

J'ai habité la maison du Veuf
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J'ai habité la maison du Veuf
J’ai habité la maison du Veuf.
Son salon était bordeaux, poussiéreux et démodé.
Tout y avait la senteur jaune du moisi, le désordre, la douleur de ceux qui ont longuement vécu après le deuil.
Comment me suis-je retrouvé là?
Il commençait à faire très froid.
En traversant le couloir, je suis allé fermé la porte.
Je l’ai claquée, j’ai soulevé la poignée de ces mains qui étaient moi, imprimé une épaule étrangère sur le bois. Ainsi que l’on s’en use des vieilles portes.
Fermée.
Je décidai alors de lire Le Bateau Ivre.
Car de tous les poèmes, celui-là ressemble
Au devoir sans faille d’un écolier
Et j’avais si besoin d’enfance
Au fond de cette demeure de deuil.
C’était Rimbaud.
(celui encore à la chemise repassée
Plein de rimes et. de syllabes
À Gare de l'Est),
Mais je lisais à peine : car au fond je repensais
À d'autres cols froissés
À d'autres gares détruites
À d'autres rimes, et d'autres souvenirs
L'hiver était cruel
Dans les rues neutres et anguleuses de Bruxelles.
On allait de bar en bar,
Toi l'éclair,
Moi le tonnerre,
Derrière toi.
On aimait tous les deux follement la bière.
On traversait les bars
Comme dans du beurre
En ricanant
Comme de petits satans
J’étais Rimbaud, et toi Verlaine - ou plutôt :
Moi Verlaine et toi Rimbaud,
Car de nous deux je crois
Que je fus seul à croire
À notre histoire
Du moins qu’il y avait
plus qu’un simple jeu d’hiver entre nous deux,
Plus qu'un simple jeu de bière entre nos yeux.
Tu étais l’espiègle, et moi l’amoureux.
Mais si alors j’étais un diable
C’est que je suivais tes pas déments
Et voulais terriblement
T'être semblable
Pour toi, tous les jeux étaient légers,
Et les valeurs égales :
Tu m’en as voulu d'ainsi parler
De choses graves.
Car nos poumons n’étaient pas également noirs.
Tu m’as reproché l'esprit sérieux,
La dictée des conséquences,
Tu as ricané des amoureux
Et tu as vu dans mon silence
Tu as vu soudain, que j’étais faux,
Un simple imitateur
Qui par amour s’était encanaillé.
Et ton regard s’est déposé sur moi, défasciné.
Quand je lève la tête de mon rêve, il fait déjà nuit.
Les carreaux maigres des fenêtres sont embués.
Le robinet goutte à fréquence régulière.
Dans l'air, une odeur métallique, une odeur de zinc et de moisi.
Il fait de nouveau très froid.
Au fond du couloir, encore la porte s’est déclose.
Je la referme.
En me retournant, les lumières se sont éteintes.
Alors je sais, je sais que la mort s’est glissée dans la maison.
Je crois entendre de légers pas ferrés, mais je n’ai pas vraiment peur.
Je sais au fond qu’aucune présence n’est menaçante.
Qu’il n’y a, au pire, que les pensées muettes du veuf dont j’emprunte la maison.
Ce veuf qui devait attendre la nuit pour laisser ses livres de côté, et mieux ressentir cette raide présence.
Sur la chaise, je vois se dessiner mon manteau neuf, qui se détache, intrus, de trop, dans ce vieux salon de poussière rempli de deuil et de babioles.
La mort est entrée dans la maison.
J’ai beau fermé la fenêtre de la cuisine, où une dernière lumière avait oublié de s’éteindre.
Les interrupteurs ne fonctionnent plus. Tout est indistinct.
Je vois des monticules de fantômes là où se dressaient les piles de livres.
Le vieux chauffage à gaz n’émet plus aucun bruit.
Tout est devenu gris. Alors, on ne peut pas s’y méprendre : ce n’est pas un gris nostalgique, ce n’est pas celui du souvenir, c’est l’envers de la couleur et de la vie : un gris de mort, et ça m’aspire.
Et j’ai beau me draper, j’ai beau m’emmitoufler.
Rien n’y fait : la froideur plane, raide, infuse, et devient immensément énorme autour de moi.


Jackie H vor einem Monat
Soit c'est la mort qui arrive, soit il est temps de se barrer (parce qu'on réalise enfin qu'on a fait son deuil, que ce dont on a fait le deuil est bien mort et ne reviendra plus jamais, et que ce n'est pas la peine d'attendre encore, si on attend encore on attendra en vain et c'est soi-même qui finira par en mourir...)