Curieux, d’en savoir plus sur Elle, Il farfouille dans les dossiers de sa collègue, en exhume son dossier client et épluche toutes les pièces qu’il contient. Grâce aux papiers d’identité archivés, Il découvre le visage qui va avec ces intonations indéfinissables et délicieusement troublantes. 

Son regard s’illumine, un sourire étire ses lèvres. Puis, aiguillé par l’envie impérieuse de la connaitre, Il passe méthodiquement la Toile au crible pour tenter de dénicher davantage de détails sur Elle.
Il trouve quelques traces, mais rien de vraiment croustillant : ses notes au Brevet des Collèges, celles du Bac, pas de photos 
apparentes, pas de cadavres planqués dans les placards. Visiblement, Elle s’arrange pour rester sous les radars.
En épluchant les relevés de compte, Il découvre ses habitudes de consommation, ses manies, ses magasins préférés. Deux-trois manipulations informatiques, un tour de passe-passe plus tard, Il est officiellement SON banquier, même si, pour l’instant, Elle l’ignore encore. 

Un temps, Elle évite tout contact avec le Lion à l’enseigne bleue et jaune, s’arrangeant pour n’avoir besoin de rien et surtout ne jamais au grand jamais appeler la banque un samedi.Ne pas dépasser son découvert, ne pas planter sa carte bancaire, honorer ses prélèvements : suivre le manuel de la parfaite cliente bancaire. 
Parce qu’Elle renifle le piège, sent le traquenard. Après tout, Elle connait mieux que quiconque les rouages de cet univers parallèle pour les pratiquer avec art, chaque jour ouvré que Dieu fait, alors ? Comment diable pourrait￾Elle se laisser prendre dans des filets qu’Elle tisse elle-même, chaque jour, autour de vous, telle un arachnide au visage de poupée et à la voix de miel ?

Les semaines laissent la place aux mois, Elle donne un peu plus de place à son peintre en herbe, essaie d’y croire un peu, la mayonnaise ne prend pas vraiment, Elle fait semblant un temps, se dit qu’il faut du temps, sans doute…
Et puis, le Destin se moque encore, tend des perches ou fait des croche-pieds pour provoquer des évènements. Sa carte bleue est piratée sur le web « manquait plus que ça ! »
Elle qui pensait s’offrir son jean préféré « le temps de cerises » à un prix défiant toute concurrence se retrouve complétement 
dépouillée en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire.

À bout de nerfs, n’ayant pas d’autres choix, Elle se décide à contacter sa banquière, mais c’est Lui qui décroche, évidemment.
Elle s’étonne un peu que ce soit encore ce type au bout du fil, mais Il explique avec douceur que Madame Cosaly est partie en 
retraite et que c’est donc Lui qui la remplace à présent.Elle tique un peu « elle était aussi vieille que ça, Cosaly ??? » mais ne s’en émeut pas plus que ça.

Là, maintenant, ce qui compte c’est qu’Elle ne peut même plus s’acheter de cigarettes, et sans nicotine, Elle est d’une humeur exécrable, Comme la dernière fois, Il la rassure, la conseille, lui envoie les documents pour opposer ladite carte, engage une procédure interne et débloque pour Elle un retrait d’espèces express au guichet le plus proche.

« Ouf ta journée est sauvée ! »

En quelques jours, tout s’arrange, l’incident est clos. Pourtant quelque chose est né. Quelque chose qui est bâti sur un premier 
mensonge. Cosaly n’est pas partie en retraite, elle est toujours dans le box à côté, mais Il a juste « récupéré » Elle dans le portefeuille de sa collègue, en glissant quelques mots et un clin d’œil charmant pour justifier ce geste, pas très déontologique.
Du haut de son immeuble de bureau parisien, Il l’observe assidûment à distance, à travers les écritures bancaires.