Bestiaire financier d'un pêcheur repêché
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Bestiaire financier d'un pêcheur repêché
Débusqué tel un lièvre suite au tweet tweet d’un oiseau de bon augure, qui d’un regard d’aigle perçant est venu fureter dans mon passé pour y exhumer les fragments d’épiderme de mes mues successives, je n’ai d’autre choix aujourd’hui que de sortir de ma tanière et d’accepter de bonne grâce de révéler un paon de ma petite histoire.
Quand je suis rentré dans la banque, je me projetais jeune loup de la finance, roulant en Jaguar et entouré de belles gazelles. Je ne percevais que le côté rutilant du Gecko (Gordon) dans « Wall Street » et ignorait tout de de la face cachée de ce panier de crabes, mise à nu dans « le Loup de Wall Street ».
La vie a voulu que je ne devienne qu’un petit poisson dans ce monde de requins. Mais j’y ai quand même côtoyé quelques squales de la plus belle espèce. Et vu de près comment ils s’y prenaient pour taquiner le goujon et attraper les sardines dans leurs filets.
Je peux le dire sans crainte de passer pour une langue de vipère, car même s’ils me lisaient, ils ne se reconnaitraient pas. Ils ont en effet pour caractéristiques de se percevoir comme de blanches colombes. Où à tout le moins des bêtes à bon Dieu, intouchables, au sens de la légende qui raconte qu’un criminel qui devait être décapité fût gracié par le roi lorsqu’il vit sur la nuque du condamné une coccinelle qu’il prit pour un signe divin.
Alors qu’ils envisagent souvent leurs clients comme des bêtes de traite, des alouettes devant qui brandir le miroir, les requins de la finance ne réalisent même plus à quel point ils ont eux-mêmes mordu à l’hameçon de la pieuvre tentaculaire d’un système aux abois, qu’ils nourrissent de leur comportement moutonnier. Singeant les rituels de leurs congénères, ânonnant les termes consacrés du métier, convaincus que leurs ouailles dévoreront sans renâcler les salades qu’ils leur régurgitent en boucle, ils ont perdu le recul nécessaire qui leur permettrait de prétendre au statut de conseiller en patrimoine indépendant.
Le monde de la finance est un univers se nourrissant de « valeurs » essentiellement masculines, ruses du renard, avidité du glouton, compétitivité du lévrier dans une course effrénée aux profits, au succès et aux apparences.
Revenu de mes illusions de jeunesse, j’ai réalisé que nombre de clients ne se satisfaisaient plus d’être pris pour des pigeons. Certains s’étant fait bien tondre, ils en gardaient une rancune compréhensible et en avaient développé une méfiance de gnous.
De petit poisson qui aurait voulu être loup, je me suis morphé en TitiSoko, le puma en langue aymara. Un puma blanc entrevu dans mes rêves, se consacrant à l’écriture à ses heures perdues et veillant à défendre des valeurs plus proches de cette sensibilité féminine que ma femme et ma fille m’ont aidé à découvrir. Les sages enseignements de quelques licornes et phoenix rencontrés au hasard de mes migrations m’ont depuis permis d’affuter encore davantage mes instincts.
Ce n’est peut-être pas un hasard si mes clients sont aujourd’hui surtout des femmes avec qui je partage une vision renouvelée du monde et que j’aide à naviguer dans les méandres d’une jungle financière qui requiert de savoir garder ses griffes affutées sous une patte de velours. Ne vaut-il pas mieux avoir un puma à ses côtés quand on s’aventure chez les loups ?
Laughing all the way to the Bank, Jean-Michel Jaudel, 2000