Chapitre 3 : Fausses notes...
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Chapitre 3 : Fausses notes...
Et soudain, sans crier gare, une simple lettre va faire exploser sa bulle d'insouciance. Comme une grenade d'à peine 30 grammes, qu'elle va dégoupiller elle-même, à son insu et faire dérailler sa mélodie enfantine.
Un samedi de décembre, quelques jours après son douzième anniversaire. Sa mère, lui dit, sans rentrer dans le détail, attendre un courrier important en provenance d'Angers. Ils ont quoi les deux, avec Angers, là ? Bizarre cette histoire…S’interroge-t-elle.
Juliette n'a pas cours, mais France a des consultations à assurer. Elle la laisse donc s'occuper de sa petite sœur à la maison en lui recommandant de téléphoner en cas de besoin. Noël n'est pas là ce matin-là. Vers 11 h, elle trouve dans la liasse de lettres déposée par la factrice une enveloppe dactylographiée et portant le cachet d'une entreprise à Angers. Comme par hasard ! Les mains de Juliette tremblent quand elle prend le pli, comme si elle redoutait qu'il ne contienne une substance toxique, qui lui brûlerait la pulpe des doigts à travers le fin papier.
Elle regarde le cachet, Angers, comme une intruse d’encre dans son quotidien. Pour elle, jusqu'alors, c'était seulement l'histoire de Noël, un nom de ville prononcée parmi tant d'autres, comme on parlerait de Vérone, Paris, Vichy, Clermont ou Marseille…Pourquoi sa mère avait-elle des contacts avec Angers ? Sa petite sœur est devant la télé et ne prête aucune attention à Juliette, elles sont seules. Un instant, elle envisage d'ouvrir l'enveloppe, juste pour savoir puis de faire disparaître ce bout de papier sans le donner à sa mère. Mais France semble détenir un pouvoir magique lui permettant de lire le mensonge dans les yeux de sa fille. Elle se ferait pincer, d'une manière ou d'une autre. Ou alors, elle pourrait remettre la liasse dans la boite aux lettres pour avoir encore un peu de temps, peut-être tout le Week-end pour faire comme si elle ne ressentait pas une menace ridicule face à ce pli impersonnel.
Pourtant, en son for intérieur, elle sent qu'il est trop tard pour jouer la candeur, une peur diffuse s'est insinuée dans chacune de ses veines. Alors, à contre-cœur, elle se résigne à téléphoner à sa mère en priant intérieurement pour qu'elle soit occupée avec un patient. France décroche à la première sonnerie ; tout de suite, elle sent une impatience teintée d’agacement dans la voix de sa mère à l'autre bout du fil. Le combiné coincé dans le cou, elle ouvre de ses mains tremblantes l'enveloppe et en lit le contenu à voix hésitante. Incrédule, Juliette n'a pas le temps de réaliser ce qu'elle vient d'annoncer malgré elle ; mais l'exclamation puis les quelques mots de France lui glace le sang : elles partent !
“QUOIII ??? Mais Maman, attends, je ne comprends pas là !!!
Une sonnerie stridente résonne de l'autre côté ;
─ on en parle tout à l'heure, chérie, c'est ma dernière consult’”
Et elle raccroche…Précipitamment. Le monde de Juliette chancelle et sa mère vient de lui raccrocher au pif...Elle se sent toute petite, du fond de sa bulle d’insouciance, elle n'avait rien vu venir…France a décidé de quitter son Auvergne natale pour suivre son mari Noël parti depuis plusieurs mois à Angers, sans même en parler à personne. Sans en parler à personne, elle avait déposé sa candidature dans un organisme de formation, peut-être même plusieurs, en cachette.
Juliette fouille dans sa mémoire pour tenter d'y trouver des indices, comme pour pouvoir se reprocher de ne pas avoir vu ; elle n'y trouve rien...Le résultat se trouvait pourtant devant ses yeux, elle, qui pensait ses parents au bord du divorce, se retrouvait subitement à devoir quitter tous ses repères pour changer de vie à 600 kilomètres en trois semaines. Partir dans une ville totalement inconnue, loin des leurs, ça voulait dire quitter sa maison, sa campagne enchantée, ses proches aussi ; ses deux grand-mères, ses tantes, ses cousines (il n'y a pas beaucoup d'hommes qui tiennent le coup dans cette famille.)
Et puis, surtout, il y a Flo. Elle tourne la tête et regarde sa petite sœur, Fanny, en train de regarder les dessins animés à la télé. Tout doucement, elle reprend le contrôle de ses jambes et grimpe dans le bureau de son père, en ferme la porte et compose un numéro connu sur le bout des doigts.
Juste une lettre qui vient de faire voler son univers en éclats.
