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Le Blog Litteraturefrancaise.net de Matthieu Binder et le plaisir de la lecture

Le Blog Litteraturefrancaise.net de Matthieu Binder et le plaisir de la lecture

Publié le 13 juin 2025 Mis à jour le 13 juin 2025 Culture
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Le Blog Litteraturefrancaise.net de Matthieu Binder et le plaisir de la lecture

Par Claudia Moscovici

Traduit en français par Matthieu Binder

On connaît cette citation d’Albert Einstein : « Si vous ne pouvez pas expliquer avec simplicité, c’est que vous ne comprenez pas assez bien. » Ce niveau de simplicité s'applique généralement à la physique et aux mathématiques de haut niveau, domaines qui apprécient les « preuves élégantes », concises, intuitives, unificatrices, généralisables et originales. Mais nous pouvons appliquer ce principe, au moins par analogie, aux arts et aux sciences humaines, et surtout à des domaines accessibles tels que la littérature.

Je dis la littérature avant tout, parce que lire des romans, de la poésie et des pièces de théâtre, c'est d’abord et surtout s'engager dans une incomparable échappée et dans le plaisir de l'imagination, qui sont universels. Anissa Trisdianty a dit : « Lire, c’est rêver les yeux ouverts » : la littérature occupe une place unique parmi les arts pour éveiller notre imagination, car sa forme créatrice dépend de la participation active du lecteur.

L'activité d'édition, les auteurs et leurs finalités ont radicalement changé au fil du temps. Mais une chose reste la même : nous aimons toujours lire des livres pour le plaisir, pas seulement pour des fins éducatives ou pragmatiques. Quelle que soit la forme qu'ils peuvent prendre, le livre de papier, les livres électroniques ou les livres audio, les livres vont rester. En voici quelques raisons :

Pourquoi nous aimons les livres


1. Le divertissement. Les livres sont toujours l'une des meilleures et des plus accessibles formes de divertissement. En lisant, nous pouvons apprendre sur n'importe quel sujet et voyager grâce à notre imagination vers toutes époques et tous lieux, même vers d’autres univers. De plus, la lecture est une activité très flexible. Nous pouvons le faire dans la vie privée de nos maisons, en ligne en rejoignant des clubs de lecture virtuels, ou avec nos amis et connaissances dans des clubs de lecture locaux. C'est pourquoi la lecture de livres fait appel à pratiquement tous les types de personnalité. Les introvertis, les extravertis et tous ceux qui sont entre les deux peuvent aimer la lecture, que ce soit comme une activité solitaire ou comme une activité sociale.

2. La socialisation. Ce qui m'amène à mon point suivant : même lorsque nous lisons pour nous-mêmes, nous nous engageons, indirectement, dans un acte intrinsèquement social. En lisant, nous nous rattachons au canon littéraire du passé ou à ce qui est considéré comme populaire en ce moment. Il y a de fortes chances que si nous avons entendu parler d'un livre, il a déjà été fortement commercialisé et promu. Certains d’entre nous rejoignent les clubs de lecture locaux, qui deviennent une occasion bienvenue de rencontrer nos amis et nos connaissances, en profitant ensemble du moment et pas seulement des livres. En outre, via des sites de critique littéraire tels que Librarything.com et Goodreads.com, les lecteurs peuvent faire de nouvelles rencontres en ligne basées sur des discussions animées et des intérêts communs.

3. L’acquisition d'informations ou de connaissances. Nous lisons souvent pour en apprendre davantage sur l'art ou l'histoire du monde, comment manger et faire de l'exercice, ce qu'il faut porter cette saison, ou même comment s’y prendre pour éduquer nos enfants. Tout et n'importe quoi peut être trouvé dans les livres. Bien qu'il existe aujourd'hui de nombreuses sources d'information en ligne pratiques, les bons livres ont tendance à fournir un niveau de profondeur et de détail qui ne peut être atteint par de brefs articles ou des descriptions. Les informations que nous recueillons dans les livres, à notre tour, peuvent nous aider à profiter de la vie à un niveau plus profond. D'une manière générale, plus nous sommes informés sur un sujet donné, plus nous pouvons l'apprécier dans la vie réelle. Pour donner un exemple parmi d’autres, il suffit de penser à combien nous aimons plus le tourisme lorsque nous avons le contexte pertinent sur l'histoire, la culture, l'art et l'architecture du lieu que nous visitons.

