Les yeux de l’équipe sont attirés par toutes les lucioles qui virevoltent dans les

lanternes de ce terrier. Cet abri s’avère bien plus spacieux qu’il n’y paraît dehors.

Sans ces insectes lumineux, il serait impossible de s’y retrouver en pleine nuit. Sauf

pour Mauve, bien entendu, qui est habituée à l’obscurité. La demeure de l’Etranger

est plongée dans une odeur singulière, inconnue des Canins. L’Amiral Cabos repense

à ce que lui a confié l’épagneul, plusieurs heures auparavant. Il est du même avis

que lui, au sujet de son aspect très singulier. Le berger allemand reste donc très

méfiant à l’égard de leur hôte, qui se montre plutôt désagréable.

Dans la petite équipe, tout le monde se montre très méfiant à l’égard de

l’Etranger… tous sauf Lisa, semble-t-il. Il a l’air d’avoir gagné sa curiosité et une

partie de sa confiance. Effectivement, Lisa est prête à s’en remettre à cet inconnu

pour avoir plus de connaissances sur les loups sacrés. Cela risque de lui faire baisser

sa garde. Le regrettera-t-elle ?

D’un signe en direction du sol, l’Etranger propose à ses quatre invités de s’asseoir

sur un modeste tapis de mousse. Une petite table ronde en bois trône au milieu du

terrier ; elle semble préparée pour leur montrer quelque chose. Le mystérieux

individu paraît fouiller dans ses étagères comblées et sort un énorme livre pour le

poser sur la table. La taille et l’apparence de cet ouvrage ne laissent pas l’Amiral

Cabos indifférent : son cœur ne fait qu’un bond en le voyant. Peu à peu, tous les

équipiers reconnaissent à leur tour ce qui se tient sous leurs yeux ébahis.

— Impossible, souffle Cabos en essayant de rester calme. Vous possédez un

exemplaire si bien conservé… !

— Tout érudit qui se respecte se doit de posséder le livre des Cinq Mondes,

rétorque l’Etranger d’un ton nonchalant. Je passe mon temps à lire, lire et lire encore.

Cette référence incontournable ne pouvait pas échapper à mon infatigable soif de

connaissance.

Le berger allemand avance une patte timidement, comme pour toucher le livre

mythique, mais il s’en trouve réprimandé :

— Bas les pattes ! Cet ouvrage m’appartient et je ne tolérerai pas qu’un autre

puisse le toucher. D’autant plus que c’est l’un des exemplaires les plus complets que

vous puissiez trouver sur Ethélys. Gardez donc vos pattes hors de cette merveille.

Billy et Falcon-Dog craignent la réaction de Cabos. Pour désamorcer un éventuel

conflit, Lisa intervient en relançant l’Etranger sur le sujet qui les a tous rassemblés

ici :

— C’est justement votre culture que nous sommes venus interroger. Nous faisons

partie de la Révoltruffe.

Ce mot n’éveille rien en particulier chez l’Etranger. On dirait qu’il ne connaît

rien de la Révoltruffe… mais difficile de sonder ses émotions, à cause de la capuche

qui recouvre son visage.

— C’est une organisation de chiens engagés à sauver Ethélys des félins qui…

— Je suis au courant de toutes vos actions, ne me prenez pas pour un idiot. Vous

jouez les héros en permanence. Seulement, je n’ai rien à voir avec la Révoltruffe et

je m’en porte mieux comme ça !

Lisa jette un rapide coup d’œil vers Cabos, qui préfère ignorer la remarque, et

reprend vite :

— Nous souhaitons absolument en savoir davantage sur les loups sacrés. La

légende de Férus, nous la connaissons déjà. Maintenant, nous voulons des

informations précises sur la Meute sacrée.

