Chapitre 9 - Où il est question du ‘Tombeau de Merlin’
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Chapitre 9 - Où il est question du ‘Tombeau de Merlin’
Samedi 1 novembre 2014, vers 7h00
Je me réveillai assez tôt ce samedi matin sans qu’aucun bruit extérieur ne soit pourtant venu perturber mon sommeil. Aucune activité n’était encore perceptible dans la maison non plus. Je me souvins m’être couché avec le dictionnaire mythologique dans les mains, bien décidé à en lire plusieurs chapitres mais je m’étais apparemment endormi avant d’avoir atteint la lettre C. Qu’à cela ne tienne, je le garderais dans ma poche, au cas où j’en aurais besoin dans la journée.
Le moment était venu de mettre de l’ordre et d’établir des relations entre les évènements qui nous avaient été relatés et ceux que nous avions suscités. Si le schéma général de l’histoire m’apparaissait assez clairement à présent, quelques zones d’ombres subsistaient et, paradoxalement, les jeux de lumière que j’avais aperçus la veille depuis l’arrière du domaine étaient l’une de ces zones d’ombre.
La porte était au bout du couloir, je n’avais que quelques pas à faire pour peut-être en avoir le cœur net… Je savais que cette idée me tracasserait sans cesse et que l’heure n’était plus aux spéculations. Je me levai alors, m’habillai promptement, et m’affublai à nouveau dans le « petit salon » avec l’équipement fourni par Aurélien, équipement qui serait ma justification pour l’impolitesse à laquelle j’allais donner libre cours.
Je sortis sans bruit et me dirigeai prudemment vers la chambre concernée, éclairé par quelques veilleuses. Un rai de lumière filtrait doucement sous la porte. Je tentai d’actionner la clenche mais elle ne s’ouvrit pas. J’étais à la fois déçu et soulagé en regagnant mon espace personnel mais mon esprit ne s’avouait pas vaincu. Je laissai mes neurones s’agiter en arrière-plan dans mon cerveau jusqu’au moment où ils me présentèrent une idée folle :
Le grenier ! Il y avait une fenêtre au-dessus de chaque chambre ! Si je fixais mon portable à une ficelle et que je le laissais descendre par la bonne fenêtre après avoir activé la caméra, je découvrirais peut-être ce qui se cachait là !
L’instant d’après je retrouvais mes bonnes manières.
Je ne peux pas faire cela, je suis invité ici !
Et puis revenait ce petit frisson d’adrénaline :
Et quoi ! Nous étions dans une enquête, pourquoi n’aurais-je pas pu prendre ce type d’initiatives ? Aurélien allait me voir avec ses caméras et alors ? Il m’avait bien incité à « emprunter » le dictionnaire, j’étais déjà catalogué !
J’enlevai les lacets de mes baskets, les nouai solidement entre eux puis sortis une nouvelle fois. J’abordai le plus silencieusement possible les marches qui menaient au grenier malgré mes chaussures désaccordées. Arrivé devant la fenêtre qui surplombait la chambre concernée, je glissai une des extrémités du cordon entre mon téléphone et sa coque et je fis quelques mouvements pour tester la résistance de ma ligne et de ce montage improvisé.
Je mesurai grossièrement la longueur qui devait correspondre à un étage puis j’ouvris la fenêtre et je commençai ma manœuvre. Je n’appâtais pas à la mouche mais à la pomme 1 et si je n’avais pas le doigté du pêcheur, j’espérais néanmoins faire une touche, ce qui est le minimum quand on utilise un clavier comme hameçon !
Le téléphone pivota sur lui-même et effectua une succession de demi-tours tout en continuant sa descente. Une fois que j’estimai avoir laissé filer assez de cordelette, je fis passer et repasser mon appât devant la fenêtre.
Avec un peu de chance, l’objectif balayerait l’ensemble de la pièce et je ne rentrerais pas bredouille.
