2. Timelapse : Thunder Bay — Ontario (Canada), le 19 août
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2. Timelapse : Thunder Bay — Ontario (Canada), le 19 août
Malgré l’autoroute proche, tous les sons parvenaient étouffés dans l’habitacle du pick-up. Brian Carmichael n’entendait rien du monde extérieur de toute façon. Ni le brouhaha de la circulation, ni les passants qui traversaient le parking, ni la sirène de l’ambulance qui s’engouffrait dans l’allée réservée aux urgences. La seule chose qui résonnait encore à ses oreilles était les derniers mots de l’oncologiste : « un mois maximum… si vous restez ici, sinon… »
Un mois…
Tout, autour de lui, revêtait les allures d’une vaste scène de film dont il n’était que le spectateur impuissant. Un long ralenti sans fin tout droit sorti de la caméra d’Akira Kurosawa ou de Sam Peckinpah, sans bruitage, sans dialogue, sans repère temporel.
La tête lui tournait. Les ramifications de la nouvelle s’avéraient si… si… Il ne savait plus quoi penser, encore moins par où commencer. Il perdait pied complètement et voulait juste sombrer pour toujours dans cette sensation de légèreté qui l’enveloppait petit à petit, un monde de ouate où les sons ne résonnaient plus, où les images restaient fixes, où le temps s’arrêtait.
Un mois…
La couverture plastifiée de ses résultats d’examens renvoya un rayon solaire et l’éclat de lumière le sortit de sa torpeur. La grisaille et la pluie auraient dû être à l’ordre du jour pour pousser la morosité à son comble, mais la vie est capricieuse. Un magnifique soleil brillait de mille feux dans un ciel bleu d’une pureté rare, loin de la pollution des grandes métropoles, une superbe journée d’été canadien. Brian fixa le dossier médical qui siégeait à ses côtés à la place du mort, là où il l’avait laissé tomber en se réfugiant dans son véhicule de fonction aux armoiries du parc régional de Quetico. Quelle ironie… autant changer de position tout de suite avec lui. Le folio blanc estampillé au sigle de l’hôpital avait plus de chance d’être en état de conduire et de le ramener à la maison. Il crispa les mains sur le
volant. La maison… Emily, Duane… comment leur annoncer la nouvelle ? Comment expliquer à la seule femme ayant partagé son existence et leur fils de huit ans
qu’ils allaient devoir continuer sans lui ?
Son regard autrefois vert et brillant avait tourné au kaki sombre. Il cligna des yeux pour chasser les larmes naissantes. Ce n’était ni le moment ni l’endroit. Il croisa son image dans le large rétroviseur central. Sa peau pourtant cuivrée et burinée par une vie en extérieur paraissait désormais terne. Ce teint cireux lui donnait quinze ans de plus et le visage qu’il fixait était celui d’un quinquagénaire fatigué. Il détourna son regard, ne se reconnaissant plus dans ce pâle reflet de lui-même.
Un mois…
Brian se focalisa sur les allées et venues autour de son véhicule. Peu à peu, le temps reprit ses droits et les mouvements redevinrent plus réguliers, les sons aussi. Il secoua la tête avec fatalisme. Sa courte queue de cheval noire brossa un instant le col de sa chemisette. Il avait ignoré les signes : migraines, vertiges, articulations douloureuses. Les reléguant à la fatigue, à quelques excursions plus soutenues que les autres, ou à une mauvaise hydratation. Mais comme le lui avait indiqué le spécialiste, cela n’aurait pas changé grand-chose. La forme rare et fulgurante de cancer lymphatique qui le touchait s’avérait de toute façon incurable. Consulter avant n’aurait pas arrangé son état, il aurait juste reçu la nouvelle de son inéluctable fin plus tôt.
Un mois… Un mois enfermé dans un hôpital, cloué dans un lit, branché à des tubes.
Il défroissa d’un geste machinal les épaulettes de sa chemisette beige.
Non ! Brian Carmichael, park ranger passionné, responsable des mouvements des grands mammifères, trekkeur invétéré et secouriste en milieu sauvage n’allait pas finir ses jours au fond d’un lit d’hôpital !
Il prit une longue inspiration, crispa ses mâchoires, et mit le contact.