Parmi les lémuriens
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Parmi les lémuriens
10 juillet 24
Troisième, et dernier acte de ce voyage.
De retour des Tsingy, je laisse Onja et son 4X4 à Antsirabe, et regagne en taxi-brousse Tana et la famille de Liliane qui me réaccueille très sympathiquement chez eux. Après cette première grosse semaine passée quasi non stop sur la route, je n'ai plus envie de faire encore de longues heures de route pour rejoindre de nouveaux lieux à visiter. Alors le Parc National d'Andasibe, à 200km à l'est de Tana sur la route de Tamatave (la 2ème plus grande ville du pays et LE port de Mada) me semble être un choix parfaitement judicieux pour passer quelques jours reposants, avant de redécoller de Tana. C'est donc là que je vais le surlendemain.
Il y a taxi-brousse et taxi-brousse ; et pour ceux qui veulent (et ont les moyens) de prendre un transport collectif un peu plus confortable et sécurisant, il y a désormais des compagnies privées qui assurent les liaisons dans le pays, avec des mini-bus dont on peut espérer qu'ils soient révisés et entretenus préventivement d'un point de vue mécanique, afin d'éviter quelques aléas fâcheux, et à bord desquels chaque passager a un siège attribué ; bref entendre qu'on ne va pas être compactés à 6 sur une banquette. Pas de bol, le véhicule tombe en panne à peine sorti de la gare routière ! Pas de bol ou heureusement en fait, car cela permet à deux personnes d'intervenir rapidement pour régler le problème de batterie, et redémarrer rapidement...
La RN 2 n'est pas en meilleur état que la RN7, quoique. C'est quand même l'axe vital du pays, amenant toutes les marchandises du port de Tamatave à Tana. Certaines portions roulent, d'autres moins. On y croise de nombreux camions, des taxi-brousses de différents âges, et des trous éparses qui ponctuent la route.
Je vous ai déjà parlé de la géographie climatique de l'île. Et si le paysage s'assèche au fur et à mesure qu'on s'enfonce dans l'ouest, il se verdit au contraire au fur et à mesure qu'on se rapproche de la côte est. La végétation devient plus abondante, plus luxuriante, tropicale, à l'image de celle de la Réunion. C'est donc ce décor plus verdoyant qui s'offre à moi, plus riche en eau, très valloné également. Et c'est dans ce cadre que siège le parc national d'Andasibe.
Andasibe est connu pour héberger notamment les Indris-indris, les plus grands lémuriens existants, ainsi que d'autres espèces. Le fameux Aye-aye, ce petit lémurien à la tête d'extraterrestre autour duquel ont circulé tant de sombres légendes ici à Mada qu'il en a été presque exterminé (c'est le mammifère le plus rare et menacé de la planète) n'y est quasiment plus présent.
Alors, est-ce que les lémuriens sont des singes ? Non, erreur ! Ils font bien partie de la famille des primates, mais forment un sous-ordre appelé prosimien, car ils sont plus primitifs que les singes dans l'histoire de l'évolution. S'ils sont bien apparus après la séparation de Madagascar avec le continent africain, laissant suspecter plusieurs hypothèses pour expliquer leur migration sur l'île, c'est justement l'insularité qui les a protégé de l'apparition et de la concurrence de leurs cousins les singes, ainsi que de l'apparition de nombreux prédateurs ; que ce soit sur le continent africain, mais aussi européen et américain qu'ils avaient colonisés, où ils se sont ensuite éteints. Le lémurien, c'est donc l'emblème de Madagascar, qu'on appelle parfois la Lémurie !
Ainsi, de nombreuses genres différents y cohabitent qu'on peut déjà distinguer entre les diurnes, qui vivent et qu'on observe le jour, des nocturnes, dont le aye-aye par exemple fait partie. Les lémurs ou makis (l'animal emblématique du dessin animé ...Madagascar, eh oui !) sont des diurnes, tout comme les Indris ou les Propithèques et les Sifakas qui sont ceux qu'on peut facilement observer dans le parc. Quant aux nocturnes, qu'on peut parfois les apercevoir nichés dans le creux d'un arbre en pleine journée, on va plutôt aller les observer la nuit à la frontale. Il faut signaler les mignons microcèbes ou microcébus, qui comme leur nom l'indique ne sont pas plus grand que 12cm !
Andasibe n'est qu'un grand village situé à quelques km en retrait de la RN, au milieu de cette forêt de grands arbres, qui révèle dès qu'on arrive une atmosphère paisible et très reposante. Ici, les taxis ne te klaxonnent pas pour t'inciter à les prendre, les gamins ne te sautent pas dessus pour réclamer un billet ou un bonbon, l'air n'est pas pollué par l'odeur ni le bruit incessant des voitures. C'est calme, et c'est top pour finir le voyage !
Le village en lui même a une véritable allure de ville du Far West, avec ses maisons en bois sombre encadrant une grande rue commerçante, où les gargottes côtoient les mini-épiceries et les vendeurs de fruits et légumes, et qui me mène jusque la place centrale, grand terrain de foot et de rassemblement de toute la population locale, où de nombreux enfants et jeunes adultes jouent au ballon. Je déambule au milieu de cette foule, amusé de cette ambiance, longe l'ancienne grande gare coloniale, du temps où la ligne de chemin de fer transportait encore des passagers (elle ne transporte désormais plus que du carburant et des marchandises), et parcoure à pied les quelques km qui séparent mon hôtel de la ville, au milieu de la forêt. Je croise régulièrement des malgaches qui parcourent à pied ces quelques km, fait un bout de trajet avec un groupe de lycéennes qui me parlent de leur rêve de devenir médecin ou hôtesse de l'air.