L’Etranger garde le silence. Il observe tour-à-tour chacun des Canins, d’un air

songeur. Son regard s’arrête sur Falcon-Dog. « Je ne sais pas pourquoi mais j’ai

l’impression que celui-ci est en mesure de comprendre… » se dit-il, en laissant

apparaître un sourire en coin. « Je ne dois surtout pas laisser de côté cette

occasion ! »

Visiblement convaincu, l’Etranger acquiesce et ouvre son immense livre des

Cinq Mondes. Le regard de l’Amiral Cabos scrute les pages qui défilent à grande

vitesse : ce sont plein de nouvelles découvertes pour lui. Enfin, le mystérieux

individu s’arrête à la page qui lui semble la plus pertinente et déclare :

— Très bien. Si vous y tenez tant que ça, je veux bien vous apporter mon aide.

Je vais vous conter un récit qui va vous intéresser. Celui du Hurle-Bois.

Billy se tient auprès de ses meilleurs amis, Falcon-Dog et Lisa. Pourtant, il n’est

pas très rassuré ! À peine le récit va-t-il commencer que le chihuahua tremble déjà.

Sa crainte ne fait que redoubler quand il entend la voix de l’Etranger prononcer les

premiers mots…

Le Hurle-Bois

Cette forêt millénaire porte son nom à merveille.

Il est possible, à tout moment, d’y percevoir un hurlement de loup, même à des

kilomètres. L’ambiance qui y règne est capable de terrifier le plus valeureux des

guerriers. Rares sont les explorateurs qui en reviennent vivants et, parmi eux, tous

étaient devenus complètement fous. Difficile de ne pas s’y perdre, avec cette

myriade d’arbres tous identiques : un vrai dédale forestier.

Tout ce qui paraît mort est en vie.

Tout ce qui paraît loin est proche.

Tout ce qui paraît inoffensif peut vous attaquer.

Le cœur de ce bois est mille fois plus dangereux que ses bordures. Le centre

du Hurle-Bois est entouré par un brouillard trouble, où tout semble flou, presque

impossible à traverser. Ces nappes blanches engloutissent les bois en toutes

saisons. De l’automne à l’hiver, de l’été au printemps, les infranchissables draps

du brouillard protègent un endroit très spécial. Il s’agit du repaire où les loups

sacrés les plus puissants de tout Ethélys se sont toujours rassemblés. Ces grands

sages s’y réunissent pour constituer la légendaire Meute sacrée.

Les pouvoirs mystiques des loups sacrés sont variés : ils vont de la guérison

jusqu’à la création de brouillard. Selon leur puissance, ils sont capables de

souffler une brume plus ou moins épaisse. La Meute sacrée a l’habitude de

concentrer les pouvoirs de tous ses membres, afin de générer d’immenses nappes

de brouillard. Depuis sa grotte ancestrale, elle s’est donc entourée d’une ceinture

de brume qui rappelle le fameux Mur de Brume. Celui-ci, cent fois plus épais,

recouvre les marécages qui relient les terres d’Ethélys à l’île maudite de Férus.

Sans lui, les innombrables panthères envahiraient le monde…

La Meute sacrée, au fond de sa grotte légendaire, se porte garante du HurleBois. Pour parvenir jusqu’à sa tanière, la route est longue, rude et méandreuse.

Jusqu’ici, pas la moindre âme n’est parvenue à rejoindre la Meute sacrée sans

disparaitre dans des circonstances effrayantes.

Les loups qui rôdent dans la brume sont invisibles et vifs. Ils sautent

immédiatement sur le moindre intrus, le moindre ennemi suspecté. Depuis

toujours, les loups sont de braves guerriers : lorsqu’ils sont enrôlés dans une

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guerre avec les félins, ils se battent jusqu’à la mort. Ce sont aussi des gardiens du

Hurle-Bois, quand il faut protéger la Meute sacrée.

Pour s’aventurer dans le cœur du Hurle-Bois, vous devez vous armer de

courage et ne pas connaitre la peur… sinon les loups en profiteront pour vous

dévorer vivant.

