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À la recherche d’un bout de terre

À la recherche d’un bout de terre

Publié le 1 oct. 2020 Mis à jour le 1 oct. 2020 Environnement
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À la recherche d’un bout de terre

Le sujet “L’agriculture en ville” a été élu à 56% le 2 février 2019 lors du vote mensultimédia de L’avertY. N’oubliez pas que le média ne vit qu’à travers vos dons sur la plate-forme de financements participatifs Tipeee.

Trouver un bout de terre cultivable en bas des immeubles, ce n’est pas si simple. À Grenoble et dans l’agglomération, les envies de produire sa propre alimentation ne manquent pas. À commencer par les jardins collectifs, disséminés ici et là. Le Verger Essen’Ciel en fait partie. Il est situé dans une zone urbaine, le quartier Vallier-Catane. Né en 2013, ce jardin est supervisé par un noyau dur de 10 à 12 participants très actifs. Marc y contribue, plus modestement, depuis trois, quatre ans maintenant. Habitant à l’époque dans le quartier, “j’ai remarqué ça” un an ou deux après avoir déménagé. “Au début je venais pour jeter mes déchets au compost”, raconte-t-il. Originaire de Saint-Marcellin, retrouver le contact avec un bout de jardin lui tenait à cœur.

Au sein de cet espace vert, il a pu s’essayer au jardinage en ville en réalisant des semis, des tailles d’arbustes, ou encore de l’entretien. Plus que ça, il y découvre un espace de rencontre dans le quartier. Il croise régulièrement des personnes qui vont récupérer du compost, mais aussi des mamies, ou encore les promeneurs de chien. Il n’y a d’ailleurs pas d’organisation précise pour les horaires, “chacun vient quand il peut”. Bien connecté à son environnement urbain, le jardin bénéficie d’aides extérieures avec les dons de feuilles mortes des services de la Ville de Grenoble, ou le marc de café d’un établissement voisin, afin d’améliorer la qualité de la terre.

Sur la production en elle-même, Marc tient à préciser en toute franchise, “on ne se fait pas notre panier de légumes chaque semaine. On récolte peu, c’est surtout un espace d’expériences.” Parfois, des salades sont piquées par d’autres personnes extérieures au jardin, mais il ne leur en tient pas rigueur. Cependant Marc reste émerveillé devant la productivité du jardin, où les courges “poussent à fond en deux mois”. Pour lui “ça pousse bien parce que les jardiniers sont à fond”. Malgré son déménagement dans un autre quartier de Grenoble, il continue de participer au Verger Essen’Ciel.

Planter un arbre, tout un art ?

En plus de l’espace potager, le jardin du quartier Vallier-Catane accueille des arbres fruitiers, encore jeunes, plantés en 2014. Un autre rythme d’agriculture qui demande quelques connaissances spécifiques. En atteste l’approche prudente des citoyens d’Eybens, réunis le 6 février par l’association “Les Croqueurs de pommes”, dans les locaux de la mairie. Philippe Jamet, Coublevitain, a déroulé un diaporama très complet, deux heures durant, auprès d’un groupe d’intéressé·e·s dans l’objectif de planter des arbres à l’Espace nature de la ville. Cette parcelle collective permet depuis plus d’un an l’animation de projets citoyens collectifs autour de la nature et de la biodiversité. On y retrouve déjà une mare et un potager partagé. Cet espace de 8000 m² situé au Pré au Crêt sera par ailleurs entretenu par une quinzaine de personnes en situation de handicap, grâce à l’association dédiée Arist.

La conception du verger n’en est qu’à ses débuts. C’est pourquoi l’association “Les Croqueurs de pommes” a donné quelques petits conseils, notamment sur l’espacement à respecter entre chaque arbres, sur les zones d’accès, ou sur l’anticipation de la hauteur d’un arbre à taille adulte. On a pu apprendre notamment que “les abricotiers ne poussent pas bien ici”, ou au contraire qu’on peut désormais planter des oliviers dans la région. Les habitants présents sont bien conscients qu’on ne peut pas faire tout et n’importe quoi. Patrick est venu parce que ses arbres “achetés chez Botanic crèvent régulièrement”. Pour Laurent, il a été convaincu par les premières expérimentations de l’Espace nature et a “envie d’apprendre et de participer”. Pour Hélène, “l’idée de verger me plaît bien”, tout simplement.