J’attendis une bonne minute avant de remonter ma ligne et de décrocher le téléphone, au sens propre. Je dus tirer un peu sur la cordelette, l’appareil s’étant sans doute coincé dans un des liens tendus sur la paroi pour soutenir les rosiers et soudain il n’y eut plus de résistance au bout du fil. L’instant d’après j’entendis un bruit de feuillage. Le portable avait glissé le long de la ficelle pour atterrir deux étages plus bas dans les rosiers!
Je maudis silencieusement mon initiative foireuse, enfilai consciencieusement à nouveau mes lacets en m’obligeant à les passer dans chaque œillet car je voulais surtout éviter de tomber dans les escaliers puis je descendis discrètement les deux étages, m’attendant à me trouver à tout moment nez à nez avec l’un ou l’autre de nos hôtes. Je parvins néanmoins devant la plate-bande sans faire de rencontre et j’estimai l’endroit de la chute par rapport à la position de la fenêtre. Là je vis le téléphone, heureusement assez accessible, mais je me griffai néanmoins une main en bataillant avec les rosiers puis je retournai précipitamment dans ma chambre. Enfin je lançai la séquence et suivis la danse de l’appareil pendant sa descente. J’avais bien jaugé la distance entre les deux fenêtres car le portable s’était arrêté pratiquement au milieu de l’étage. Il me montra l’angle de la fenêtre et engagea petit à petit son lent mouvement de rotation.
Heureusement la chambre était suffisamment éclairée pour que la cellule photographique du portable puisse se repaître de l’intérieur. Je restai littéralement stupéfait. Je prie le lecteur de ne pas m’en vouloir de garder pour moi encore un peu ma découverte mais après tout c’est moi qui avais pris les risques et je promets de tout raconter avant la fin de ce récit.
Les derniers instants de la séquence me permirent de découvrir la tête passablement surprise de Blaise qui venait de rentrer dans la pièce et qui fixait la course pendulaire de mon téléphone ! Je fus pris du réflexe totalement idiot de mettre la lecture sur pause comme si cela avait pu stopper rétroactivement son déplacement hors de la vue du vieil homme mais il était trop tard pour rattraper ma bourde. Blaise avait vraisemblablement eu le loisir de vérifier que j’étais bien l’auteur de cette petite farce.
Je supprimai sans regret l’enregistrement de mon téléphone et me recouchai sur mon lit, le temps que mes idées cessent de danser dans ma tête. Quelques instants plus tard l’objet de mon délit vibra sans prévenir, ce qui me fit sursauter. Ce n’était heureusement que Nolwenn qui voulait savoir si j’étais réveillé et si
je pouvais la rejoindre dans sa chambre. Je lui envoyai une rapide confirmation et tâchai de reprendre une contenance avant de ressortir.
Pour ne rien arranger à ma gêne, Blaise apparut au bas des escaliers et m’apostropha gentiment :
« Bonjour Erwann ! As-tu bien dormi ? Aucun furet n’est venu vadrouiller au-dessus de ta tête ? Il arrive que l’un de ces animaux passe l’hiver dans le grenier… »
Je lui répondis avec un aplomb bien à-propos qui m’étonnait parfois :
« Au contraire, j’ai dormi comme un loir ! »
Je laissai là mon hôte qui arbora un sourire convenu à ma répartie et je toquai à la porte de ma cousine. Elle me fit entrer sans attendre et tiqua sur les griffures de mes mains :
« Tu t’es blessé ?
— Dans les rosiers, en revenant du jardin hier soir avec Maïwenn. »
Elle me regarda d’un air entendu.
« Quoi, il ne s’est rien passé ! » me justifiai-je.
Sans transition Nolwenn me montra les dessins qu’elle avait pris la veille dans la malle.
« J’ai regardé attentivement tous les pastels de ma mère et quelque chose m’intrigue. J’ai la sensation que ces dessins veulent me dire quelque chose ! »
Elle cherchait à trouver du sens à ce qui n’avait été probablement qu’un prétexte pour nous faire monter au grenier.
Voyant que je ne réagissais pas, elle poursuivit, plus vindicative :
« Comme si j’entendais une petite voix dans ma tête ! »
Mince ! Je ne l’avais pas prise au sérieux, mais se pourrait-il qu’elle ait reçu un message dans son casque et qu’elle cherche à le déchiffrer ?
