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Agathe
2 mois plus tôt…
28 décembre 2024, 13h10
J’ai l’impression d’être redevenue enfant. Je contemple la route avec de grands yeux. Le paysage est tellement magnifique. Je n’arrive pas à croire que je m’apprête à vivre mon plus grand rêve.
Le bus commence à prendre des virages de plus en plus serrés à mesure que nous nous atteignons les montagnes. Je suis tellement contente d’avoir pris cette décision, ça va me changer d’air et surtout j’ai toujours eu ce rêve d’un jour passer plusieurs mois à la montagne. Je sais que ma mère s’inquiète un peu pour moi mais j’ai essayé de la rassurer du mieux que je pouvais. La montagne est un lieu de détente et de vacances et puis ce n’est pas si dangereux que ça, non ?
Je songe à ma licence de maths à laquelle j’ai dû mettre un terme pour pouvoir commencer ce projet. Je ne compte pas arrêter pour autant, mon but est de me faire un peu d’argent et de reprendre l’année prochaine, et puis faire ce que je m’apprête à faire ne fera que compléter mon CV. Lorsque j’en ai parlé à mes parents au début, ils étaient réticents. Mon père ne comprenait pas pourquoi je voulais arrêter mes études pour faire quelque chose que je pourrais bien faire plus tard après avoir fini ma licence et il faut avouer qu’il n’a pas trop tort. Pourquoi maintenant ? Pourquoi me presser autant ?
Cette année a été très difficile et je pense que j’en avais besoin, voilà tout, là maintenant, pas l’année prochaine, pas dans dix ans. Parois, la vie nous le fait ressentir lorsqu’on a besoin de changer d’air. Je vis à Nice depuis ma naissance et je m’y suis toujours sentie bien, là n’est pas le problème. Il s’agit plutôt dans mon cas de changer d’air mentalement. Je sais que l’air de la montagne m’apaise et qu’il va me permettre de me sentir mieux dans ma peau et surtout de ne plus faire trop de cauchemars la nuit.
Alors que nous passons sous l’un des nombreux tunnels de la vallée de la Vésubie, je commence à apercevoir des stalactites. La température extérieure annoncée par le bus descend de plus en plus, il fait maintenant zéro degré.
Je me dirige vers Isola 2000, la station de ski de mon enfance. C’est là que j’ai appris à skier et que l’on venait plusieurs week-ends dans l'année avec mes parents. La station n’est pas immense mais c’est sûrement la plus grande du Mercantour. La nature y est tellement belle, d’hiver comme d’été. J’ai postulé et été recrutée pour deux postes différents pendant trois mois : j'ai passé mon Eurotest, le slalom géant à parcourir pour devenir monitrice de ski que j’ai réussi au deuxième essai. C’est ce qui m’occupera tous les matins. Puis, l’après-midi, je compte m’engager sur un sujet plus scientifique, je vais faire du bénévolat dans une association de lutte contre le changement climatique à la montagne. Un sujet qui m’a toujours passionné.
Pour trouver un logement, ça n’a pas été facile mais j’ai finalement pu trouver une petite chambre dans une auberge pas trop chère dans le village d’Isola.
Bien que je sois heureuse de réaliser mon rêve, en regardant la route je suis quand même nerveuse à l’idée de décevoir, de ne pas être à la hauteur pour le cours de ski ou de ne pas avoir le niveau requis. Oui, j’ai eu mon concours, mais au ras des pâquerettes et je l’ai quand même raté une fois… J’expire. Voilà encore la petite voix dans ma tête qui recommence. Tu n’es pas à la hauteur. Tu n’y arriveras pas. Souviens-toi quand…
Cette petite voix qui aime me remettre à ma place quand je suis trop ambitieuse et qui aime me faire perdre confiance en moi quand je suis un peu trop heureuse.
Aujourd’hui, j’ai vingt-quatre ans et je sens que je suis prête. Je vais y aller et je vais y arriver. Je ne vais quand même pas vivre chez mes parents et me protéger de tous les dangers qui m’entourent toute ma vie comme je l’ai fait jusqu’à présent. Je vais le faire. A un moment dans son existence, il faut arrêter d’attendre que le bonheur vienne à nous, il faut aller le chercher.
