Chapitre 2 : Enfance dans les volcans
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Chapitre 2 : Enfance dans les volcans
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Petite, Juliette est une gamine, enjouée, facile à vivre.
Sa famille habite une jolie maison, au fond d’un hameau d’un petit village auvergnat, à l’orée d’une forêt. Ses parents travaillent tous deux beaucoup, alors elle est souvent, seule, chez sa nounou, puis plus tard, reste systématiquement la dernière le soir à l’école. Ayant six ans d’écart avec sa sœur, elle n’est pas très proche d’elle, mais elle a plein de copines et surtout le petit Gianni, son voisin, avec qui elle est toujours fourrée. C’est un garçon timide, un peu gauche, rougissant dès qu’elle le frôle.
Il a une drôle de mine, avec ses oreilles un peu décollées et ses cheveux coupés aux ciseaux de cuisine, mais Juliette l’aime, aussi pour ça. Ils se retrouvent dès qu’ils le peuvent, le week-end, l’un chez l’autre, pour jouer et grimper aux arbres ou à la tombée du jour, chacun de son côté du grillage pour se raconter leurs journées d’école, leurs histoires et leurs secrets d’enfants, les jouets perdus ou cassés. Toutes ces petites bêtises que l’on monte en épingle quand on est haut comme trois pommes et demie. Ensemble, ils pillent les pieds de tomates et les fraisiers pour s’en faire des festins, planqués derrière le grand cerisier. Il y a pourtant des secrets qu’ils taisent chacun, mais Juliette ne le saura que plus tard, quand il sera parti.
Leurs chambres, toutes deux en étage se font face, alors tous les soirs, ils se lancent un baiser par la fenêtre avant de fermer les volets et les yeux. Ils développent, ainsi, une langue des signes rien qu’à eux, pour se parler sans faire de bruit, quand les grands les croient endormis. Parfois, dans le silence de la campagne, elle entend des cris qui filtrent de chez lui, des bruits sourds de bois que l’on cogne, que l’on frappe. Mais la nuit et la peur de lui faire de la peine, aussi, étouffent les questions, qui lui brûlent parfois la gorge. Surtout, les lendemains, lorsqu’il arrive vers elle, le visage renfrogné. Pourtant, à chaque fois qu’il l’aperçoit, ses traits changent, ses yeux brillent à nouveau, alors Juliette sait qu’elle a gagné, un peu, sur les sons étranges qui résonnent à l’heure du coucher. Elle mène donc ainsi sa petite vie dans l’insouciance et la candeur.
Papa n’est pas souvent là, mais ce n’est pas un problème pour elle, elle est habituée comme ça, c’est sa normalité.
Et puis, ce village, c’est un peu son royaume, il n’y a pas beaucoup d’enfants par ici, alors, la petite Juliette, solaire, rieuse, attire sourires et bienveillance.
Son enfance a la saveur que l’on aimerait donner à l’éternité. Ses grands-mères n’habitent pas loin, la famille se retrouve régulièrement, les hivers ressemblent à des Contes de Noël, les automnes à des peintures de Monet. Enfant, elle ne sait pas encore que rien n’est éternel. Que le père Noël n’existe pas en vrai, mais que c’est son père à elle qui fait des traces de bottes dans la neige de décembre pour entretenir la légende. Les saisons suivent leur rythme lent, Juliette grandit et apprend un soir d’hiver, quelques jours après avoir soufflé sa huitième bougie, le goût amer du chagrin et de la séparation. Le père de Gianni meurt, subitement, d’une crise cardiaque. Elle entend les adultes parler à voix basse, de cette voix que l’on emprunte pour dire des choses horribles sans en avoir l’air. Elle perçoit “que ce n’est pas étonnant vu tout ce qu’il buvait et puis qu’il avait la main leste avec Gianni et sa maman, que c’est malheureux, bien sûr, mais qu’ils pourraient souffler maintenant” elle ne sait pas ce que ça veut dire, et n’ose poser la question…Peut-être qu’elle demandera plus tard, quand les grands auront fini de chuchoter.
Pendant des jours, qui lui semblent interminables, elle ne le voit pas. Des heures passées à la fenêtre à attendre un rai de lumière, un mot, un geste, il ne se montre pas.
Lorsqu'elle commence à croire qu'elle ne le reverra plus, il vient sonner à la porte. Sa visite a l’air étrange et formelle, parce que d'habitude, il ne sonne jamais et qu’ils se voient d’abord dans le jardin ou à la fenêtre. Il a le visage fermé et pâle, on dirait bien qu’il a pleuré et se tortille les doigts comme s'il était gêné, mal à l'aise, engoncé dans un costume trop grand pour lui.
Juliette s’approche pour le prendre dans ses bras, il se laisse enlacer, elle écoute sa respiration pénible, comme bloquée. Il enfouit son nez dans ses longs cheveux noirs bouclés et murmure à son oreille :
“Je vais partir vivre chez mon oncle Juliette, on se verra moins…
Un éclair de compréhension traverse les couettes de Juliette, et un nom de ville jaillit de sa mémoire…
─ mais c’est où Marseille, c’est loin ?