4. Renforcer notre imagination et mener d’innombrables vies parallèles. La plupart d'entre nous supposent que nous n'avons qu'une seule vie sur cette Terre. À mesure que nous grandissons, nos vies se rétrécissent en raison des choix – de style de vie, de partenaires, de carrières, de famille – que nous faisons. Chaque choix, qu'il soit bon ou mauvais, détermine notre direction et élimine d'autres chemins potentiels dans la vie. La lecture est le moyen le plus facile d'explorer d'innombrables modes d'existence pratiquement sans risque. Les livres nous mènent à des endroits dont nous n'avons même pas rêvé auparavant : différentes époques, pays, cultures ou styles de vie. La littérature est à certains égards encore plus libératrice que le film parce que les lecteurs remplissent les blancs davantage que les spectateurs, en donnant vie dans leurs esprits aux personnages et aux situations décrits uniquement à travers des symboles noirs et blancs, c’est-à-dire des mots. C'est pourquoi lire des romans n'est jamais un exercice passif. Comme la fiction l'écriture elle-même, c'est une activité de notre imagination intrinsèquement philosophique et libératrice. A travers diverses expériences de pensée - différents caractères, époques, lieux et situations - la lecture représente l'une des façons les plus accessibles, peu coûteuses et créatives d'échapper aux limites de nos vies. Même tout une vie consacrée à des excursions partout sur la planète ne pourrait apporter la même chose, car nous ne pouvons pas voyager à travers les siècles et même les millénaires, ou habiter d'autres planètes, sauf dans notre imagination. Lire des romans nous donne une liberté ontologique et un plaisir épicurien, qu'aucune autre activité ne peut approcher. En outre, profiter de la littérature – qu’il s’agisse de lire ou d’écrire – est un plaisir esthétique compatible avec la capacité à faire de bons choix de vie, l’empathie, la rectitude morale. En d'autres termes, l'exploration quasi infinie (imaginaire) à travers les cultures, le temps et l'espace offerts par la littérature peut coexister avec la liberté de faire des choix selon une certaine éthique, liberté que chaque être humain moral exerce. Pour ces raisons et plus encore, je crois que, quelles que soient les transformations techniques et économiques que connaît le monde de l'édition, nous continuerons d'aimer les livres.

Malgré le plaisir libérateur que donne la lecture, la présentation d'œuvres littéraires est rarement axée sur le plaisir lui-même. La critique littéraire tend à approcher les romans à travers diverses interprétations scientifiques spécialisées, telles que le prisme marxiste, post-structuraliste, déconstructionniste, post-colonial, sémiotique ou lacanien (et d'autres lectures psychanalytiques), ou bien encore sert des objectifs éducatifs pragmatiques, comme l'enseignement des bases des tests de la littérature AP aux États-Unis, ou l'examen du baccalauréat en France et dans d'autres pays européens. Bien que ces présentations académiques et didactiques soient utiles et précieuses pour les étudiants et les universitaires, elles ont moins d'attrait pour un large public qui lit la littérature pour se détendre et jouir des livres.

Matthieu Binder, blog littéraire français Littératurefrançaise.net

Je dis tout cela parce qu'en tant que spécialiste chevronnée de la littérature française, titulaire d'un doctorat en littérature comparée avec une spécialisation dans le siècle des Lumières et le romantisme français, j'ai rarement trouvé une introduction aux œuvres littéraires qui mette avant tout l'accent sur le plaisir de la lecture sans sacrifier la rigueur ou la profondeur.

Il y a environ un an, j'ai eu la chance de parcourir le site web de Matthieu Binder, litteraturefrancaise.net, où il n’est question que de la joie de lire. En apprenant plus sur l'origine de Matthieu par sa biographie en ligne, il m'est venu à l'esprit que son approche de la littérature était si différente de celles de la plupart des autres spécialistes de la littérature précisément parce que sa formation n'était pas, à l'origine, dans le domaine. Matthieu Binder a passé un baccalauréat scientifique, suivi d'une maîtrise en philosophie et du diplôme de Science-po Lyon. Ce qui l'a amené à la littérature française n'était pas un diplôme universitaire ou des activités scientifiques dans le domaine, mais l'amour pur et le plaisir de lire des livres, qu'il voulait partager avec le plus grand nombre possible de lecteurs.

