Vous souvenez-vous du prénom d’Alzheimer ? – Heu, non... Eh bien voilà, c’est comme cela que ça commence !
Cette devinette dans le style potache pour introduire le sujet. Alois Alzheimer (1864-1915) suite à la description qu’il fit en 1906 de la maladie qui porte son nom a atteint une notoriété planétaire. Rien d’étonnant à cela puisque dans la seule France d’aujourd’hui on compte 1,3 million de patients diagnostiqués avec la maladie d’Alzheimer. L’envolée épidémique de cette maladie, pourtant non-contagieuse, pose un grave problème de santé publique et, ceci expliquant cela, suscite un débat sur son origine et sur sa prévention, à défaut d’un traitement. Le fait intéressant est que dans ce débat, un franc-tireur, qui passe aux yeux de certains pour un illuminé, le docteur André Gernez, prétend avoir la réponse et joue du même coup les Cassandre car (presque) personne ne le croit. Pourtant ce chercheur spécialiste des maladies dégénératives, a reçu le prix Hans Adalbert Schweigart (de l'Union mondiale pour la protection de la vie) en 1979 à Salzbourg, avec Konrad Lorenz. Et en 2012 au sénat, il a reçu la Grande médaille d'or de la Société d'encouragement au progrès.
André Gernez (1923-2014) attaché, après la guerre, auprès de la Fondation française contre le cancer de l'Institut Curie, préconise d’intervenir précocement avant tout diagnostic de cancer. En 1970, il s’oppose à la théorie de la fixité neuronale de Ramón y Cajal, prévalente à l’époque, et établie sa propre théorie impliquant l’existence des cellules-souches. Ainsi il dérive toutes les maladies dégénératives (cancer, athérosclérose, sclérose en plaques, Parkinson, Alzheimer, etc) d’une cause commune. En 1983, il expose à l'Académie des Sciences sa théorie structurale de la schizophrénie qui affirme que l'homme utilise deux réseaux cérébraux pour penser et que le dernier réseau cérébral accessoire, tardif et terminal, prévaut sur le réseau primaire en inverse la réalité chez les schizophrènes. Il émet également l’idée d'un “besoin biologique de croire” alléguant que le fait religieux serait fixé génétiquement dans le cerveau limbique et expose sa théorie dans son opuscule “Biologie et Pathologie de la Fonction religieuse” (Fiat Lux) et dans le chapitre sur l’Alzheimer de son ouvrage “Les Maladies dégénératives. Les Propositions du Docteur André Gernez” (Kontre Kulture).
La position d’André Gernez n’est pas orthodoxe puisqu’elle invalide tous les modèles proposés pour expliquer la naissance des religions qui tous invoquent l’activité créatrice de l’intelligence par le moyen de l’abstraction – c’est-à-dire une activité spécifique du néo-cortex ou troisième cerveau dans l’ordre de l’évolution. Il s’appuie sur la théorie du cerveau triunique (un modèle controversé) selon lequel, au cours de l’évolution, les trois parties du cerveau actuel se sont développées successivement : le cerveau reptilien (vieux de 400 millions d'années), le cerveau limbique (200 millions d'années) et le néocortex apparu il y 4 millions d'années avec les premiers hominidés. Gernez considère que la corrélation de la fonction de transcendance avec l’intelligence abstraite est un privilège de l’homme moderne que ne partageait pas son prédécesseur l’homme de Néandertal qui n’avait pas de pharynx, ou du moins l’avait placé plus haut, ce qui le privait du langage articulé que nous connaissons, lequel n’aurait que 50 000 ans. En comparaison le fait religieux (attesté par la paléoanthropologie) aurait au moins 500 000 ans et serait apparu avec les premiers hominidés. Ce qui explique que la physiologie de la fonction religieuse est localisée dans le cerveau limbique dont dépend la vie émotionnelle et la croyance alors que la vie rationnelle et la connaissance dépendent du néocortex. On constate en outre que les voies de communication nerveuses vont de l’émotion à la raison et non l’inverse. C’est-à-dire que le cerveau limbique peut activer les activités rationnelles qui, en revanche, se montrent incapables de désinscrire l’instinct limbique, comme l’illustrent magnifiquement les tragédies de Racine.
L’homo religiosus a donc précédé le sapiens (terme créé par Linné, signifiant “sage”, un peu rapidement) et comme l’anthropologie exclue de faire dériver l’instinct religieux (présent dans tous les groupes humains) de la fonction conceptuelle, son statut génétique est à considérer. Les facteurs génétiques qui s’expriment sont dits “dominants” les autres sont dits “récessifs” et se désinscrivent. L’instinct religieux présente tous les caractères de la dominance. Et face à la répression la fonction continue à s’exprimer par diverses compensations. Les tentatives d’élimination échouent régulièrement : En 1910, le Mexique instaure un pouvoir athée anticlérical et un demi-siècle plus tard 98% des Mexicains sont catholiques. Même chose en Turquie avec Mustafa Kemal en 1923 et maintenant 99% des Turcs sont musulmans. Sans oublier l’URSS avec son athéisme d’État et la prohibition de l’enseignement religieux qui a fait qu’un demi-siècle plus tard il y avait plus de croyants déclarés que de membres du parti et plus récemment le Président Medvedev a qualifié de “vrai miracle” la renaissance de l’Église orthodoxe. Tant et si bien que l’Union des Athées déclarait en 1978 : “Un athéisme armé de la seule logique n’a jamais remporté sur la religion, depuis Lucrèce, que des victoires purement rhétoriques écornant à peine l’édifice...”