Elle constata que j’avais enfin deviné son problème et conclut :
« Seulement je n’ai pas le don d’illumination 2, moi ! »
Un peu pour plaisanter je lui répondis :
« Mets ton pouce dans la bouche et mords le ; tu provoqueras peut-être une vision…
— Quoi ?
— C’est l’une des techniques de divination des druides...
— Tu ne te moques pas de moi j’espère !
— Non, je suis très sérieux ! »
Nolwenn était perplexe. Elle me regarda en pensant très certainement qu’il n’y avait que moi pour avoir des idées aussi biscornues mais je la vis s’exécuter lentement, comme si les règles de l’univers dans lequel nous nous mouvions pouvaient se conformer à mon excentricité. Je voyais bien dans ses yeux qu’elle me pardonnerait difficilement si cette tentative terminait dans le bêtisier de la série…
A ma grande surprise une voix bourdonna dans l’oreillette de Nolwenn.
Aurélien avait sans doute trouvé que ma remarque était suffisamment cohérente avec l’esprit de l’histoire et qu’il pouvait y accéder !
Je ne compris pas ce qu’elle disait, j’attendis donc patiemment la fin de la transmission.
C’est malin, maintenant, il ne manquerait plus que je doive l’implorer pour savoir ce qu’elle a entendu.
Pourtant Nolwenn ne fit aucune difficulté pour me raconter sa vision.
« Maïwenn, Lughan et moi étions tous les trois devant le moulin, la porte était fermée, comme sur le dessin. Lughan s’interrogeait au sujet de la bâtisse.
« Ce n’est pas un vrai moulin !
— Pourquoi dis-tu cela ? demandai-je.
— Les vrais moulins ont des ailes, celui-là n’en a pas.
— C’est vrai, la plupart des moulins ont des ailes, mais celui-ci n’en a pas besoin car la roue dans l’eau tourne et entraîne d’autres roues dentées reliées à deux grosses pierres qui frottent l’une contre l’autre et écrasent les grains de blé.
— Et les roues sont encore dans le moulin ?
— Oui.
— Avec leurs dents ?
— Oui, le moulin pourrait fonctionner à nouveau. Tu veux les voir ?
— On n’a pas le droit !
— Personne ne le saura… Regarde, j’ai trouvé la clé ! J’ai surpris Mamie en train de la cacher. Alors, on entre ?
— J’ai peur du noir ! » répondit le garçon. »
« C’est tout ? demandai-je.
— Oui, mais je pense que la suite me reviendra, plus tard… »
Nous fûmes conviés à prendre le petit-déjeuner ensemble et, après quelques politesses d’usage sur la nuit, Maïwenn se tourna vers Blaise et relança le débat ouvert la veille :
« Tu as dit qu’une nouvelle assemblée devrait se tenir à l’avenir, reproduisant celle du passé, mais qui parlera au nom des druides et des sidhés aujourd’hui
disparus?
— Gwench’lan pensait que Merlin et Viviane formaient un couple sacré, qu’ils se retireraient du Monde, se mettraient en situation de dormance pour mieux revenir un jour parmi nous et terminer ce qui était commencé.
— Donc vous attendez et espérez leur retour ?
— Oui, confirma le vieil homme.
— Même les légendes ne partagent pas votre optimisme ! rétorqua Nolwenn. Il semble que le temps ait définitivement séparé ces deux protagonistes ;
— L’hotié 3 de Viviane est à une extrémité de la forêt, à côté du Val sans Retour, alors que le tombeau de Merlin est près d’ici, à l’autre extrémité de la forêt ! Leur amour n’a pas même franchi le cap d’une sépulture commune ! »
Pelléas intervint :
« Il est bon de prendre parfois un peu de recul avec ce qui nous semble évident aujourd’hui. Au XIXème siècle les bretonnants n’étaient pas tous d’accord sur l’emplacement de la forêt de Brocéliande elle-même ! Et donc initialement le Val sans retour était situé près d’ici également, à quelques pas du tombeau de Merlin. C’était une simple dénivellation située dans la vallée de la Marette, où était extraite au XVIIème siècle l’hématite rouge qui alimentait les fameuses forges de Paimpont...
