Chapitre 6
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Chapitre 6
Le rituel
Une forêt dense et silencieuse s’étendait devant Alice. Les arbres semblaient se pencher vers elle sous le poids de leurs manteaux blancs. Le tapis de neige épais absorbait le moindre bruit, et seule la respiration haletante d’Alice rompait ce silence presque sacré.
Tout au loin, une lueur dansait à travers les troncs sombres. Elle plissa les yeux et distingua les contours d’une clairière, où un feu brûlait, vif et téméraire au cœur de cette étendue glacée. Deux silhouettes se tenaient autour des flammes, massives et étrangement familières.
Le souffle d’Alice se bloqua. Elle les reconnaissait. L’un portait un manteau sombre, orné de houx et de baies rouges qui vibraient presque sous la lumière du feu. Le Roi du Houx, son hôte. L’autre, imposant et lumineux malgré l’obscurité, semblait drapé d’écorce et de feuillage doré, comme si la lumière estivale persistait en lui. Le Roi du Chêne.
Alice sentit un frisson glacé la traverser. Quelque chose dans leurs postures trahissait l'imminence d’un affrontement. Les deux Rois tenaient chacun un bâton noueux, presque aussi grand qu’eux, et leurs regards brûlaient d’une intensité qui semblait pouvoir transpercer la nuit.
— Non… non, murmura Alice pour elle-même.
Ils s’élancèrent.
Le choc des bâtons retentit, sourd et puissant, comme une cloche lointaine. Ils tournaient autour du feu, chaque mouvement précis et calculé. C’était un combat, oui… mais pas seulement. Une danse. Une chorégraphie ancienne, à la fois féroce et hypnotique. Leurs gestes faisaient virevolter des étincelles qui montaient haut dans les airs, se fondant dans les étoiles. Leurs ombres s’allongeaient, dansant elles aussi sur les troncs des arbres, déformées, sauvages, presque vivantes.
Cachée derrière un chêne, Alice observait, figée entre deux pulsions contraires : celle de s’élancer pour arrêter ce qu’elle voyait comme une folie, et celle de rester en retrait, terrifiée à l’idée d’être prise dans ce tourbillon incontrôlable. Elle serra les poings.
"Ils sont fous! Pourquoi se battent-il ?"
Les étincelles continuaient de pleuvoir, et le feu semblait croître, comme s’il se nourrissait de leur lutte. Puis, tout à coup, le Roi du Houx vacilla sous un coup puissant. Son adversaire profita de l’ouverture pour le renverser et plaqua son bâton contre sa poitrine.
Alice retint son souffle. Le Roi du Chêne se pencha lentement vers son rival, son visage tendu d’une expression indéchiffrable. Ses yeux luisaient comme deux braises. La neige sembla se figer, suspendue entre le ciel et la terre.
— Arrêtez ! hurla Alice.
Elle bondit hors de sa cachette, le cœur battant à tout rompre. Mais au moment où elle crut que l’inévitable allait se produire, un éclat de rire retentit.
Un rire grave, vibrant, presque musical.
Le Roi du Chêne recula et tendit une main puissante au Roi du Houx, qui la saisit pour se relever. Ils se tapotèrent l’épaule, comme deux compagnons retrouvés après une longue séparation.
— Alors, tu perds encore ton souffle, vieil ami, lança le Roi du Chêne.
— C’est toi qui frappes trop fort, répliqua le Roi du Houx avec un sourire en coin.
Alice resta pétrifiée, le souffle court, les yeux écarquillés. Les deux géants se tournèrent vers elle, leurs visages illuminés par les reflets dansants du feu.
— Eh bien, approche donc, jeune fille, dit le Roi du Houx en désignant le feu. Tu dois avoir froid.
Les jambes encore tremblantes, Alice s’avança jusqu’à la clairière et s’assit près des flammes. La chaleur l’enveloppa aussitôt, douce et réconfortante, comme un plaid qu’on dépose sur les épaules d’un enfant.
— Pourquoi… Pourquoi vous battiez-vous ? balbutia-t-elle.
Les Rois échangèrent un regard et sourirent, leurs expressions désormais paisibles.
— Ce n’est pas un combat comme les autres, expliqua le Roi du Chêne. C’est un rituel. À chaque solstice d’hiver mais aussi celui d’été, nous nous affrontons pour marquer le passage du temps.
— L’un doit céder sa place à l’autre, ajouta le Roi du Houx. C’est ainsi que l’hiver progresse vers le printemps et vice versa. C’est la danse de la lumière et de l’ombre, de la mort et de la renaissance.
Alice les écoutait en silence, puis baissa les yeux, nerveuse. Le poids de ce qu’elle avait fait dans la salle des vœux pesait encore sur ses épaules. Alors, d’une voix hésitante, elle se mit à raconter.
— Dans cette salle… J’ai voulu trop en faire. C’était comme si je perdais le contrôle. Toutes ces demandes, toutes ces promesses… Je n’ai pas su m’arrêter.