C'est précisément tout l’objet de ce site très populaire à un niveau international. Commencé en 2020, son site web propose aux lecteurs différentes façons d'aborder la littérature française: 1. Chronologiquement, via une chronologie qui commence avec la littérature médiévale et se termine avec la littérature moderne du XXe siècle; 2. Biographiquement, en offrant les détails les plus marquants sur la vie des auteurs célèbres; 3. Historiquement, en explorant les façons dont le contexte a eu un impact sur ces auteurs et vice versa, et 4. D'un point de vue thématique, en présentant les sujets les plus pertinents abordés par les auteurs.

Une présentation de grande envergure des auteurs français les plus influents

À partir de la fin de l'ère médiévale, lorsque la langue française (vieux français) a pris son véritable essor, Matthieu commence son introduction littéraire avec les œuvres de l’essayiste et poétesse Christine de Pizan (1364-1431) et du poète populaire François Villon (1431-1463). Passant à la Renaissance, il couvre les œuvres du satiriste François Rabelais (1483-1553), la poétesse et dramaturge Marguerite de Navarre (1492-1549), le poète Pierre de Ronsard (1524-1585) et le penseur Michel de Montaigne (1533-1592), l'un de ses auteurs préférés. Le XVIIe siècle voit un foisonnement d'auteurs français, qui tournent souvent autour de la cour royale et des salons culturels dirigés par des femmes influentes et savantes, comme Mme de Rambouillet. Matthieu présente aux lecteurs le dramaturge Pierre Corneille (1606-1680), le moraliste François de La Rochefoucauld (1613-1680), le fabuliste Jean de La Fontaine (1621-1695), le dramaturge extraordinairement populaire Molière (1622-1673), le philosophe Blaise Pascal (1623-1662), l'écrivain épistolaire Madame de Sévigné (1626-1696), la romancière innovante Madame de Lafayette.

Il retrace ensuite la naissance des Lumières, des idéaux républicains et d’une culture séculaire dans les écrits littéralement encyclopédiques des philosophes et salonnières (coécrivant l'Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, 1751-1772). Matthieu explore les œuvres du baron de Montesquieu (1689-1755), de Voltaire (1694-1778) et de Jean-Jacques Rousseau (1713-1784). Il présente également les pièces de Beaumarchais (1732-1799) et l'intrigante fiction psychologique de Choderlos de Laclos (1741-1803). Au XIXe siècle, il retrace la montée du réalisme et du romantisme, les principaux mouvements littéraires de l'époque, dans les œuvres des romanciers François-René de Chateaubriand (1768-1848), Stendhal (1783-1842), Victor Hugo (1802-1885) et Alexandre Dumas (1802-1870). Il présente ensuite les œuvres du poète, critique et essayiste Charles Baudelaire (1821-1867), celles du romancier au style pointilleux et exquis Gustave Flaubert (1821-1880), les romans de l'écrivain révolutionnaire et prolifique George Sand (1804-1864), les fictions de Jules Verne (1828-1905). Ne négligeant pas la poésie, il présente les œuvres symbolistes de Paul Verlaine (1844-1896), Arthur Rimbaud (1850-1893) et les poèmes surréalistes du comte de Lautréamont (1846-1870). Matthieu commence ensuite à présenter les lecteurs aux géants littéraires du XXe siècle, à commencer par l'écrivain novateur de fin de siècle de la fiction psychologique Marcel Proust (1871-1922) et comprenant, entre autres, les fondateurs de l'existentialisme dans la littérature et la philosophie, Albert Camus (1913-1960) et Jean-Paul Sartre (1905-1980), le poète surréaliste Louis Aragon (1897-1982), l'écrivaine philosophique Marguerite Yourcenar (1903-1987) et le romancier politiquement controversé Louis-Ferdinand Céline. Ses présentations littéraires ne sont pas et ne prétendent pas être exhaustives, mais elles sont extrêmement informatives, stimulantes et divertissantes, donnant aux lecteurs le goût de la littérature et de la culture françaises.

Stendhal et George Sand


Dans un entretien éclairant 2024 avec le Dr. Heiner Wittman, Matthieu explique son approche multiforme de l'histoire littéraire française.