— Pourquoi aurait-il été déplacé ? poursuivit Nolwenn.
— Les forges engloutissaient du charbon de bois à la pelle et de nombreux charbonniers s’étaient installés sur place. Au milieu du XIXème siècle la vallée n’était plus que landes et taillis et convenait de moins en moins à la représentation que l’on se faisait d’un lieu sauvage et impénétrable. En place de tours enchantées, de châteaux merveilleux, de prieurés et d'abbayes, on ne trouvait plus qu’une usine métallurgique dans laquelle le minerai se transformait non plus sous la baguette d'une fée, mais sous le souffle de puissantes machines et sous le poids d’énormes marteaux que l'industrie, la nouvelle fée de ce siècle, faisait marcher à son gré. »
Je me souvenais avoir déjà lu cette description dans un des nombreux documents que je m’étais procuré ! Pelléas avait dû l’apprendre par cœur 4 !
Blaise compléta :
« Pendant la première guerre mondiale la forêt a continué à faire l'objet d'une exploitation importante et laissait apercevoir d'immenses espaces tondus ras comme tête de fantassins… »
Comme la veille, les trois « anciens » déroulaient leur trame. Ce fut au tour d’Hélène à présent :
« L'appellation ‘Val sans Retour’ a alors été transférée à une vallée rocheuse près du village de Tréhorenteuc et une petite allée couverte composée de dalles de schiste pourpre fut désignée comme étant ‘la maison de Viviane’, à jamais séparée de son amant…
— Les landes se sont étendues en périphérie de la forêt, continua Pelléas, l’érosion a fait ressortir la roche et revivre les antiques mégalithes ce qui, paradoxalement, a contribué à ranimer les braises de la légende et acter la transfiguration mythologique des lieux. Tout ce qui touche au feu, aux flammes, aux soufflets des forges est nécessairement en lien avec les légendes. »
Nolwenn demanda :
« Certains textes décrivent plutôt le tombeau de Merlin comme un palais de cristal, ou une tour de verre et non comme une allée couverte à moitié disparue comme on le voit aujourd’hui. Où est la vérité ?
— La légende se nourrit de l’histoire et vice-versa. Il est vrai que le tombeau actuel ne rend pas hommage au vieux mage mais au début du XIXème siècle les archéologues pensaient que les monuments mégalithiques étaient des traces de la société celtique alors il paraissait logique que Merlin ait pu être enterré sous un dolmen. »
Nous nous regardâmes, Maïwenn, Nolwenn et moi, comme si nous devions statuer sur la plausibilité de la thèse défendue par nos hôtes.
Maïwenn reprit :
« Comment croire aujourd’hui dans les prophéties sur le réveil de Merlin ?
— Parce qu’il y a déjà eu un précédent ! répondit Blaise.
— Que voulez-vous dire ? demandai-je.
— Des prophéties attribuées à l’enchanteur lui-même annonçaient le retour d’Arthur que les poètes et les bardes avaient laissé à Avalon, entre les mains de Morgane, après sa terrible blessure à Camlann contre Mordred, son « neveu ». Nous sommes persuadés qu’Arthur est revenu, tout du moins son esprit, à la manière des anciennes croyances…
— Son esprit ? s’étonna Maïwenn.
— Oui, qui se serait incarné dans un nouveau héros.
— A qui pensez-vous ?
— A un jeune homme qui a lui aussi grandi sans connaître son père et qui a rallié la noblesse autour de sa bannière pour combattre l’envahisseur, un jeune homme qui a lui aussi malheureusement péri dans une confrontation entre l’oncle et le neveu, un jeune homme enfin qui portait lui aussi ce prénom d’Arthur et ce même titre de Duc de Bretagne ! »
Je compris soudain à qui Pelléas faisait allusion bien que jamais je n’avais appréhendé la vie de ce personnage sous cet angle.