Comme on peut l’observer pour les jardins potagers collectifs, Les croqueurs de pommes concluent qu’un verger nécessite “une structure, que les gens se réunissent comme dans une association” pour pouvoir maintenir l’action dans la durée. Les arbres dits “haute-tige” peuvent ne pas produire de fruits avant 10 ans. Pour le moment, l’implantation des arbres sur l’Espace nature est fixée pour la fin d’année 2019. La mairie est garante de la coordination et de l’animation de ces rencontres citoyennes, représentée ce soir-là par Muriel Aldebert, responsable du Pôle citoyenneté à la ville d’Eybens, et par l’élu Henry Reverdy, conseiller municipal délégué aux Espaces verts. De l’autre côté de l’agglomération, un autre verger est en cours de formation à Saint-Égrève, dans le quartier Rochepleine. Muriel Aldebert imagine déjà une rencontre entre les deux projets, au cours de l’année.

Parcelles individuelles

Toujours dans l’agglomération, on découvre des jardins proches de l’autoroute à Échirolles ou à Pont-de-Claix. Appelons-le Charles, il possède sa propre parcelle de terre à jardiner depuis son déménagement il y a deux ans dans le quartier de La Viscose à Échirolles. Des haricots verts, de l’ail, des tomates, et “peut-être même des oignons” seront plantés cette année. Si ses parents originaires de Champ-sur-Drac lui ont permis de se projeter sur un jardin, il a appris à cultiver ses légumes “petit à petit”, avec les anciens des autres jardins environnants.

Pour lui “la terre n’est pas idéale”, mais le passionné passe beaucoup de temps sur son terrain. Parfois “ça pousse, mais ça dépend des années”. Une fois, il a essayé de planter des patates, il n’en a récupéré que deux parmi tous ses plants. Une autre fois ce sont les pucerons qui ont détruit ses aulx. Et pas question d’utiliser des produits pour les tuer, car “ça tue également la plante”. Mais quand Charles sort quelques légumes de terre, la satisfaction est là, “je sais ce que je mange”. Plus qu’un jardin pour se nourrir, c’est une occupation pour le moral. “L’hiver je m’emmerde”, témoigne-t-il, mais le reste de l’année et grâce à son jardin, l’homme de 66 ans a la sensation d’en avoir seulement 30.

Ali jardinierAli Bayram commence tout juste à retourner la terre à Échirolles ce mois de février.

Avec son voisin Ali Bayram, ils sont les deux plus actifs à venir labourer en ce mois de février. Les autres voisins ne montrent pas le bout de leur nez avant mars ou avril. Les conditions d’utilisation de l’eau ne sont pas pour autant idéales. Ils récupèrent la pluie dans des bidons bleus, ou sinon font des aller-retours jusqu’à un point d’eau proche avec une charrette. Malheureusement, Charles se l’est faite voler il y a quelques jours. Il suppose que ce sont quelques gamins du quartier qui l’ont piquée. Il espère la retrouver dans le quartier bientôt.

Un peu plus loin au sud, à Pont-de-Claix, on peut découvrir des jardins familiaux entre la résidence Les Elfes et le Canal des 120 Toises. J’y rencontre Ludovic Abrard, 91 ans et toujours présent sur sa parcelle. Malgré son âge, il continue de cultiver persils, céleris, courgettes ou courges. Sur l’efficacité de son terrain, il explique que ça se passe bien en général, “sauf l’année passée, ça a été dur, avec beaucoup de parasites”. À quelques centaines de mètres, Slimane Essid n’est plus tout jeune non plus. Avec sa parcelle de 50 m², il cultive des fèves, petits pois, piments, courges, tomates et aussi des fraises. “On se prête des plantes entre nous”, explique-t-il à propos des relations entre voisins. Comme pour Charles, il plante pour le plaisir et occupe ainsi sa retraite. Lors de notre rencontre, son ami Mihoib Muhrey était là pour l’aider à retourner la terre. Il trouve aussi du plaisir à cultiver et avait pris cette habitude en Tunisie. Cet autre Pontois n’a pas encore de parcelle à jardiner. L’attente est longue pour obtenir son lot de terre, entre 3 et 5 ans d’après ses estimations, et seulement “si quelqu’un part”. Il faut préciser que l’exploitation de bout de terre ne coûte que 45€ à Slimane, pour l’année entière.