(Voir https://www.youtube.com/watch? v-ejvskY3hg4)

L'une des premières questions posées par le Dr. Wittman porte sur son éventuel auteur ou mouvement préféré. Matthieu avoue que l'un de ses favoris est Stendhal (Henri Beyle, 1783-1842), un romancier polyvalent associé au romantisme et au réalisme qui a également écrit des essais perspicaces sur la musique, l'art, la vie et l'amour (De l'amour, 1822). Lorsqu'on lui demande en quoi ses présentations diffèrent de la norme en la matière, Matthieu indique qu'il tente d'offrir une perspective à la fois accessible et rafraîchissante, souvent manquée par les autres approches didactiques. Il propose à titre d'exemple son introduction à l'écrivain prolifique et pionnier George Sand (Aurore Dupin de Francueil, 1804-1876). Matthieu indique qu'il se concentre sur la façon dont Sand a ouvert la voie à d'autres écrivains et au féminisme en général à travers des romans qui critiquent les normes de genre et les restrictions imposées aux femmes, comme Indiana (1832) et Consuelo (1842), plutôt que de discuter de ses « romans champêtres » plus populaires et ressassés, comme François le Champi (1847) et La Petite Fadette (1849).


Victor Hugo


Matthieu accorde également une attention particulière à l'un des fondateurs du mouvement romantique et l'un des romanciers les plus populaires du XIXe siècle en particulier, Victor Hugo (1802-1885), pour illustrer l'impact de la fiction sur l'histoire. Sa présentation d'Hugo explore non seulement les œuvres littéraires populaires du romancier, mais aussi les frontières perméables et les puissantes influences mutuelles entre les arts. Il va sans dire que Victor Hugo était avant tout un géant littéraire. À la fin de sa vie, l'auteur était si populaire qu'en succombant à une pneumonie en juin 1885 à l'âge mûr de 83 ans, le président français Jules Grévy a décrété des funérailles nationales. Plus de deux millions de personnes ont rejoint le cortège funèbre de l'Arc de triomphe jusqu'au Panthéon. Pour mettre en perspective la popularité de l'écrivain légendaire, la population de Paris à l'époque était d'environ 2 135 000 personnes. Matthieu souligne que Victor Hugo a acquis une renommée bien méritée, car ses contributions à la littérature et aux débats littéraires ont non seulement transformé ce domaine et donné naissance au romantisme français, mais ont également eu un impact considérable sur les autres arts. Son roman très populaire, Notre-Dame de Paris, a ravivé l'intérêt populaire pour l'architecture gothique et la période médiévale en général. Après avoir lu le roman, les touristes ont commencé à affluer jusqu'à la cathédrale, et les Parisiens se sont ralliés à l’idée de sa rénovation. Après avoir été ravagé par des foules en colère et un grand nombre de ses statues ayant été démantelées pendant la Révolution française, la cathédrale Notre-Dame commençait à tomber en ruines. Même Napoléon Ier, qui y mit en scène son célèbre couronnement le 2 décembre 1804, avait préféré couvrir les murs délabrés de Notre-Dame avec des tapisseries de grand prix, plutôt que d'investir dans sa coûteuse rénovation. Il a fallu le best-seller de Victor Hugo pour attirer les foules dans cette cathédrale négligée mais encore fière, ce qui à son tour a incité l'architecte talentueux Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879), grand admirateur du roman et de l'architecture médiévale, à commencer sa reconstruction. Dans un travail passionné qui lui a fallu environ vingt-cinq ans pour achever, Viollet-le-Duc a non seulement rénové la cathédrale Notre-Dame selon ses plans originaux, mais a également ajouté une seconde flèche purement ornementale, et a remplacé beaucoup de ses sculptures décapitées par de nouvelles gargouilles fantasmagoriques inspirées du roman d'Hugo, métissant ainsi harmonieusement l'ancien style gothique. En fait, le mouvement romantique est l'une des passions de Matthieu Binder et un point focal de sa présentation de la littérature française.

Lorsque le Dr Wittman lui demande, dans la même interview, de décrire le romantisme, Matthieu une fois de plus ne donne pas une réponse conventionnelle tirée d'un manuel scolaire. Il décrit le mouvement romantique de manière nuancée, comme ayant des frontières poreuses qui n'ont été cristallisées qu'a posteriori par les critiques littéraires et proposées à l'époque par les auteurs qui y étaient associés. Il indique que des auteurs du XIXe siècle tels que Victor Hugo se sont ralliés autour du concept de romantisme, déjà populaire en Allemagne depuis les Souffrances du Jeune Werther de Goethe (1774), à la fois de manière polémique, pour se rebeller contre les restrictions imposées par les règles néoclassiques, et à des fins promotionnelles, pour souligner leur importance et leur originalité. Matthieu considère le romantisme davantage comme « un nouveau souffle », ou ce que nous appellerions « une bouffée d'air frais », plutôt que comme un mouvement littéraire strictement défini et homogène. En fait, il montre que le concept de romantisme était si perméable qu'il s'est facilement traduit dans d'autres domaines, révolutionnant les domaines de la philosophie, de la littérature, de l'art, de l'architecture et de la musique.