J’énonçai mon hypothèse :
« Le dernier-né des Plantagenêt ».
Les regards s’étaient tournés vers moi, naturellement…
« Exactement, s’enflamma Blaise, la dynastie qui a dirigé une bonne partie de l’Europe au XIIème siècle ! Tout a commencé au moment où Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre, a décidé de donner tort aux prophéties de Merlin qui concernaient le retour d’Arthur. Nombreux étaient à l’époque ceux qui espéraient la fin de la domination anglo-saxonne et le retour des Bretons sur la terre de leurs aïeux. On s’enthousiasmait, on se motivait mutuellement, on incitait au nom de Merlin les légitimes propriétaires de l'île de Bretagne à revendiquer leurs droits de tous les lieux du monde où ils vivaient obscurs et dispersés, depuis la chute de leur dernier roi. On les appelait dans leur patrie depuis tous les rivages de l'Océan, ceux de l'Armorique, de la Cambrie, de l'Ecosse, de Cornouailles, de tous les lieux où ils se trouvaient 5. Alain de Lille, un savant de l’académie de Paris surnommé ‘Le docteur Universel’ à cause de son savoir encyclopédique, a même consacré sept livres au prophète, relevant que chez les Bretons d’Armorique, où cette attente était particulièrement forte, il eut été dangereux de remettre en cause cette prophétie car on risquait d’être hué par la foule et accablé de malédictions, sans compter le danger d'être tué à coups de pierres. 6»
Pelléas laissa passer quelques instants et reprit :
« Dans les années 1190, un barde nommé Gérard de Barri aurait certifié à Henri II Plantagenet que cet Avalon ou repose Arthur est Glastonbury. On pensait depuis longtemps déjà 7 que l’église de Glastonbury n’est pas une église comme les autres et qu’elle avait été fondée par les disciples du Christ, plus exactement par Joseph d’Arimathie ! »
Le même Joseph d’Arimathie dont il avait été question la veille, et qui était censé avoir recueilli le sang du Christ dans ce qui deviendrait le Graal !
« Mais Glastonbury n’est pas une île ! m’étonnai-je.
— Bien sûr, reprit Pelléas, à peine un îlot envasé dans un marécage comme le disait Félix Bellamy ! Mais ce brave écrivain, si infatigable à parcourir les sentiers de Brocéliande et victime de son patriotisme local, n’a jamais mis les pieds outre-Manche et ne se faisait pas la moindre idée de la lagune qu’il décrivait si cavalièrement. »
Blaise développa l’argumentaire :
« Nous nous sommes rendus à Glastonbury. Comment pourrions-nous oublier la première fois où nous nous sommes arrêtés, à mi-chemin sur la route de crête entre Downside et Wells, pour contempler dans le lointain, entre la double avancée de collines des Mendips et des Quantocks, la silhouette du Tor 8,
dominée par la tour Saint-Michel et dominant elle-même la vaste plaine ou d’innombrables miroitements d’eau trahissent parmi les herbages la présence, toujours envahissante, de la mer qui scintille à l’horizon 9 ?