Des expérimentations aériennes

Dans le domaine de l’agriculture en ville, une association fait parler d’elle à Grenoble. Celle au nom explicite “Cultivons nos toits”. Précédemment association étudiante, dès 2011, elle s’est professionnalisée en 2016 grâce à des subventions privées, puis publiques de Grenoble-Alpes Métropole et de la région Rhône-Alpes en 2017–2018. Les figures de proue de l’association actuelle sont dans l’ordre d’arrivée Lucas Courgeon (2014), César Lechémia (2015) et Mickaël Bourgeois (fin 2016–2017). Tous les trois peuvent aujourd’hui vivre de cette activité.

Plusieurs projets sont à compter à leur actif. Le plus visible a été celui de La Casemate. Le toit du bâtiment leur a été confié pour 30 m² d’abord en avril 2016, avant de passer à 300 m² de terrain cultivable, cinq mois plus tard. L’association a eu le temps de démontrer qu’il était possible de cultiver des comestibles sur un toit, ouvrant l’imaginaire des possibles. Une année plus tard, le jardin est la victime collatérale de l’incendie visant le FabLab de La Casemate. Les accès n’étant plus sécurisés et l’étanchéité du toit à refaire, l’association a dû purement et simplement abandonner son activité sur ce lieu.

Plus historique, l’association avait également installé un jardin partagé à Vif. Il a été arrêté courant 2018 face à la baisse de motivation des bénévoles sur place. Il n’y avait pas d’animateur privilégié pour ces 400 à 500 m² de jardin, dont 50 m² sous serre. Cependant, les énergies ne manquent pas pour “répliquer le projet de La Casemate”. Un gros projet doit voir le jour en septembre 2020, celui du “Bar Radis”. César Lechémia développe en détails dans l’interview vidéo ci-dessous accordée à L’avertY.

Conscient des attentes du public, il explique spontanément l’impact des polluants dans l’air sur les légumes. En se basant sur une étude de AgroParisTech, il estime qu’avec les pesticides en campagne, les légumes peuvent être “très largement pollués”. Tandis que pour les cultures sur toits, “on a pu sélectionner notre substrat absolument pas contaminé”.

«On sélectionne une terre et du compost urbain en général qu’on mélange pour la culture des plantes. C’est un sol vivant, avec des insectes aussi. Notre terre est de meilleure qualité que des sols qu’on retrouve en campagne» - César Lechémia, salarié à Cultivons nos toits.

Même en agriculture traditionnelle biologique, il estime qu’il peut y avoir plus facilement des contaminations, par les rivières ou les sols. Pour lui, la pollution du sol est plus important pour les légumes en racines, tandis que la pollution de l’air va être importante pour les légumes feuilles. “Ce qui va se déposer principalement, ce sont des micro-particules qui ont tendances à ne pas monter au dessus de 10–12 mètres.” L’agriculture urbaine manque toutefois d’études locales pour venir valider ces premières conclusions.

L’association est toutefois totalement convaincue de l’utilité de son action. Elle voit les côtés positifs “des coefficients de PLUI qui sont imposés en pleine terre sur des futures nouvelles constructions”. César Lechémia ne croit pas à des grands changements au niveau national, “il faut que ça se fasse au niveau local”. C’est par les politiques qu’il espère voir les futurs promoteurs sensibilisés à ces questions de l’agriculture urbaine. De leur côté, le trio de salariés de Cultivons nos toits crée des animations et ateliers à destination des citoyens. Après avoir lu cet article, vous verrez peut-être les toits de Grenoble sous un autre œil.

Ludovic Chataing, journaliste pour L’avertY.

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