L’Etranger referme le livre des Cinq Mondes, puis il semble afficher un sourire

sinistre. Sous sa capuche, il observe probablement Billy, qui est tellement apeuré

qu’il ne peut contenir ses tremblements. Falcon-Dog essaie de rassurer son ami, mais

lui-même craint le pire, en vérité. Il y a encore trop de secrets chez les loups, trop de

mystères à dissiper. Le récit du Hurle-Bois restera à jamais marqué dans son esprit,

au même titre que la légende de Férus. L’Amiral Cabos, lui, reste parfaitement

stoïque. Billy remarque que Lisa frissonne, sans parvenir à se contrôler. Mais la

sabrador ne tremble pas de peur, elle : c’est plutôt son impatience qui la met dans

cet état-là !

Au moment exact où l’Etranger repose son livre dans une étagère, un terrible

hurlement retentit à l’extérieur. Billy sursaute immédiatement. Mauve dresse

l’oreille, attentive. Le son semble si lointain et pourtant si proche… Comme pour se

moquer, l’Etranger reprend son air provocateur pour dire à Billy :

— N’aie pas peur, petit. Ils ne vont pas te manger !

Au bord des larmes, le chihuahua est réconforté par Falcon-Dog, qui n’aime pas

trop l’humour glacé de son hôte. Le super-chien sait pourtant que l’équipe aura

besoin de lui et de son précieux savoir. Il sait aussi que tout ce qu’il leur a appris est

vrai. Il sait, enfin, que ce sera un guide indispensable pour braver les dangers du

Hurle-Bois.

Puis Falcon-Dog repense à Mentalos. Rien ne lui assure qu’ils se reverront un

jour. Surtout s’il doit s’aventurer dans une forêt qui regorge de bêtes sauvages…

Mais le devoir est plus fort que tout, chez Falcon-Dog. La Révoltruffe, les Canins et

même Ethélys sont menacés par l’invasion des panthères. Il faut intervenir avant

qu’il ne soit trop tard. S’ils restent seuls, les Canins ne pourront pas lutter contre

Férus et son armée. « Nous n’avons pas le choix : il faut demander l’aide de la Meute

sacrée ! » songe Falcon-Dog. En jetant un regard à ses coéquipiers, il constate que

la fatigue les guette et propose à l’Etranger :

— Je pense que l’on devrait passer la nuit ici. Ce serait mieux pour nous.

— Si vous rentriez tout de suite, vous ne pourriez même pas retrouver votre

route… répond-il d’un ton grinçant et méprisant.

L’individu à la capuche s’éloigne dans un autre coin du terrier pour continuer à

lire tranquillement. Les Canins tombent peu à peu dans un sommeil profond, couchés

sur ce tapis en mousse. Mauve ne dort que d’un œil : elle guette le moindre

mouvement de l’Etranger, dans son coin. Les yeux violets de la louve ne quittent pas

son collier, ou plus particulièrement la dent qui y est suspendue, comme un joyau.

Seul Falcon-Dog reste encore éveillé, perturbé par le récit du Hurle-Bois, inquiet

vis-à-vis de la prochaine exploration. Comme si la peur était affichée sur le front du

super-chien, l’Etranger arrive à percevoir ses doutes :

— Je vois que tu ne dors pas. Tu es inquiet pour demain.

Falcon-Dog tourne la tête, surpris par la justesse de ses mots. L’autre continue à

parler, sans quitter son livre des yeux :

— La grotte de la Meute sacrée est loin, c’est vrai. Le chemin sera rude, et le

temps presse. Cependant, je serai votre guide. Je serai là pour vous éclairer, pour

communiquer et, surtout, pour que vous compreniez.

Pour conclure ses propos réconfortants, plutôt inhabituels chez lui, il lance à

Falcon-Dog une phrase ambigüe, peut-être pour le rassurer, peut-être pour le

prévenir d’un danger :

— Je suis sûr que tu parviendras à comprendre le sens de cette quête. Tout finira

par se dissiper.