— D’ailleurs, enchaîna Pelléas, dans l’épilogue du Perlesvaux, ce roman courtois appelé encore Le Haut Livre du Graal, il est dit « le latin, d’où cette histoire a été traduite en langue romane, a été pris dans l’île d’Avalon, dans un monastère qui est à la tête des marais aventureux, et où le roi Arthur et la reine Guenièvre reposent, selon le témoignage des bons religieux qui y sont et qui en ont toute l’Histoire. » Il n’y a pas de doute qu’à cette époque la tradition qui identifie Avalon avec le monastère de Glastonbury ait pu être communément acceptée. »
A nouveau Blaise :
« Donc Henry II mit au point un stratagème avec l’un de ses neveux, le propre abbé du monastère 10, afin de retrouver le corps du roi et de revendiquer sa succession ! Nous pensons que ce sacrilège est à l’origine du déclin de son règne et des nombreux drames qui ont déchiré sa famille… mais peut-être peut-on demander à Erwann de nous faire un résumé de cette lignée et de sa fin tragique ? »
Bien sûr, Aurélien n’avait pas hésité à modifier un peu le déroulement du scénario pour me laisser la parole…
« Si vous voulez… dis-je en cherchant comment amorcer mon récit. Je vous propose de remonter en 1152, l’année où le tout jeune roi d’Angleterre et duc de Normandie Henri II épouse Aliénor d’Aquitaine, à peine répudiée par son premier mari, le roi de France Louis VII lui-même, peut-être parce qu’au bout de quinze ans de mariage elle ne lui avait donné que deux filles ! Bien mal lui en a pris car ce divorce aura des conséquences énormes pour toute l’histoire de
France… Henri II et Aliénor auront de nombreux fils eux 11, Guillaume, Henri, dit le jeune, Richard, le futur Cœur de Lion, Geoffroy, le futur père d’Arthur et pour finir, Jean, que tout le monde connait sous le nom de Jean sans Terre car ce cinquième fils, trop loin dans la succession, n’avait en principe aucune chance de régner… Personne n’imaginait à l’époque qu’il deviendrait un jour roi d’Angleterre ! »
Je m’étais tourné vers Pelléas. Ce dernier m’encouragea à poursuivre.
Après tout, je n’avais pas ma casquette de professeur, je pouvais adhérer aux thèses les plus rocambolesques sans me sentir coupable !
Je repris alors :
« Guillaume mourut en bas âge, Henri le jeune décéda de la dysenterie en 1183, Geoffroy fut victime d’un accident de tournoi en 1186, et Henri II lui-aussi s’éteignit avant son heure en 1189, peut-être de dépit d’apprendre que l’unique petit-fils qu’il aura connu, et qui aurait dû s’appeler Henri comme lui-même, fut appelé Arthur par sa mère ! »
Blaise intervint à nouveau, un livre à la main :
« Henry n’aura pas eu le temps de voir les effets de sa supercherie. Il est mort avant que soient mis à jour un sarcophage 12 au cours de travaux dans l’abbaye suite à un incendie. Ce sarcophage était adossé à la chapelle souterraine de Joseph d’Arimathie et contenait les os d’un homme d’une grandeur extraordinaire ainsi que ceux d’une femme dont la tête était encore couverte d’une magnifique chevelure blonde… Richard Cœur de Lion reprit la découverte à son profit. Nous en avons l’attestation dans les écrits des chroniqueurs de l’époque :
« Arthur a été retrouvé de nos jours à Glastonbury, entre deux pyramides de pierre élevées jadis dans le cimetière, gisant profondément en terre dans un tronc de chêne creusé et, solennellement transféré dans l’Eglise, il a pieusement été déposé dans un tombeau de marbre. Une croix de plomb placée sur une pierre, non à l’endroit, mais à l’envers disait : Ici gît l’illustre roi Arthur enseveli avec Wenneveria, sa seconde femme, dans l’île d’Avallonie 13. »
Au XIXème siècle Hersart de la Villemarqué précisait même :
« Les cheveux blonds, qui étaient nattés avec un art infini, indiquaient naturellement que la reine Guenièvre n'avait pas voulu être séparée de son mari après sa mort, quoiqu'elle n'eût guère tenu à sa compagnie pendant sa vie. Le roi d'Angleterre, prévenu de la découverte, se rendit sur les lieux, et, après avoir constaté de l'œil et du doigt la mort d'Arthur, si bien démontrée par ses restes et son épitaphe, il ordonna qu'on fasse de magnifiques funérailles à l'illustre monarque. Il ne dut pas plaindre la dépense car il se croyait amplement dédommagé par le tort que devait faire aux Gallois la perte de leur rêve le plus cher 14. »
Mais Richard eut beau exhiber les cheveux dorés et parader avec l’épée retrouvée là également et aussitôt reconnue comme étant Excalibur, rien n’y fit, il fut la victime suivante… »
Pelléas me fit signe de continuer :
« Effectivement, Richard est mort en 1199, dans les bras de sa mère, d’une infection provoquée par un carreau d’arbalète 15. Il n’a laissé aucun testament. Si son frère Jean apparaissait comme son héritier tacite il existait néanmoins à la cour d’Anjou des règles successorales pour faire passer les droits du neveu avant celle du frère cadet. Or le jeune Arthur était le neveu de Richard et son père Geoffroy était le frère ainé de Jean… Ses partisans, parmi lesquels comptait le roi de France, le poussèrent à revendiquer le trône d’Angleterre et toutes les possessions du Plantagenêt ! »
Nouvelle intervention de Blaise.
