Patrice Chéreau, l’intranquille (2020) Dominique Goy-Blanquet
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Patrice Chéreau, l’intranquille (2020) Dominique Goy-Blanquet
Ceux qui l’aimaient auront pris le train
La collection Shakespeare in the Theatre, de l’éditeur Bloomsbury Publishing, est spécialisée dans une thématique bien précise, à savoir l’auteur natif de Stratford-upon-Avon. Ils ont naturellement proposé à Dominique Goy-Blanquet de rédiger un essai de son choix sur un metteur en scène français étroitement lié avec l’auteur anglais. Cette écrivaine a présidé la Société Française Shakespeare au début des années 2010, et a publié plusieurs ouvrages sur ce même thème, du plus pointu comme Côté cour, côté justice: Shakespeare et l’invention du droit, à la simple présentation d’Othello pour l’une de ses rééditions. Au lieu de se focaliser sur des habitué, ayant monté plusieurs pièces de l’auteur, Dominique Goy-Blanquet choisit Patrice Chéreau, qui n’a mis en scène « que » Richard II et Hamlet, bien qu’il fut en préparation de Comme il vous plaira avant sa mort. L'autrice va néanmoins expliquer dans Patrice Chéreau, l’intranquille comment l’esprit élisabéthain coule dans toute l’œuvre de l’artiste.
Dans une petite commune angevine naît Patrice Chéreau au milieu des années 1940. Son père est peintre, sa mère illustratrice, et son arrière-grand-mère fut la muse et la maîtresse d’Auguste Renoir. Attiré par le théâtre, il assiste, par l’entremise de son père, aux répétitions d’Edouard II, mis en scène par Roger Planchon l’année de son baccalauréat. Pour fuir ses idées mélancoliques, lui qui fut marqué par la mort de ses grands-parents, le jeunes homme se réfugie ainsi dans le cinéma et le théâtre. Durant ses années de collège et de lycée parisiens, Chéreau va se forger une troupe d’amis qui deviendront ses collaborateurs, de son costumier Jacques Schmidt au futur président d’Arte, Jérôme Clément, de Jean-Pierre Vincent, qui dirigera la Comédie française, à Jérôme Deschamps, qui sera à la tête de l’Opéra-comique. Animant le groupe de théâtre de Louis-le-Grand, il y apprend les bases de son futur métier, tout en s’essayant au jeu d’acteur, mais aussi en s’occupant des décors et des costumes.
Livre de commande, Patrice Chéreau, l’intranquille ne se veut exhaustif ni sur la vie privée de l’artiste ni sur l’ensemble de ses travaux. Le premier thème est parfois survolé, l’autrice évoquant vaguement l’homosexualité de Chéreau quand lui-même, répondant aux critiques liant son œuvre à son orientation sexuelle, se refusait à toute chapelle, insistant sur l’universalité de son propos. Quant aux multiples facettes de ses productions artistiques, Dominique Goy-Blanquet ne s’y attarde pas : tout au plus aborde-t-elle la production, le tournage et la réception de La Reine Margot, pour mieux en tirer sa dimension shakespearienne. Il faut dire que la masse de mises en scènes que Chéreau a pu exécuter pour le spectacle vivant, touchant parfois à l’opéra mais surtout au théâtre, a de quoi impressionner. Et même dans les choix qu’opère l’écrivaine, le rapport avec William Shakespeare va primer : ainsi ne va-t-elle que brièvement aborder La fausse suivante ou bien Les contes d’Hoffmann.
Pourtant Patrice Chéreau, l’intranquille n’élude aucunement la contemporanéité du metteur en scène, à la fois dans ses choix de mise en scène, souvent considérés comme drastiques, et dans son rapport aux auteurs de son temps. Là réside le paradoxe, assez bien développé par Dominique Goy-Blanquet, entre un homme profondément solitaire, voire lunaire, et son besoin de s’entourer, qui commence dès ses années à Louis-le-Grand, et qu’il fait pérenniser tout au long de sa carrière, le paroxysme étant atteint avec la troupe des Amandiers. Tout au long de ce parcours, Patrice Chéreau va cultiver ses affinités amicales et artistiques, comme l’illustre la palanquées de références qui clôturent l’ouvrage. Il va ainsi s’épanouir tout autant en mettant en scène L'Anneau du Nibelung avec son complice Pierre Boulez lors du Ring du centenaire devenu célèbre qu’en faisant découvrir les premiers textes de Bernard-Marie Koltès dans des espaces plus intimes.
Ce que montre assez bien Patrice Chéreau, l’intranquille, c’est le rapport au corps que le metteur en scène mettait en avant dans ses productions, et sa relation avec la violence, des sentiments ou des actes. Le titre de l’essai insiste sur ce point : l’homme était toujours en action, développant parfois plusieurs projets en même temps, refusant les étiquettes, qu’elles aient affaire à son orientation sexuelle ou aux genres qu’il aborde. La constante qui fera le lien entre ses œuvres théâtrales, opératiques ou cinématographiques, c’est l’attachement qu’il porte à la démarche corporelle des actrices et des acteurs, à leur engagement sur scène ou devant la caméra. Il ne va pas les ménager, et suscitera des inimitiés et des reproches, comme ceux que lui adressera Agnès Jaoui. Mais il fera aussi de nombreux émules, parmi les comédiens qui ont grandi artistiquement aux Amandiers, et parmi des auteurs et des futurs metteurs en scène, qui ont été inspirés par ses productions et ont pour certains poursuivi son exemple.