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2. Bathyan : le taxi

2. Bathyan : le taxi

Veröffentlicht am 26, Aug., 2024 Aktualisiert am 14, Sept., 2024 Horror
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2. Bathyan : le taxi

Les formalités douanières passées, je me retrouvais dans cette France qui n’en est pas réellement une. Ni département, ni territoire, la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon était le dernier bastion français en Atlantique nord. Un archipel méconnu, loin des côtes françaises, baignant au large de celles du Canada. Un bout de terre avec ses règles locales, une sorte de convention collective opposable à la législation de l’hexagone et répondant aux usages locaux. 6500 âmes réparties de façon inégalitaire entre la petite île de Saint-Pierre et la grande de Miquelon-Langlade. 6000 d’un côté et 500 de l’autre. Langlade, reliée par un isthme à la grande, pour un temps d’ores et déjà compté, restait un refuge préservé. Un petit paradis au sein de cet éden insulaire.
Le contraste de mon arrivée était tout aussi violent que le souvenir de mon atterrissage. Pau, Paris, Montréal, Halifax faisaient figure de fourmilières géantes en regard de Saint-Pierre-et-Miquelon. Quelques minutes avaient suffi pour me retrouver quasiment seul. Les employés de l’aéroport s’étaient volatilisés. Les autorités avaient suivi. Il ne restait que quelques passagers encore à discuter avec des connaissances, des amis ou membres de famille. Comme je fermais la marche par manque d’habitude en ce territoire inconnu, cela me permit de rapidement me retrouver face à mon chauffeur. J’avais réservé un taxi qui m’attendait pour me conduire à l’hôtel Norbert. Il me conduisit à sa voiture, petite, simple et je fus surpris qu’il m’invite directement à la place du mort. Sans mot dire, je m’installais dans sa voiture dépourvue de plaque minéralogique à l’avant. Le soulagement d’être sur la terre ferme, après un périple éprouvant fait de trois escales et quatre vols, m’invitait déjà à la somnolence tandis que le taxi s’enfonçait dans cet inconnu qui s’ouvrait à moi. Comme si la brume n’existait pas, il roulait sur une route dépourvue de trottoir et d’éclairage.
— Ça va se dégager. Ça se dégage toujours, mais cette année, ça dure un peu plus que d’habitude.
Je n’avais pas envisagé de faire la conversation, mais mon chauffeur avait ouvert le bal.
— C’est-à-dire ?
— Ben là, ça fait trois semaines, mais le soleil revient cet après-midi.
— Ça va me laisser le temps de dormir un peu, lançais-je pour justifier mon manque d’empathie. C’est éprouvant ces trajets avec correspondances multiples.
— Ha ça ! Forcément, t’as pas eu le vol direct. Celui-là, faut le prendre avant la fin de l’année pour l’été à venir. Tu viens d’où ?
— Pau.
— Je vois. T’as fait la totale. Et oui, la continuité territoriale, c’est pas pour tous.
Je sentais venir le sujet sensible qu’il valait mieux que je laisse rapidement de côté. Je tournais alors la tête vers la fenêtre, comme je l’avais fait dans l’avion pour fuir la réalité de la situation. Bordant la langue de bitume qui s’ouvrait devant le taxi, les maisons s’affichaient en robes aux couleurs extravagantes. C’était une chose de le voir sur internet, c’en était une autre de les découvrir, jaillissant de la brume en un arc-en-ciel de couleurs vives. Bleues, jaunes, vertes, mauves, blanches, sans lien entre elles, les bâtisses offraient la palette de leurs façades à tambours sans aucune pudeur visuelle. Était-ce comme à Saint John’s ? Une palette de couleurs à destination des marins, heureux et avides de retrouver leur maison tandis qu’ils rentraient de la pêche ? Le feu d’artifice multicolore cessa un peu plus loin, en ouvrant à peine l’horizon toujours bouché sur l’étendue d’eau qui baignait la ville. Des cabestans rouges tenaient quelques embarcations, mais nombre d’entre elles s’accrochaient sur des pontons flottants.
— Et t’es là pour quoi ? Affaire ou tourisme ? 
— Tourisme.
— Ben ça. Faut nous chercher hein. En dehors des croisières avec un sacré panel de nationalités, on a plus souvent des Canadiens, des Américains que des métros. Elle t’es venue comment cette idée de venir nous voir ?
— Une discussion pendant une fête basque, à Bayonne. Paraît qu’il y a beaucoup de Basques ici.
— Un sacré paquet ! Basques, Bretons, Normands. Ce sont les trois régions sur notre drapeau.
— Par contre, vous n’avez pas la référence acadienne dessus ?
— Effectivement, mais tu trouveras l’étoile d’or sur des drapeaux tricolores. T’a l’air de t’y connaitre un peu quand même ? T’es prof ?
— Non, linguiste et j’ai hâte de découvrir tout ça, lançais-je simplement. Un peu pour clore la discussion je l’avoue.
— Et sinon, comme t’es venu seul, t’es célibataire ?
— Oui. 
— C’est plus facile pour voyager hein. Tu voyages léger comme ça. Sans obligations, sans attaches.
— On peut dire ça oui.
— Aie. Des problèmes de famille ?
— Non, je disais juste qu’être solitaire ça a ses bons côtés, mais pas que des avantages non plus. 
— Ha. Ok.

L’école de voile occulta un instant mon champ de vision, avant de l’ouvrir de nouveau sur de plus grosses embarcations. J’esquissais un sourire devant la beauté du paysage opacifié par la brume quand Mikel vint brusquement échouer son taxi de l’autre côté de la route.
— On y est ! T’as vu, rien n’est vraiment très loin ici, mais ça reste pratique le taxi. Tu vas pouvoir te poser un peu. Si t’as besoin t’appelles, conclut-il en me donnant sa carte de visite.
L’hôtel se dressait devant moi, grande façade blanche enveloppant un restaurant. Je ne lui fis pas remarquer que j’avais déjà son numéro pour avoir effectué la réservation, et lui tendis ma carte bleue. Le terminal électronique de paiement valida la transaction. Mikel, comme l’indiquait la carte de visite, m’aida à poser ma valise sur le trottoir et son taxi s’enfonça dans la ville que je ne connaissais pas encore.

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3. Bathyan : l'hôtel

Couverture, crédit photographique : why kei sur Unsplash

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