« Le royaume mythique du grand roi Arthur était à portée de main. Les Bretons proclamaient imprudemment que leur jeune Duc serait l’exterminateur futur de tous les Anglais. Malheureusement Jean parvint à s’emparer de son rival 16 et il l’a vraisemblablement égorgé lui-même dans les douves du château de la Tour de Rouen en 1203. Il venait d’avoir quinze ans ! »
Les réactions à cet ignoble assassinat furent nombreuses et les conséquences pour le roi Jean désastreuses comme nous allions le découvrir dans le scénario suivant. Une fois encore, ce fut Hélène qui se chargea de clore le sujet du retour d’Arthur.
« Les espoirs du peuple breton furent une nouvelle fois déçus, mais les nôtres sont intacts ; si Arthur est revenu, alors Viviane et Merlin pourront revenir, eux aussi ! »
Maïwenn, qui n’était pas encore intervenue, ne partageait pas l’optimisme d’Hélène.
« Je croyais que Merlin avait été enserré dans son tombeau contre son gré, que Viviane le tenait captif après lui avoir extorqué ses pouvoirs ! »
Hélène se tourna vers elle, nullement déstabilisée.
« Merlin savait que Viviane allait l’enfermer et nous pensons qu’il l’a accepté parce qu’il avait compris que le Paradis perdu ne pouvait être retrouvé qu’au prix d’une renonciation, d’un sacrifice, le retrait du monde des réalités trompeuses, le grand écart. Viviane connaissait les secrets du monde et ne les a partagés qu’avec des êtres privilégiés. Ses amours avec Merlin ont dépassé de loin le cadre de l’histoire sentimentale. Elle était la Déesse des Commencements et des Permanences, son règne ne pouvait pas avoir de fin. »
Blaise vint appuyer les dires de sa sœur :
« Merlin ne pouvait plus vivre dans un monde où dominaient les contradictions, les illusions et les violences. Ce déchirement qui s’est opéré en lui est ce que l’on a appelé sa folie. Sa transformation a commencé dans les bois et elle le conduira au plein épanouissement. Il a accepté l’enserrement car il avait compris que vivre en dehors de la Nature c’était se vouer à la destruction 17.»
Hélène acquiesça à l’intervention de Blaise et reprit :
« Les moines qui ont couché cette histoire sur le papier au Moyen Age ne pouvaient conserver une telle lecture des faits. Merlin devint le fils du diable et d’une vierge, un vieux mage libidineux et amoureux que Viviane, jeune femme perfide, allait conduire au tombeau, usant de traîtrise et mettant en jeu contre lui les secrets d'ingromancie que, dans son aveuglement, il lui avait livrés en gage d'amour. La belle et suave tradition merlinique, telle qu'elle nous a été présentée dans le Roman de Merlin s’est trouvée ainsi complètement pervertie. Je préfère croire qu’ils ont trouvé l’amour et ont décidé de se retirer du monde pour vivre leur idylle, immortels, toujours jeunes, toujours beaux, jamais rassasiés, tissant sous le bosquet d'aubépine une existence d'inaltérable félicité 18… »
Cette opinion ne pouvait que convenir à ma cousine :
« C’est aussi ce que je m’imaginais, sans le savoir encore, quand je jouais avec mes poupées. Quand on est enfant, une fée n’est pas censée être perfide, sa baguette se termine par une étoile, pas par un crapaud ! Tous les textes qui racontent les légendes ont été rapportés par des moines qui n’aimaient pas les femmes et dès qu’elles sortaient un peu de l’ordinaire il fallait qu’elles soient ramenées à un statut diabolique. »
Blaise se leva et nous invita à le suivre dans le salon. Il nous désigna le tableau accroché au mur et que j’avais remarqué la veille, celui qui représentait Merlin et Viviane, dans une clairière, au crépuscule. Merlin apparaissait pensif et regardait les premières étoiles apparaître dans le ciel. Viviane, à ses pieds, lui avait pris la main dans un geste affectueux mais regardait droit devant elle, comme si une tierce personne était présente à leurs côtés.
