La familia grande (2020) Camille Kouchner
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La familia grande (2020) Camille Kouchner
Leurs parents avant eux
Dans son premier livre, La familia grande, Camille Kouchner raconte son itinéraire. Elle naît au milieu des années 1970 à Paris, dans un milieu aisé. Son père est Bernard Kouchner, alors médecin et cofondateur de Medecins du monde, qui passe donc beaucoup de temps dans des missions humanitaires et intervient régulièrement dans les médias pour alerter sur la situation sanitaire internationale. Sa mère, Évelyne Pisier, dont la sœur Marie-France est une actrice célèbre, est agrégée de droit public et de science politique, et enseigne à l’université. Ses parents se séparent alors que Camille et son frère jumeau ont moins de dix ans, et ils vivent alors avec un beau-père, Olivier Duhamel, politologue et universitaire. Ils vont bientôt accueillir dans la fratrie deux enfants, adoptés à l’international, et la vie semble continuer son cours, ponctuée de réunions familiales élargies, incluant de nombreux amis. Mais dans le silence des drames se trament : alors adolescent, le frère de Camille lui confie que leur beau-père le viole.
Quand sa mère meurt, à l’hôpital de Toulon, d’une complication opératoire pour tenter de retirer la tumeur dont elle avait été diagnostiquée trois semaines auparavant, Camille n’est pas auprès d’elle. Arrivée plus tard, elle règle avec ses sœurs et ses frères les moindres détails de l’enterrement, y compris savoir si elle portera ou non une culotte, elle qui n’en a jamais mises. À peine arrivés à l’hôtel de Sanary où ils vont loger le temps des funérailles, Camille et son frère jumeau, Victor, se dirigent à l’hôpital où ils rejoignent leur sœur Luz et leur frère Colin. Après avoir fait leurs derniers adieux à leur mère Évelyne, ils vont récupérer ses affaires puis dînent sur la plage en compagnie de leur cousine Rose, fille de leur tante Marie-France. Le lendemain, ils vont dans la propriété d’Évelyne et croisent à peine les amies de leurs parents, attablés sur la terrasse. Ils récupèrent quelques souvenirs de la défunte puis vont régler les derniers détails à la morgue, en compagnie du frère d’Évelyne et de sa compagne.
Ce que nous raconte La familia grande, c’est une histoire familiale complexe, ponctuée de drames et de tragédies, mais aussi de moments heureux. Dans son autofiction, Camille Kouchner prend soin d’être le plus exhaustive possible, du moins parmi les souvenirs qui lui reviennent à la mémoire. Elle raconte ainsi la trajectoire de sa mère, qui, née en Nouvelle-Calédonie, mettait un point d’honneur à être libre. Résolument féministe et de gauche, elle ne cachait pas ses engagements cubains et sa liaison avec Fidel Castro. Grandissant dans une atmosphère libertaire, héritée des idéaux de Mai 1968, la petite Camille gravite dans un milieu aisé, et passe ses étés dans le Sud, où régulièrement viennent de nombreux amis et relations de travail de ses parents, et c’est cet ensemble de personnalités plus ou moins connus qu’elle qualifie de « familia grande », en références à l’Amérique du Sud, dont sont issus ses sœur et frère adoptés là-bas.
Pratiquement au milieu de La familia grande, le ton se durcit avec les suicides des grands-parents de Camille. Évelyne voit à quelques années d’intervalle son père et sa mère disparaître de leur propre volonté, et elle ne s’en remettra jamais. Un jour, Victor se confie à sa sœur jumelle, et elle apprend alors les agressions sexuelles que son beau-père a perpétrées sur lui. Elle respecte le silence qu’il lui impose, et dès lors commence un tunnel de culpabilité et plus tard de crainte quand ils commencent à être eux-même parents. Ainsi Camille Kouchner nous fait part de ses états-d’âme, et c’est en quoi son récit de victime « collatérale » est intéressant. Le point de vue qu’elle apporte n’est pas celui de la personne sur laquelle les outrages ont été commis, mais de celle qui savait depuis le début et ne pouvait pas parler. Elle souffre ainsi de ce silence forcé, et sa douleur est amplifiée par la culpabilité de ne pas pouvoir parler, et de se dire qu’elle n’a pas pu empêcher les faits.
Ainsi après la publication du Consentement de Vanessa Springora, qui a beaucoup contribué à ce que Camille Kouchner se décide à écrire, La familia grande apporte un nouvel éclairage sur la façon dont se déploie la chape de plomb qui entoure les actes délictueux dont se font écho les victimes ayant témoigné durant la vague « me too ». Le livre n’est pas bien écrit, et l’autrice ne se réclame pas de la grande littérature : elle livre les faits sans se soucier de la tournure de ses phrases ni de son style. Son témoignage n’en est pas moins fort, elle raconte son parcours et celui d’une génération, avant elle, qui mettait leur liberté sur un piédestal. Elle raconte aussi assez justement l’histoire de sa mère, combattante féministe au destin sacrifié, qu’elle admire et qu’elle aime malgré tout. Ainsi La familia grande nous montre que, quel que soit le milieu dont nous sommes issus et les tragédies que l’on subit, il est bien souvent difficile de faire la part des choses quand ont est pris dans les injonctions contradictoires de l’amour et de la justice.