Étonnée, Elle avale la fumée de travers, s’étouffe, tousse, se devine cramoisie – heureusement que personne ne la voit, 
elle perdrait toute crédibilité – puis explique l’objet de son appel.

Son interlocuteur annonce qu’il est le binôme de travail de sa banquière, absente aujourd’hui mais qu’il est à son service 
(« hmmm, bien sûr ! »)
– Dites-moi… en quoi puis-je vous aider ?

La voix tendue, se forçant à garder le contrôle de sa respiration, Elle explique les affres dans lesquels tente de surnager sa génitrice. Très professionnel et sentant probablement l’angoisse nichée dans la gorge de son interlocutrice, Lui écoute, questionne, temporise, énumère les solutions… Elle sait qu’il n’a rien à gagner dans cette histoire puisque techniquement parlant Elle n’est pas sa cliente, mais il prend le temps « gratuitement ».

Lorsqu’Elle commence à se détendre, devant son calme olympien et ses explications pragmatiques, elle se laisse surprendre par ce timbre envoûtant, qui lui parait dangereusement intime et semble comme chuchoter de l’intérieur.
À son corps défendant, Elle sent sa peau s’électriser sous les sourires qu’Elle entend et qui la charment, malgré la distance ou peut￾être grâce à elle. Que ces mots parlent de placements financiers ou d’éternité, de SICAV 
ou de couchers de soleil sur la plage, c’était presque du pareil au même.

« Mais quelle idiote ! Ressaisis-toi par pitié  ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu es malade, tu as chopé la grippe ? Tu vas vraiment te faire piéger comme ça ? »
Et la voilà qui se concentre maintenant sur le trouble que cet homme suscite sur sa peau. 
Comme si de l’autre côté de la ligne, il glissait doucement la pulpe de son index le long de sa colonne vertébrale, comme si sa bouche descendait lentement le long de son oreille, puis de son cou, jusqu’au creux de son épaule, en murmurant dans un langage que Lui seul comprenait.

Elle est là à essayer, vainement, de reprendre le contrôle de ses sens, d’analyser froidement ce grain de voix qui la perturbe 
autant, Elle la maîtresse habituelle de ce jeu de dupes, s’en est presque touchant.
« Tu le sais pourtant que rien ne peut-être plus menteur qu’une voix ? Tu es là à fantasmer sur ce type qui doit être moche comme un pou, pauvre niaise ! »
Piquée par le monologue de son odieuse petite voix intérieure qui la sermonne, Elle s’éclaircit la gorge, remercie très poliment et prend congé au plus vite, comme on s’enfuit à tire d’aile devant ce qui pourrait représenter un danger potentiel. Lui, de son côté, reste un instant songeur en reposant le combiné sur le téléphone de son bureau, tout en haut d’un 
immeuble parisien.
« Joli brin de voix cette fille … »