Quelques jours plus tard…
Tout est allé très vite et finalement, c’est sans doute mieux ainsi. Dans l’urgence des événements on s’aperçoit moins de la douleur que l'on ressent et de tout ce qu’on laisse derrière soi, comme une anesthésie salvatrice administrée par le cœur pour limiter les dégâts. Elle voit, dans une sorte de brouillard, des gens émus tout autour, mais se sent vide à l'intérieur. Elle qui n'avait vécu qu'ici, dans ce petit village bourbonnais à 30 kilomètres de Vichy, avait, à cet instant l'impression de partir dans une mégalopole hostile.
Et surtout, Juliette ne comprenait pas la soudaineté de cette décision, d’autant que son père ne semblait pas emballé du tout ! Il faut dire que Noël, bien que père et mari, vit souvent en marge de sa femme et de ses filles. Depuis toujours, son travail l’emmène à travers le globe pour des missions pédagogiques dont Juliette ne saisit pas grand-chose. Les trois filles de la maison vivent donc régulièrement seules.
Quand il rentre, ce sont des cadeaux qui l’accompagnent, on fait des gâteaux, on se réjouit d’être ensemble, puis lorsqu'il repart ça va aussi, ce n’est pas triste, c’est juste la routine. Depuis qu’il est parti travailler à Angers, en fin de compte, la vie n’est guère différente. Il y passe quatre jours par semaine, le reste du temps, il est à la maison, vient chercher les filles - à l’école pour la petite, au collège pour la grande.
Et puis le couple des parents bat de l’aile, depuis longtemps, depuis toujours peut-être, des cris des disputes, des portes qui claquent et se brisent. Des fausses notes dans la partition, de plus en plus dissonantes dans sa comptine. Juliette est angoissée depuis plusieurs années déjà, depuis le départ de Gianni, elle dort mal, fait des cauchemars. On l’emmène voir une sophrologue, au parfum de mûre sauvage, pour se bander les yeux en se prétendant que le problème ne vient pas nous, pour faire semblant.
C'est la ligne de conduite de l’ensemble de cette famille, de génération en génération : donner le change, mentir aux autres, mais surtout à soi, pour ne pas affronter la noirceur et la solitude.
Alors ce samedi de décembre, elle apprend, d'un coup, à sourire lorsqu'elle a envie de pleurer, à dissimuler comme tous semblent savoir le faire avec une facilité déconcertante.
Elle cherche, avant tout, à faire en sorte que France n'arrive plus à déchiffrer son regard. Jusqu'à présent la vie de Juliette, malgré tous les chaos autour, lui semblait magique. Elle voyait l'éclat de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, percevait plus fort la magie des saisons, de la nature, la bienveillance de la lune, la force du soleil. Elle vibrait d'émotion et de spontanéité comme seuls savent le faire les enfants, avant de devenir adultes et oublier…
Et pourtant rien n'est plus tranché alors que les notions de bien et de mal, de bonheur et de malheur. Mais alors elle va où la magie quand on grandit ?
Les quinze derniers jours avant les vacances scolaires passent comme dans un cauchemar. Chaque jour la rapproche du départ, dans un décompte diabolique.
Des années plus tard, derrière ses écrans anonymes, Juliette se remémorera cette triste période, avec une clarté de roche, comme étant le moment de sa vie où elle apprit à faire semblant.
Après la terrible annonce, quand tous les amis du village se sont rassemblés pour les au revoir et qu’elle forçait sur les commissures de ses lèvres pour les étirer en un sourire d’apparat alors que les larmes lui brûlaient les yeux. Et cette sensation sourde dans la poitrine, une brûlure qui remonte du plexus solaire pour se nicher dans sa gorge et qu’elle n’avait jamais ressenti avec une telle vigueur jusqu’alors ; et qu’elle n’identifiera que bien plus tard, comme de la colère! De la colère contre le silence, le mensonge, les faux-semblants de ces adultes et leur complice lâcheté face aux évidences. Cette rage sourde, méthodique qui la quittera plus, devenant même un pilier, un support, comme un feu intérieur qui assèche les pleurs et masque les preuves de faiblesse et de fragilité.
Alors enfant, lorsqu’elle assiste impuissante, à la scène des adieux qui se déroule sous ses yeux, elle regarde d'un regard nouveau, mais terriblement aiguisé, sa mère porter cette décision comme un étendard et sembler paradoxalement résignée mais décidée à quitter son berceau, le métier qu’elle adore, sa maison, sa famille de sang et celle de son cœur.
De toute façon, France traîne le malheur comme son ombre, depuis toujours, tour à tour au bord de l’effondrement et de l’explosion, en équilibre sur un fil.