Les Rois ne dirent rien pendant un moment, puis le Roi du Houx répondit doucement :
— L’intention est une force puissante, mais elle doit être mesurée. Elle doit naître d’un regard honnête sur ta vie, sur tes capacités, sur ce que tu es prête à offrir en retour. La force répond toujours à la force. Si tu sais ce que tu es capable de donner, alors elle exaucera tes vœux.
— Mais tu es la seule responsable de ton énergie, renchérit le Roi du Chêne. Personne ne la gérera pour toi. On croit souvent que, parce qu’on peut tout faire, alors on le doit. Mais ce n’est pas vrai. Être capable ne signifie pas être obligé.
Alice sentit ses joues chauffer sous l’effet des mots.
— Cette période est particulièrement délicate, poursuivit le Roi du Houx. Toutes les forces sont en dormance. C’est pourquoi chacun cherche désespérément de l’énergie là où il peut… souvent auprès des autres. Mais à toi de la protéger, de l’équilibrer, pour ne pas t’épuiser.
Le Roi du Chêne se tourna vers son vieil adversaire avec un sourire :
— Moi, je suis ici pour prendre la relève. Lui, il peut enfin se reposer.
Alice regarda le Roi du Houx, dont les traits semblaient déjà s’adoucir, comme allégés par cette passation. Elle pensa à elle-même. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas accordé ce droit ? Le droit de céder et de se reposer ? Puis, d’une petite voix, elle osa poser la question qui la hantait depuis longtemps :
— Et comment on retrouve… la magie ? Je veux dire, dans la vraie vie ? Comment on fait, quand on est adulte, pour ressentir encore cette… étincelle ?
Les Rois la dévisagèrent un moment, comme s’ils attendaient qu’elle découvre la réponse par elle-même. Puis le Roi du Chêne répondit avec calme :
— La magie, Alice, ne vient pas d’ailleurs. Elle vient de toi. C’est à toi de la créer.
— Mais… comment ? balbutia-t-elle.
Le Roi du Houx prit le relais, sa voix grave comme le murmure du vent à travers les branches :
— En prenant le temps. En t’inspirant des rituels anciens, ou en en créant de nouveaux. En t’alignant avec les cycles de la nature, en respectant ses rythmes au lieu de les fuir. Mais surtout, en te tournant vers toi-même, et en écoutant ce que ton âme désire vraiment. Ce qui te fait vibrer. Ce qui allume cette étincelle que tu cherches.
Le Roi du Chêne ajouta doucement :
— Pendant la période de Yule, tu peux créer ta réalité – en ce moment tu as toutes les possibilités et tous les droits. Mais tu ne peux compter que sur toi-même. Ni les dieux, ni les hommes ne sont obligés de t’aider, du moins jusqu’à ce que tu prouves que tu es digne d’être remarqué. Souviens-toi fermement : ta vie dépend de ta propre volonté.
Alice sentit une émotion lui serrer la gorge. Leurs paroles résonnaient en elle, comme une vérité oubliée qui remontait lentement à la surface. Elle pensa à toutes ces petites choses qu’elle avait négligées, ces moments où elle aurait pu ralentir, écouter, s’accorder du temps, mais où elle avait préféré courir, remplir, accomplir.
Le Roi du Houx reprit d’un ton plus doux :
— Être adulte ne signifie pas renoncer à la magie. Cela signifie simplement apprendre à la façonner. Quand tu honores ce qui est sacré pour toi, que ce soit un rituel, un moment de gratitude, un feu allumé dans le silence d’une nuit d’hiver… alors la magie renaît. Elle est partout, Alice, mais elle attend que tu choisisses de la voir et de la nourrir.
Alice sentit une émotion lui serrer la gorge. Leurs paroles résonnaient en elle, comme une vérité oubliée qui remontait lentement à la surface. Elle pensa à toutes ces petites choses qu’elle avait négligées, ces moments où elle aurait pu ralentir, écouter, s’accorder du temps, mais où elle avait préféré courir, remplir, accomplir.
— C’est si simple, souffla-t-elle. Pourquoi j’ai oublié tout ça ?
Le Roi du Houx sourit, fatigué mais bienveillant :
— Parce que, dans ce monde, il est facile de se perdre. Mais tu es ici maintenant, et tu sais. Quand tu te réveilleras, Alice, souviens-toi : la magie n’attend pas qu’on la trouve. Elle attend qu’on la crée.
Alice fixa le feu, les paroles des Rois tourbillonnant dans son esprit. Peu à peu, tout autour d’elle se brouilla. Le vent, la neige, même les Rois devinrent flous, comme absorbés par un rêve lointain. Seule la chaleur persistait, et cette lumière orange, douce et vibrante, qui dansait encore sous ses paupières closes.
(illustrations réalisées avec Microsoft Bing;
correction orthographe par ChatGPT)