le premier mot
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le premier mot
il est possible
que tout a déjà été écrit
qu’il n’ait un nom à quoi ne s’est apposé chaque adjectif
lune mouillée
lune châtrée
soleil cou coupé
oliviers déshérités
impavides silences
tout est déjà usé trop usé
avili répertorié par consternation voyance ou même par erreur
ce que je veux dire par-là c’est qu’un.e autre au moins y a déjà
trébuché
car il n’est sûrement infinité de combinaisons
il n’est c’est sûr au verbe d’imaginaires prépositions
tout n’est qu’apocryphe cela mine l’écriture de l’intérieur comme un cancer la création m’est impossible
et où est mon territoire
que veut dire l’auteur
de revendiquer une phrase
qui a encore l’orgueil
faut-il donc se résoudre à redire sans cesse pour chaque époque la finitude de l’être humain
rappeler de l’oubli chaque trace effacée avec regret hâtivement sans lendemain
tout a commencé par un trait tracé aux tréfonds des montagnes de l’Elam sur l’argile ou sur le sable ou était-ce autre part
plus loin dans la vallée
était-ce le matin était-ce le midi le soir
qu’importe et je n’ose imaginer le délice absurde la secousse déchirante d’avoir été la première à tracer le plus simple des mots
(quel était-il ce premier mot cette question
il faudrait que l’on s’interdise de la poser
car à y répondre il se pourrait que cela change la face du monde
et si ce n’était pas le cas alors je trouverais enfin le règne humain affreusement immonde
mais un jour peut-être j’écrirai un livre sur ce premier mot tracé-là par son doigt
il ne faudra pas ou peu que ça se sache
ou du moins faudra-t-il le présenter comme une grande blague
mais je parlerai longuement de cette première écrivaine car déjà je sens qu’en écrivant ces prochaines lignes j’en serai tombé éperdument amoureux)
celle-là était poète
(je pense oui qu’il s’agissait d’une femme car j’eus l’audace un soir d’avoir pensé qu’il y a peut-être au fond des saintes écritures quelque vérité du rôle qu’elle a joué en traçant elle la première son doigt sur le sable et qu’il y eût probablement quelques jaloux parmi les hommes pour lui en reprocher péché d’orgueil et s’en attribuer force du prêtre et du chaman et substituer le miracle du mot par elle inventé à quelque idole à tête d’hibou ou de faucon et
et bien plus tard à ce dieu unique à la drôle tête d’homme qui était propriétaire en son jardin et le jaloux gardien de quelques pommes
mais qu’importe femme ou homme
il fallait surtout une âme d’enfant pour se jouer ainsi du feu)
celle-là était poète
celle-là a senti le fond de la pierre être secouée confuse d’avoir été ainsi par un mot subtilisée
celle-là a senti le tonnerre le déchirement de l’ombre le divorce atroce du sens et de la chose
celle-là a senti qu’il y avait espace magique et interdit entre le signe
et tout ce qu’il désigne
ce jour-là le ciel s’est brisé fendu grisé
ce jour-là le soleil avait le cou coupé
ce jour-là l’ombre s’est éclaboussée au fond des foules
ce jour-là la poussière haletait et cherchait désespérément un souffle
et l’air s’était faite silhouette à la bouche
et je suis sûr sûr qu’elle a ri sous la montagne
(et c’est ce même rire qui s’est perdu qui s’est erré qui a longuement divagué par gorges et vallées
en résonnant dispendieusement et se cognant souvent sur la paroi des creux et des cavernes
un rire caverneux ne dit-on pas un écho euphorique qui aura traversé l’écorce des années
et un homme un jour l’a entendu et baissant les yeux disant coupablement au revoir à Khadija s’en alla en sa propre et solitaire caverne chaque jour amoureusement écouter cette voix de cristal résonner sur les parois l’impair de son émoi
il aura confondu ce rire frais sous la montagne avec la voix d’un ange qu’il prénomma ghabriel ce nom qui n’est que le bruit que le raclement d’une gorge qui rit
il aura confondu ce rire avec la parole d’un dieu unique et sans visage
et d’où il annonça finalement à ses pairs qu’il y avait entendu le Verbe au large de la Mecque
mais tout cela n’était qu’au fond le rire délicieux d’une écrivaine dont il était tombé impossiblement amoureux
mais de tout cela je parlerai une autre fois
je dirai de qui seuls ont connu quelque forme de ce rire
ces femmes et ces hommes en quête de sens qui s’était réunis
un beau soir dans le Caucase et qui
tour à tour frappèrent leur tambour
pour savoir enfin ce qui distinguait leur dieu de leur amour
et par surprise retrouvèrent le rythme par lequel rebondissait son rire sur les roches
je te dirai alors comment le Coran n’est que le chant mensonger du plus beau des adultères
d’un amour follement vécu avec sa voix que seul s’est su s’avouer Mahomet à son beau-fils
qui s’appelait alors qui s’appelait Ali
avant qu’il ne comprit avant qu’il ne comprit
l’amoureux subterfuge et devint à son tour Mahdî
et je te dirai tout de cette lignée des entrailles de Fatima sortie
de ceux qui en ont emporté avec eux le Secret et dont le fils onzième pour mieux l’entendre a disparu un soir dans le brouillard de la montagne
je te dirai alors ce que m’a dit le douzième fils du rire de cette femme
qui s’était rendu compte de la beauté commise en traçant ligne sur l’argile
Gand Laetitia 23 ore fa
Je me suis perdue dans la lecture. J'essaierai de le relire au calme...