Je décide de m'adresser à une association de communautés locales, Mitsinjo, plutôt qu'au grand parc national, pour aller observer les lémuriens : moins cher, et je me dis aussi qu'au moins, là, l'argent va revenir réellement à la population. Car oui, outre le billet d'accès, guide obligatoire pour se promener dans le parc ou dans cette parcelle forestière gérée par les locaux. Les touristes sont présents, mais encore peu nombreux à visiter le coin. La grosse saison, c'est plutôt mi-juillet et août, ainsi que l'été en novembre décembre (n'oubliez pas que les saisons ici sont inversées !;-)). C'est donc seul avec une sympathique guide locale que je pars me promener en forêt, pour en faire le grand tour. Le spectacle peut commencer.
Il faut les voir, ces Sifakas, évoluant par groupes de 3 ou 4, se balancer du haut d'un arbre à un autre par la force de leurs grands et longs bras, pour aller ensuite grignoter quelques feuilles qu'ils affectionnent. Il faut les voir, accrochés à un tronc, les jambes recroquevillées sous leur propre tronc, en train de nous observer avec autant d'attention et de tranquilité que nous les observons nous mêmes. Leur agilité est déconcertante, leur pelage blanc, gris et roux éclatant, mettant en valeur leur faciès aplati d'un noir ébène ainsi que leur longue queue blanche, dont ils se servent comme d'un cinquième membre pour aller chercher une branche un peu éloignée.
Il faut les entendre, ces cris de Indri-indris, si puissants qu'on les entend à plusieurs km de distance, évoquant une longue complainte stridente qu'on pourrait d'abord attribuer à un oiseau. Cela permet à un groupe de se localiser dans la forêt, auquel un autre groupe répond en écho quelques minutes plus tard. C'est véritablement impressionnant, et presque assourdissant quand on se situe juste en dessous ! Il faut les voir, ces plus grands lémuriens qui peuvent atteindre jusqu'à 1m pour 7 à 10kg, scruter la vie de la forêt à la cime des arbres. De couleur noire et blanche, ils sont caractérisés par la présence d'un petit moignon à la place de la queue.
Quand nos guides, qui ont ramassé les jeunes pousses de plantes dont ils sont si friands, parviennent à les faire descendre pour un festin, nous parvenons à les voir de très près, pour notre plus grand bonheur à tous. Niché dans une poche ventrale, comme les kangourous, on distingue le visage d'un nouveau né de quelques semaines, collé à sa maman, dont les yeux commencent tout juste à éclore. C'est un spectacle très émouvant que de pouvoir observer ces animaux de si près, en pleine liberté !
Nous poursuivons notre parcours dans le parc, afin d'apercevoir d'autres espèces de lémuriens, des lemurs fauves ou à ventre roux, mais aussi des caméléons qui siègent paisiblement sur une branche. Animal à corps froid pouvant vraiment changer de couleur pour mieux se fondre dans le paysage, avec ses yeux globuleux ayant la capacité de regarder à 360° sans même bouger la tête, ce reptile peut atteindre jusqu'à 20 cm de long ; mais il existe d'autres espèces toutes petites, que nous parvenons à approcher la nuit à la frontale, mesurant à peine 1 cm ou 2 ! Leur queue enroulée sur elle même rend difficile l'appréciation précise de leur taille. Egalement au cours de cette promenade nocturne, nous parvenons à voir le fameux microcebus, très discret mais dont les yeux brillent à la lueur de nos frontales.
Un très bel espace de calme et de nature que ce parc d'Andasibe, où je prends le temps de ralentir le rythme, terminer la lecture des livres que j'ai emporté (et je me retrouve même un peu à court !), observer quelques groupes de lémuriens se promener d'une branche à une autre à proximité de l'hôtel , écouter les cris des Indris au loin, sympathiser avec le patron français d'un restaurant à côté, et me régaler d'un steak de zébu fondant à souhait...
C'est l'heure de rentrer ! Et pour terminer l'expérience malgache, je prends un taxi brousse old school pour rejoindre la ville d'à côté. Le poste de conduite est rafistolé de partout, le moteur se démarre au fil, les essuis glaces se bloquent si le conducteur ne prend pas le temps de les couper entre chaque aller-retour, juste avant qu'ils finissent leur course, obligeant sinon à s'arrêter pour les repositionner.
Nous sommes peut être 20 dans ce mini bus, peut être plus, 5 au moins par rangée, la porte arrière restant ouverte en permanence pour que les assistants du chauffeur, debout accrochés à l'arrière du véhicule, puissent faire monter et descendre facilement les passagers. Nous pourrions même être plus, mais les taxi brousses sont régulièrement arrêtés et contrôlés par les policiers et gendarmes disséminés le long de la route, qui veillent quand même à ce que certains n'abusent pas trop... Et nous progressons ainsi lentement, au fil des arrêts tous les 500m ou km, à une vitesse oscillant entre 20 et 30km/h, peinant douloureusement dans les côtes, dans un bruit de moteur et des vibrations secouantes de toute la carlingue... Lentement, certes, mais assurément, au rythme du pays, entouré de malgaches amusés de voir un Vazaha partager leur quotidien.