Le Chardonneret (2014) Donna Tartt
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Le Chardonneret (2014) Donna Tartt
Les aventures pas si ordinaires de l'orphelin Decker
La trajectoire de Donna Tartt est assez intéressante. Née au début des années 1960 dans le sud des États-Unis, elle reçoit une éducation où les livres tiennent une place prépondérante. Elle fait ses études secondaires de littérature dans le Vermont, au Bennington College, où elle croise un certain Bret Easton Ellis. Celui-ci va d'ailleurs lire les premiers feuillets du magnifique Maître des illusions, qui ne sortira que dix ans plus tard, et aura un succès immédiat. Ne prenant pas la grosse tête, Tartt attend une dizaine d'années avant de publier son deuxième roman, Le petit copain, thriller qui retrace une fois de plus l'histoire d'un enfant au seuil de l'adolescence. Fidèle à son habitude, et malgré le nombre croissant de ses lecteurs fidèles qui attendent impatiemment la sortie de son prochain livre, elle mettra encore dix ans à écrire Le chardonneret.
Enfermé dans sa chambre d'hôtel d'Amsterdam, Théodore Decker n'ose pas sortir et ne comprend pas ce que racontent les journaux télévisés, diffusés dans une langue pour lui inconnue. Il voit les gens se réjouir dehors durant ces festivités de fin d'année mais tourne en rond dans sa quasi cellule. Il scrute les informations locales pour tenter d'y déchiffrer les détails de cette opération de police, les journalistes évoquant un meurtre non résolu impliquant un américain ayant un casier judiciaire. Fiévreux, il passe ses journées au lit à faire des cauchemars. Une nuit, il rêve toutefois de sa mère, chose qui ne lui était pas arrivé depuis des années. Il se souvient alors de l'événement tragique qui a déclenché, selon lui, l'ensemble de sa trajectoire future. Il se rappelle aussi quelques moments suspendus avec sa mère, sa beauté, son parfum, ses éclats de rire.
Si Le chardonneret raconte encore la trajectoire d'un enfant devenu grand, Donna Tartt ne choisit pas, ici, au contraire de ses deux premiers romans, la forme du thriller pour raconter son histoire. Ou plutôt le fil narratif de l'intrigue policière n'est pas vraiment primordial. Certes on garde en tête durant la lecture ce tableau mystérieux caché, mais ce qui motive l'avancée de la narration est plutôt la destinée de cet adolescent ballotté entre plusieurs milieux, entre plusieurs familles de raison ou de cœur, et qui se construit petit à petit une identité. L'auteure prouve une fois de plus combien elle a de talent à se mettre dans la peau d'un jeune personnage, et à nous tenir en haleine durant près de 800 pages avec des histoires quasiment banales. Certes les aventures que vit Théo dépassent l'ordinaire, mais on n'est pas non plus dans un roman d'aventure où les péripéties s'accumulent.
Ce qui est passionnant avec Le chardonneret, c'est avant tout le portrait des figures qui vont émailler l'intrigue au fil des pages. Et là où Donna Tartt ne manque pas d'originalité, c'est qu'elle rend les personnages secondaires encore plus fascinants que le protagoniste du récit, qui lui-même ne manque pas de piquant. La mère de Théo, nimbé de tout son amour et de la nostalgie qui entoure sa mort prématurée, possède déjà un aura non négligeable. Et puis Mrs Barbour bien sûr, marque le lecteur par sa présence magnétique, aussi bien attirante que repoussante. Le vieil antiquaire Hobie, tout comme l'ami fidèle complètement fantasque, Boris, ne manqueront pas de piquer notre attention. Et puis il y a bien entendu la jeune Pippa, dont l'autrice se garde bien de ne pas trop en dire mais suffisamment pour nous faire comprendre l'attirance qu'éprouve le jeune homme à son égard.
Au milieu d'eux se situe donc ce Théodore Decker, que l'on va voir progressivement mûrir. Du jeune garçon un peu effacé qui suit sa mère au début du roman, va bientôt naître un homme dont les expériences lui font comprendre combien la frontière entre le bien et le mal est difficile à tracer. Ainsi, sans jamais être pompeux, Le chardonneret contient de nombreux passages assez profonds sur l'art et sur l'existence, et l'on pense à cette fin tout à fait magnifique, qui nous font dire que l'on n'est pas simplement en train de lire un roman divertissant. Les critiques ne s'y sont pas trompés, à lui décerner le prix Pullitzer : Donna Tartt n'est certainement pas une écrivaine de second rang, et elle mérite tout à fait ce genre d'encouragement. Si son troisième roman est moins sauvage, moins brut que ses deux premiers, il n'en est que plus mature et demeure un petit bijou de littérature ; on aurait tort de s'en dispenser.