que je me trompe toujours avant d’atteindre un objectif. Parce que j'ai besoin de flâner pour aller vers ma vérité et que cela n'est pas permis.
À faire semblant de savoir aller bien, à faire semblant de savoir faire bien ...
Toi, au moins, je sens que tu ne triches pas. Tu n’as sans doute pas le choix de ça.
Et probablement que tu es un peu triste et même parfois angoissé de ne pas vivre ce avec que tu nous vois composer, alors que toi, tu demeures à côté.
Mais saches que ton mutisme et tes grands yeux ne m’effraient pas. Tu ne dissimules rien et c'est tellement précieux pour moi. Cela me repose.
Excuse-moi de ne pas savoir t’aider à nous rejoindre, vraiment.
J’espère que tu te sentiras de mieux en mieux, - quand tu fais ce qui doit être pour toi cet effort surhumain de venir -, à côté de nous. »
Pour un "soleil inversé".