En traversant la vallée, nous passons par de petits villages mignons et je me dis qu’un jour j’irai tous les visiter un par un. Tout en écoutant « Zombie » de The Cranberries, j’observe les ponts, les arbres et les maisons qui, il y a quatre ans ont tant souffert de la tempête Alex. A Nice nous n’avions rien ressenti, mais ici, le carnage se voit toujours, même quatre ans après. Le problème est que la vallée manque de moyens pour pouvoir payer toutes les réparations et le dégagement des débris. Alors certaines maisons, certains ponts restent toujours effondrés, même plusieurs années après…
Je commence à distinguer de plus en plus la neige lorsqu’on se rapproche. Au début, je l’aperçois sur les sommets au loin, puis rapidement quelques flaques de vieille neige verglacée en train de fondre apparaissent juste à côté du bus. On est presque arrivés, ça y est, je vais enfin pouvoir me reposer, être heureuse comme je le voudrais. Ce sera le cas, non ?
***
Une petite fille
« Un, deux, trois … soleil ! »
Il se retourne et observe attentivement son adversaire. Elle ne semble pas bouger d’un pouce. Il prend tout de même quelques secondes supplémentaires pour vérifier. Elle, est très concentrée. Elle semble déterminée à atteindre au plus vite la ligne d’arrivée. Après tout, il ne lui reste plus que trois mètres. Si son grand frère est gentil et dit la phrase un peu plus lentement, elle peut gagner au prochain tour.
Assuré qu’elle n’a pas bougé, il se retourne contre l’arbre et débite très rapidement :
« Undeuxtroissoleil ! »
La petite fille qui n’avait pas envisagé qu’il dise la phrase à une telle vitesse est prise de court. Lorsqu’il se retourne, elle est toujours en train de courir. Alors, constatant sa défaite, elle s’arrête. Extrêmement déçue, elle regarde son frère d’un regard noir, cru. Puis, vexée, elle croise les bras et se met à geindre.
-Tu as triché ! Tu as dit la phrase trop vite !
Alors le petit garçon rend un regard espiègle à sa sœur et déclare :
-J’ai dit la phrase entièrement, tu es juste jalouse parce que j’ai gagné…
La petite fille fronce les sourcils et hausse la voix :
-Non c’est pas vrai t’es qu’un sale menteur d’abord, j’allais gagner si tu avais dit la phrase normalement !!!
-Mais oui, c’est ça, bien sûr… La charrie son frère sur un ton moqueur.
Prise soudain d’une colère noire, la petite fille décroise bras, sers les poings et commence à bouillir de l’intérieur. Son visage devient rouge écarlate. Alors, en dernier recours, comme à chaque fois, elle cherche la dernière solution qu’il lui reste pour vaincre son frère. La dernière solution pour chercher à lui donner raison. Elle relève la tête, se tourne vers la maison er crie :
-MAMAN !
***
Agathe
28 décembre 2024, 14h30
Le bus se rapproche de plus en plus de la station. Je commence à voir sur les côtés, des murs peints par des artistes avec dessus, dessinés en couleurs, des skieurs ainsi que le logo de la station Isola 2000. Plus on se rapproche, plus mon cœur s’emballe. Je vérifie de maintes fois si je n’ai rien oublié dans mon sac, si tout est là. La première chose que je dois faire en arrivant c’est me rendre à l’auberge, me présenter et découvrir ma chambre puis poser mes affaires, ensuite je filerai droit vers l’ESF pour pouvoir obtenir mon badge et mon matériel et que mon chef me fasse un debrief pour le commencement des cours de ski demain matin. Je ne sais pas encore quel niveau je vais devoir entraîner. Tout ce que je sais c’est que ce seront des groupes d’une dizaine d’enfants et sûrement avant la troisième étoile. La plupart des autres moniteurs qui seront là cette saison, je les ai déjà rencontrés. Certains ont passé le concours en même temps que moi et d’autres, plus âgés m’ont aidé à m’entraîner. C’est ce que j’aime à la montagne et dans les petits villages, c’est cette entraide, cette familiarité entre tous. Tout le monde se connaît, (presque) tout le monde est ami, et ça je trouve ça génial.
L’écran accroché au plafond du bus indique une température de moins trois degré à présent. Je décide donc de me couvrir davantage. J’ai à peine enfilé un t-shirt et une polaire de montagne sous mon blouson de ski ce matin. Il faut que je rajoute un Damart ou je risque de mourir de froid. Rapidement, je retire ma polaire et j’enfile le Damart bleu de mon sac au-dessus de mon t-shirt. Je remarque que la personne assise à côté de moi dans le bus s’est à présent endormie et ronfle bruyamment. Il s’agit d’une femme qui doit avoir la cinquantaine. Vêtue seulement d’un jean, de chaussures de villes et d’un blouson, je me demande si elle ne s’est pas trompée de destination. Elle risque de mourir de froid, habillée de la sorte. Mais bon. Ce n’est pas mon problème.
Je commence à distinguer les maisons ainsi qu’un télésiège au loin. Maintenant je sais pertinemment que je suis bientôt arrivée.