Les textes de Matthieu au sujet des mouvements littéraires dans leur contexte, compris comme une respiration, une communication vivante des styles littéraires, des thèmes et des tropes, d’innovations et d’idées débattues par les auteurs, non seulement accrochent l’intérêt des lecteurs beaucoup plus que des définitions rigides, mais s'inscrivent aussi dans les narrations des mouvements littéraires les meilleures et les plus sophistiquées. Pour donner un exemple, une fois de plus, de mon propre domaine de spécialisation, la qualification du romantisme de Matthieu comme « un nouveau souffle » est conforme à l’élaboration scientifique rigoureuse offerte par M. H. Abrams, l'un des plus prestigieux spécialistes du romantisme, ainsi qu’à la lecture innovante de l'émotion romantique proposée par la célèbre philosophe Martha Nussbaum.

Comment l'introduction de Matthieu au romantisme s'aligne sur les meilleures recherches universitaires

a) M. H. La discussion d'Abrams sur le romantisme dans The Mirror and the Lamp

Dans The Mirror and the Lamp (Oxford University Press, 1953), qui reste un classique de l'étude du romantisme, M. H. Abrams distingue entre une théorie et une orientation. Une théorie commence par un ensemble d'hypothèses conduisant à une conclusion qui en découle logiquement. Le romantisme n’a pas la cohérence interne et la structure rationnelle d’une théorie. Néanmoins, l'écriture des romantiques indique les façons connexes de transmettre l'émotion humaine. Comme l'explique Abrams en référence à Wordsworth en particulier, pour les romantiques, « une œuvre d'art est essentiellement l’interne rendu externe, résultant d'un processus créatif opérant sous l'impulsion du sentiment, et incarnant le produit combiné des perceptions, des pensées et des sentiments du poète ».

De toute évidence, le romantisme n'est pas l'expression d'impulsions brutes et subconscientes, ce que les surréalistes décriraient plus tard comme l’écriture automatique. Si Abrams déclare que les théories romantiques expressives s’apparentent plus à une orientation, c'est parce qu'elles présentent différentes façons de traiter les émotions de manière réfléchie à des fins artistiques. Comme le soulignent les critiques littéraires, le rôle des émotions diffère largement d'un auteur à l'autre. Les textes romantiques impliquent toute une histoire intellectuelle, nous conduisant à nous demander : l'émotion est-elle viscérale et incontrôlable, comme tant de penseurs, de Platon à Kant, l'avaient soutenu ? Est-ce lié d'une manière fondamentale à ce que nous savons du monde, comme l'ont postulé les Stoïciens ? Est-ce lié à nos croyances et tendances éthiques, comme Hume et Rousseau le prétendaient dans leur défense de la sympathie ? Est-elle induite par l'art, comme Wordsworth et Baudelaire le déclarent ? La diversité des hypothèses sur l'émotion et son rôle dans la création artistique contribue à la richesse et à la polyvalence de la littérature romantique et des modèles artistiques qui la sous-tendent. La littérature romantique lie l'émotion à l'art d'une manière qui mobilise les grandes questions de presque tous les domaines de ce que nous appelons maintenant les sciences humaines et sociales, en relation avec l'art à la psychologie, à la théorie politique et à presque toutes les branches de la philosophie.

b) Présentation par Martha Nussbaum de l'émotion romantique dans Upheavals of Thought

Compte tenu de la diversité et des implications intellectuelles de grande ampleur du romantisme, il est difficile de lui fixer des limites, même en termes d’orientation. Pourtant, la question reste inévitable, alors revenons-y : de quelle manière pouvons-nous parler sensément d'une orientation romantique ? Comme Abrams, je crois qu'il y en a une. Je pense que nous sommes mieux placés pour comprendre le romantisme en regardant ses fondements philosophiques et en voyant à quel point il a radicalement transformé notre rapport à l'émotion en général et à la passion en particulier. Le romantisme a en effet été le mouvement le plus important de la culture occidentale pour faire de la passion et son expression artistique non pas un objet de peur ou d'ambivalence, mais une qualité hautement souhaitable ; une qualité indispensable au bonheur humain. Dans Upheavals of Thought (Cambridge University Press, 2001), Martha Nussbaum retrace les arguments philosophiques les plus marquants pour et contre l'émotion. Le parti contre a tendance à dominer le parti en faveur de l’émotion. Nussbaum montre que même ces philosophes qui étaient généralement favorables aux émotions - y compris Aristote, les stoïciens, Smith et Rousseau - ont mis en garde contre leur nature incontrôlable et le danger qu'ils ont posé à la raison (dans la poursuite de la connaissance) et à l'éthique (à la poursuite de la bonne vie). Rousseau et Hume ménagent quelque peu l'émotion dans leur étude de la sympathie, mais même eux font preuve de prudence et émettent de nombreuses réserves.