─ Oui, Ju, c’est très loin, mais je reviendrais d’accord, rien ne changera, promis ? “
Juliette ne comprend pas tout de la scène qui est en train de se jouer, pour elle tout semble irréel. À la minute où elle retrouve Gianni, on lui enlève encore. Et vu la gravité de cet échange et l’éclat sombre dans les yeux de son amoureux, elle se doute bien qu’en réalité tout changerait, que tout avait déjà changé, mais elle promet quand même, parce qu’elle sentait qu’il avait besoin d’entendre ces mots-là.
Le ciel vient de tomber sur la petite Juliette, mais elle ne veut pas se montrer égoïste et laisser voir son chagrin, alors elle virevolte sur ses pieds, monte l’escalier en courant, et redescend quelques secondes plus tard vers Gianni, resté planté là, sous le regard des parents. Elle glisse, dans sa main, son bisounours en peluche préféré, celui avec lequel elle dort tous les soirs, Groschéri, le rose avec des cœurs sur le ventre, et sur sa joue, un bisou tout doux, pour qu’il les emporte avec lui… Et effectivement, tout devient différent, pour Juliette qui, chaque soir pourtant, regarde de la fenêtre de sa chambre, celle de Gianni qui reste tristement close, figée. Les mois passent, elle n’a bientôt plus besoin de chaise pour monter sur le rebord de sa fenêtre, l’endroit de sa chambre devenu son favori, été comme hiver pour surveiller les volets, le jardin des voisins, en espérant voir s’engouffrer une voiture dans la cour et Gianni en descendre. Mais il vient de moins en moins, son oncle n’aime pas revenir ici, sa mère non plus, ça lui rappelle sans doute trop de souvenirs malheureux. Les rentrées scolaires se suivent, elle mène sa barque, gravit les marches malgré des profs qui devraient parfois revoir leurs manières éducatives.
En CM1, dans la classe de Monsieur COSSA, triste bonhomme dégarni aux méthodes pédagogiques d’un autre siècle, elle se lie instantanément à un certain Florent, brun, la fameuse coupe au bol, les yeux noisette, un sourire farouche et si touchant avec sa petite fossette à droite. Il est surtout très rigolo et bienveillant, la fait sourire avec ses pitreries et la défend dans la cour quand Benoit, le cancre aigri et bête comme ses pieds la poursuit dans la cour. Juliette sent bien son regard protecteur l'envelopper tout comme ses copines qui se moquent gentiment d'elle mais elle continue de nier cette évidence à cor et à cri et se contente de faire un petit sourire juste comme ça, un sourire léger comme des ailes de papillon. Une silencieuse connivence s’installe pour grandir chaque jour davantage et lorsque le Marchand de sable souffle sur ses paupières, c'est tout doucement le visage de Flo qui l'accompagne dans ses rêves, effaçant doucement les traits de Gianni.
En CM2 ils deviennent plus téméraires et font les 400 coups dans la cour de récré ou dans la salle de classe ; les petits mots passent de trousse en trousse volent dans les airs, des têtards sont glissés dans la fontaine de l’école. Parfois, ils se voient à l’extérieur chez des copains, tout le monde sait que Juliette est l’amoureuse de Flo et réciproquement. Ils s’aiment comme des enfants, sans se le dire, dans la simplicité emplie de certitudes. On le sait, on le ressent, on dévoile ses sentiments par intermédiaires.
« Machine a dit à machin, que tu m’aimes, c’est vrai ? » Trop de pudeur, peut-être, pour prononcer ces phrases d’adultes qui n’ont que peu de sens à cet âge finalement.
Quand ils entrent au collège, ils sont séparés. Juliette fait Allemand, un mauvais coup de Noël qui en tant que linguiste, pense que l’avenir appartient aux germanistes. Flo, lui a pris Anglais comme presque… Le monde entier. Ils ne sont plus dans la même classe, mais s’arrangent pour se voir le plus possible, pour se croiser dans les couloirs, échanger un sourire, ou juste se frôler. Elle se mariera avec lui de toute façon, elle est en persuadée. Ils en ont parlé ensemble au téléphone, la date n’est pas arrêtée, mais elle le sait, elle le sent dans son ventre, quand leurs regards se croisent, et même quand il a le dos tourné.
C’est bien une preuve ça, non ?
Au début de son année de 5ème, Noël quitte son poste à Vichy et devient maître de conférences à Angers.
Juliette ne sait pas trop où c’est… Apparemment, c’est en France, mais en réalité, elle se moque un peu de la Géographie, ça n’a jamais été sa matière préférée.
Elle préfère se concentrer sur sa petite vie de collégienne aux Célestins, parce qu’en vrai, la vie des adultes a l’air bien compliquée.
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