Rapidement, le bus se range sur le côté, il est temps de descendre. La neige est bien tombée cette année. Celle-ci doit être fraîche d’un ou deux jours puisque plusieurs sapins ont encore un peu de neige à leurs branches. Les toits des maisons sont eux aussi encore recouverts et par moments sur le sol, je distingue une fine couche de neige en train de fondre, salie par plusieurs traces de pneus et de pas.
Alors que la plupart des passagers se pressent pour descendre, je décide de les laisser faire et d’attendre le dernier moment pour sortir. Malheureusement, je m’en vois bien obligée puisque la femme à côté de moi est toujours assoupie. Je râle de l’intérieur et tente de la réveiller doucement en lui remuant l’épaule. Elle ne bronche pas. Alors, voyant que le bus est presque vide, je dis, après m’être éclairci la voix :
-Madame, nous sommes arrivés.
Voyant qu’elle ne réagit toujours pas, je recommence plus fort, tout en lui secouant l’épaule.
-Madame ! Nous y sommes !
Soudain, la femme sursaute et entrouvre un œil, puis l’autre. Elle hausse les sourcils, prend conscience de la situation et se tourne vers moi. Je remarque que ses yeux sont d’une couleur inhabituelle, d’un bleu clair, presque translucide. C’est le genre de couleur qui t’hypnotise à la seconde ou tu la remarques et dont tu ne peux pas détacher ton regard. Seulement, celui-ci me met mal à l’aise, ce n’est pas un regard bienveillant mais plutôt une sorte de vexation ou d’inconfort que je peux lire dans ses iris, ce qui me convainc directement de tourner mes yeux ailleurs. Au vu de son air aigri, je m’attends à ce qu’elle me fasse un reproche mais à ma grande surprise, elle se contente de me regarder d’un air dur, presque humiliant, comme le regard qu’un parent donne à son enfant lorsqu’il fait trop de bruit ou dérange les adultes, puis, elle se lève, n’enfile aucun vêtement supplémentaire au-dessus de son jean skinny et ses chaussures de ville puis sort du bus.
Je suis à présent la dernière passagère encore présente dans le bus. Je me dépêche de rassembler mes affaires sous le regard pressé et insistant du chauffeur et je sors le plus vite que possible de cet embarras dans lequel je me suis fourrée.
Lorsque j’entre en contact avec l’air frais, je réalise vraiment ce que représentent les températures négatives. A vrai dire, ce n’est pas à Nice que l’on descend souvent en dessous des zéro degré, et il faut dire que c’est bien plus froid que ce que j’imaginais.
J’enfile mes moufles ainsi que mes lunettes de soleil. Aujourd’hui il fait grand ciel bleu et la réverbération du soleil sur la neige me brûle la rétine. Je fais quelques pas et contemple le paysage qui s’offre à moi. Une étendue blanche surplombée de sapins et des sommets à perte de vue. C’est magnifique. Je sors mon téléphone et je prends un selfie devant le paysage pour ma mère. J’écris :
Bien arrivée !
Elle réagit presque à la seconde à mon message avec un smiley pouce en l’air.
Maintenant, il faut que je trouve l’auberge. Alors que je fais mes premiers pas de la saison dans la neige, j’éprouve un drôle de ressentiment. Je me sens si heureuse et si anxieuse à la fois. Est-ce parce que je m’apprête à changer de vie pendant trois mois ? Parce que je vais débuter demain pour la première fois en tant que monitrice de ski ? Est-ce à cause de ce qu’il s’est passé tout à l’heure dans le bus ?
J’aurais toutes les raisons du monde de stresser pour ça. Et pourtant, je sais pertinemment que ce n’est pas de cela dont il s’agit. Mon cœur palpite de plus en plus à mesure que je m’approche du village et mes poils se hérissent. Mais pourquoi ? Pourquoi suis-je aussi angoissée ? Je suis sensée être heureuse d’être ici. Je suis sensée profiter.
Et pourtant, il y a comme un mauvais pressentiment qui s’installe en moi lorsque je franchis les premières maisons. Une lueur froide qui s’installe dans ma nuque et me parcourt l’échine. Je ne me sens pas seule. Bien évidemment, puisqu’il y a de nombreux touristes autour de moi et pourtant inconsciemment, je sais que ce n’est pas de cela dont il s’agit. Je me sens observée, je sens une présence et j’ai beau tourner la tête dans tous les sens, je n’arrive pas à trouver qui ou quelle chose m’observe. J’essaie de me convaincre que ce n’est qu’une imagination et pourtant ce sentiment augmente de plus en plus à mesure que je m’approche de l’auberge…