Nussbaum analyse en particulier l'argument kantien contre les émotions, qui a été très influent pendant les Lumières et que les Romantiques doivent prendre en considération. Kant soutient que les émotions sont trop subjectives, peu fiables et instables pour constituer une base adéquate pour une conduite morale. Pour répondre à cette objection, Nussbaum la décompose en plusieurs éléments. Premièrement, un tel argument nous dit que les émotions peuvent être dangereuses parce qu'elles se concentrent sur l'individu et ses objectifs ou projets personnels plutôt que sur le bien de l'humanité. Deuxièmement, l'argument poursuit en affirmant que les émotions sont associées à des attachements extrêmement étroits et intenses qui peuvent être « trop partiaux ou déséquilibrés » pour mener à des décisions éthiques. (12) Troisièmement, on objecte que même les émotions que nous considérons comme positives, telles que l'amour ou la compassion, sont souvent indissociables d'émotions destructrices, telles que la jalousie, la colère et la haine. Bien que Kant ait présenté cette argumentation de la manière la plus convaincante, de nombreux philosophes que Nussbaum examine dans son livre – notamment Platon, Aristote, les stoïciens, Descartes, Smith, Rousseau et Kant lui-même – tentent aussi de prouver d'une manière ou d'une autre que les émotions sont des pulsions incontrôlables et destructrices (tout comme nos pulsions corporelles) qui constituent des motivations peu fiables pour la moralité.

Pour dissocier l'émotion des normes éthiques et des hypothèses rationalistes qui lui étaient si hostiles, les auteurs romantiques l'ont d'abord esthétisée. L'émotion, expliquent-ils, est avant tout liée à la manière dont nous créons et apprécions l'art. Elle n'est pas, comme les philosophes avaient tendance à le soutenir, principalement liée à la manière dont nous nous régulons ou répondons éthiquement aux autres êtres humains. La plupart des romantiques ne sont pas allés jusqu'à dire que l'art ne pouvait jamais être jugé selon des critères moraux. Même lorsque la théorie romantique tardive de l'art pour l'art est devenue très populaire en France dans les années 1830, l'art n'était toujours pas considéré comme immunisé contre le jugement moral. Néanmoins, les romantiques nous ont permis de voir l'émotion comme liée à la créativité et au sens d'une manière qui rendait les réponses morales secondaires par rapport aux réponses esthétiques. Une fois qu'ils ont opéré ce changement important dans le lien entre l'art et la valeur éthique, les romantiques ont pu reconnecter l'émotion à toutes les autres facultés humaines importantes (cognition, perception et pensée rationnelle) d'une manière nouvelle, rafraîchissante et complexe. Sous leur plume, l'émotion – et la passion en particulier – est devenue le centre de l'existence humaine, son état le plus exalté et un canal vers la beauté et le sens.

Compte tenu de mon expérience dans le domaine du romantisme, j'ai expliqué ici en quoi l'introduction accessible et divertissante de Matthieu à la « bouffée d'air frais » que le mouvement romantique a apportée à la littérature, à la philosophie et aux arts s'inscrit parfaitement dans certaines des discussions savantes les plus influentes et les plus rigoureuses sur le sujet.Cependant, comme mentionné précédemment, les discussions littéraires de Matthieu couvrent des siècles entiers et des dizaines de grands écrivains, présentant aux lecteurs toute la littérature française, du Moyen Âge à nos jours, avec la même profondeur et la même manière engageante que celles avec lesquelles il a présenté les auteurs associés au romantisme. Le blog littéraire populaire de Matthieu Binder, Littératurefrançaise.net, démontre qu'une connaissance approfondie d'un domaine ne fait que renforcer notre plaisir et nous rappelle pourquoi notre détente, notre évasion et notre passe-temps préférés restent, aujourd'hui et pour longtemps encore, la lecture de livres (français).


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