Alors ! La fonction religieuse sert-elle à quelque chose ? La biologie répond que tous les organes et fonctions jouent un rôle conforme au programme génétique de l’espèce. C’est ce qu’on appelle la “loi d’adéquation” qui stipule que dans l’évolution tout ce qui est nuisible ou inutile est récessif et finit par disparaître. De sorte qu’entre une opinion et une fonction, la fonction l’emporte nécessairement car l’Évolution ne lui fait grâce de rien. La fonction religieuse, successivement rituelle, mythique, totémique, fétichiste, polythéiste et finalement monothéiste (plus de la moitié de l’humanité) réalise son projet génétique par étapes comme toutes les autres fonctions.
Cette orientation de l’Évolution vers des stades supérieurs d’élaboration s’appelle l’anagénèse. Depuis des millénaires elle dut faire face à d’innombrables tentatives de suspendre l’évolution de la transcendance vers le but ultime défini par l’intelligence cellulaire, qui furent toutes sans lendemain. A partir de 1850 la France fut endoctrinée par le positivisme d’Auguste Comte (1798-1857). Le développement de la philosophie positiviste est représentatif d’une pensée du 19ème siècle, tout à la fois imprégnée de l’esprit sceptique des philosophes du 18ème siècle et subjuguée par le progrès scientifique. En langage philosophique du 18ème siècle, une connaissance positive est celle qui s’impose l’esprit par l’expérience ; elle s’oppose donc à la connaissance métaphysique, et a fortiori, à toute idée de révélation divine. Selon Auguste Comte au monothéisme doit succéder le stade industriel et positif, où l’homme ne cherche plus à connaître l’essence des choses, mais applique sa raison à comprendre ce qui est observable pour en déduire les “lois positives”. Il érige le positivisme en véritable religion en publiant en 1852 le “Cathéchisme positiviste”. Le succès en fut foudroyant et le positivisme inspira la plupart des philosophes modernes et les tenants des régimes qu’ils accompagnèrent, comme Jules Ferry (1832-1893) ministre de l’instruction publique. Ainsi, à partir de 1877, l’éducation religieuse fut combattue et chaque département dut créer une école normale d’institutrices, la loi Jules Ferry introduisant l’instruction civique laïque obligatoire en remplacement de l’enseignement religieux.
Or, à la différence des exemples d’échec dans d’autres parties du monde, cités ci-dessus, les tentatives d’imposer le stade scientifique par l’élimination des stades religieux considérés comme obsolètes et séquellaires, ont rencontré une réussite certaine en Europe et en particulier en France puisqu’on peut constater ceci un siècle et demi plus tard : “Si le catholicisme reste présent en France, c’est de façon sous-jacente, par l’attachement à des valeurs. Malgré la disparition quasi complète de la pratique religieuse, qui ne concerne plus que 6% des Français, et 1% des 18-24 ans, il reste une manière de vivre, nous disons une “anthropologie” façonnée au cours des siècles par l’Eglise catholique” (Rue 89, 28 avril 2013). Cependant, l’effondrement de la pratique religieuse provoqué par le milieu scientifique converti au positivisme ne réfute pas le caractère dominant de la fonction religieuse. Seulement, l’amputation de la référence théiste se traduit par un retour rétrograde à de vieilles pratiques : voyance, astrologie, fétichisme, occultisme, ritualisme transcendantal et ésotérique. Dans un sondage CSA Le Monde-La Vie, 37% des Français affirmaient croire à l’analyse des caractères par les signes astrologiques, 23% aux prédictions des voyantes et 21% aux envoûtements et à la sorcellerie. Plus surprenant encore, selon le sociologue Daniel Boy, auteur de “Les Français et les paroissiens, vingt ans de mesure”, diverses enquêtes montrent que la crédulité est proportionnelle au niveau des connaissances scientifiques, donc plus forte dans le milieu positiviste.
D’où la conclusion du docteur André Gernez : Le positivisme démontre actuellement l’aberration de son fondement qui, de plus (on y arrive enfin), a pour conséquence d’induire une maladie dégénérative inattendue, exponentielle et incurable : l’Alzheimer. Histologiquement et fonctionnellement cette maladie est caractérisée par une atrophie du cerveau limbique ayant pour conséquence le tarissement prématuré de son potentiel cellulaire qui ne survient normalement qu’avec la sénescence. C’est Jules Ferry qui, au nom de la laïcité et de la libre pensée, a introduit cette carence dans l’apprentissage en supprimant l’instruction religieuse. On peut donc voir le phénomène comme une guerre des cerveaux où le néocortex siège de la pensée positive, opprime le cerveau limbique où s’épanouissait l’instinct religieux en le mettant en situation de privation sensorielle. Le Docteur Gernez qui termine toujours ses exposés en proposant une solution, préconise pour se sauver de boire du vin en mangeant. Rien de surprenant à cela puisque, aussi bien, nous savons que c’est le sang du Christ.
Frédéric Sausse