« D’où vient cette toile ? demanda Nolwenn.
— Quelques années avant le drame, en 1991, nous avons acheté un tableau de Gustave Doré lors d’une une vente aux enchères 19. Dans ce tableau, L’astucieuse Viviane aux pieds de Merlin, le peintre a illustré un poème d’Alfred Tennysion 20 dans lequel Viviane tentait de persuader Merlin de lui apprendre un charme magique. La peinture nécessitait une importante restauration et nous avons proposé à ta mère de s’en charger. Elle a découvert sous la toile les traces d’une esquisse qui montrait visiblement ces mêmes personnages mais tracés par une autre main et dans un tout autre état d’esprit … Un jour elle est venue avec cette reproduction qui nous incite à penser que la relation initiale entre Viviane et Merlin n’était pas celle représentée au XIXème siècle. »
Pouvions-nous nous douter que cette rencontre avait eu lieu très exactement mille cinq cents ans avant que Rozen ne cherche à en retrouver l’esprit initial ? Bien sûr, Aurélien n’a pas manqué de la représenter à sa manière…
[1] ‘Apple’ bien sûr…
[2] L’incantation par l’illumination est une des sciences des Tuathas Dé Danann.
[3] Cairn mégalithique assimilé à la tombe de Viviane,
[4] Alfred Fouquet, Guide des touristes et des archéologues dans le Morbihan.
[5] Hersart de la Villemarqué, Myrdhin, ou l'Enchanteur Merlin, son histoire, ses œuvres, son influence.
[6] Alain de Lille dans ses Prophetia anglicana Merlinii Ambrosii Britani.
[7] Dès 1125 Guillaume de Malmesbury a soulevé cette hypothèse.
[8] « Tor » est un mot dérivant du vieil anglais et signifiant « colline ».
[9] Souvenirs de Louis Bouyer, dans Les lieux magiques de la légende du Graal, ouvrage déjà cité.
[10] Il s’agit d’Henri de Sully.
[11] Aliénor donna également trois filles à Henri II, Mathilde, Aliénor et Jeanne.
[12] Cette découverte n’intervint qu’en 1191, mais les sources prennent bien soin de préciser que c’est sur ses indications que les restes du roi mythique furent
retrouvés.
[13] Giraud de Barri, De Principis instrucciones, vers 1193.
[14] Hersart de la Villemarqué, ouvrage déjà cité.
[15] Pendant le siège du château de Châlus dans le Limousin.
[16] Le destin d’Arthur est raconté dans Arthur de Bretagne, l’Espoir breton assassiné par Eric Borgnis.
[17] Les réflexions d’Hélène et de Blaise apparaissent presque mot à mot dans Merlin l’Enchanteur et Les Dames du Graal de Jean Markale.
[18] Une fois encore, le raisonnement des personnages s’appuyait sur les mots d’un autre, ceux de Félix Bellamy dans le tome II de La forêt de Bréchéliant.
[19] On trouve allusion à cette vente dans un documentaire de France3 Bretagne intitulé ‘Brocéliande au-delà d‘une brûlure », effectivement tourné en 1991 après l’incendie du val sans Retour. Un acquéreur anonyme aurait en effet acheté le tableau et ce dernier aurait disparu pendant plusieurs années avant de
réapparaitre au Musée du Monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse en 2012.
https://centreimaginairearthurien.wordpress.com/author/centrearthurien56/page/2/
[20] Poète britannique de l'époque victorienne.