Soldat perdu
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Soldat perdu
"Nous sommes en guerre... En guerre sanitaire certes, nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une nation, mais l'ennemi est là, invisible, insaisissable et il progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale."
Le président qui m'enrôle de force, le jour de mon 38ème anniversaire.
L'alignement pervers des planètes.
En attendant l'affectation, je reste caserné avec ma compagne et mes filles :
La drôle de guerre, pendant des semaines.
A l'abri de cet ennemi invisible, implacable, invincible ; je redécouvre les fondamentaux de la vie familiale.
Loin du front sanitaire, je m'improvise tour à tour professeur, cuisinier ou musicien.
Loin du front sanitaire, je suis bien.
Comme lors d'une veillée d'armes qui ne connaitrait pas de fin.
La peur, celle sans laquelle il n'y aurait de brave,
Je la conjure en lissant de mes doigts les boucles mutines de mon aînée.
La peur, celle qui ne me quitte jamais vraiment,
Je l'apprivoise en riant des facéties de l'enfant-clown, ma cadette.
Je pourrais vivre comme cela pendant dix ans encore,
Je pourrais vivre comme cela éternellement.
Il va pourtant falloir y retourner.
Je suis finalement mobilisé,
Je reviens à mon affectation antérieure.
Il s'agit de sauver le pays de la ruine et de l'humiliation.
Haut les coeurs et mort aux cons !
Le nouveau directeur-colonel nous galvanise comme il le peut :
"Il faut réorganiser, il faut faire revenir les clients, il faut optimiser les coûts... "
Il faut, il faut, il faut....
Un protocole sanitaire en guise de plan, du gel hydro alcoolique comme seule arme.
Planqués derrière des visières, nous méfiant des traitres portant en leur bouche la menace.
Guerre asymétrique, l'ennemi qui frappe au hasard.
Guerre psychologique, le virus qui se nourrit de notre abattement.
Chair meurtries, hôpitaux remplis, âmes enlevées
Et chaque soir au JT de 20 H : Le bilan.
Le jour, ma caserne me manque tellement,
Et pourtant, je veille, opiniâtre, à la bonne marche du contingent.
Nous tenons notre position, nous n'avons aucune victime déclarée.
En réalité, la compagnie est aux abois : sa marge, ce n'est plus que du jus d'employé.
Je me sens comme un citron pressé sous les chenilles d'un tank.
L'ennemi frappe où nous ne l'attendions pas.
Pourquoi te protéger les poumons puisqu'il frappe les consciences ?
Pourquoi t'isoler puisqu'il parvient à attaquer les foules ?
Tu es l'hôte involontaire d'un assassin silencieux.
Qui dissout le tissu social autant qu'il infecte les cellules.
Vois-tu là son arme favorite ?
La peur.
Bientôt je serai démobilisé
Je partirai rejoindre ma famille,
Vacances méritées pour soldat épuisé.
Mais les luttes se livreront encore et encore en mon crâne :
Virus fort contre rentabilité faible.
Neurones surchauffés, muscles fatigués
...Nostalgie de la claustration...
Et puis ce corps tout entier qui finira par me lâcher.
Cervicales figées, esprit brûlé
Blessé, traumatisé, enfuit...
Tu utiliseras ce que tu voudras pour me qualifier.
Après tout, champ d'honneur rime bien avec déserteur.
Bientôt je poserai mon paquetage chez les psys.
Il n'y aura plus aucune goutte de jus à presser.
Bientôt, le monde que je connais va s'écrouler.
Il n'y aura plus que ma compagne pour résister.
Bientôt, je vais sombrer
Et je ne serai qu'un dommage collatéral.
Prince Of Panodyssey Alias Alexandre Leforestier il y a 2 ans
Un fort beau texte ! Merci. Je m'en vais le partager... ;-)
Fabrice Laurendon il y a 2 ans
Merci pour cet encouragement à reprendre l'écriture ! Et merci pour ce concours qui a fait renaître en moi un semblant d'inspiration !
Sébastien Leforestier il y a 2 ans
Bravo pour ces lignes poétiques qui sonnent justes
Fabrice Laurendon il y a 2 ans
Merci infiniment !
L. S. Martins il y a 2 ans
J'aime cette nouvelle plume. Elle est plus incisive. Plus affutée.
Tu nous livres ici un merveilleux texte qui résonne beaucoup en moi. Merci pour ce partage et bravo !
Fabrice Laurendon il y a 2 ans
Merci, ça me touche, je suis heureux que ça te parle. Je ne suis pas aussi productif que toi, c'est dur pour sortir un texte, beaucoup plus qu'auparavant.
L. S. Martins il y a 2 ans
Je suis productive parce que je "suis disciplinée" (je déteste ce mot qui, pour moi la rebelle rêveuse, sonne si péjoratif... ;-) ). Sans mes quelques minutes d'écriture par jour, je ne respire plus.
Tu l'es aussi, productif. Tous tes posts sur LinkedIn demandent beaucoup de travail !
Séverine Gambardella il y a 2 ans
"Pourquoi te protéger les poumons puisqu'il frappe les consciences ?" : peut-être mon passage favori.
Tu décris avec justesse toutes les étapes de cette période si étrange et de ses conséquences sur nos vies. Bravo
Fabrice Laurendon il y a 2 ans
Merci !!!! Ecrire sur ce sujet n'étais pas ma priorité mais comme il y avait de la matière et un petit challenge, je me suis dit que ça valait le coup, histoire de relancer la machine !!!!!