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George Sand et Flaubert : l'amitié improbable

George Sand et Flaubert : l'amitié improbable

Publié le 27 juil. 2024 Mis à jour le 27 juil. 2024 Culture
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George Sand et Flaubert : l'amitié improbable

Tout opposait George Sand et Flaubert : leurs convictions politiques, leur vision de la littérature, leur façon de vivre, leur façon de travailler, leur façon d’aimer. Comment des êtres si dissemblables eussent-ils pu se rapprocher et s’aimer ? Et pourtant ! Sans nécessité ni intérêt, une amitié profonde et indestructible naîtra entre eux.

Ils se rencontrent en 1859 et s’échangent quelques courriers polis, mais ce n’est qu’en 1866 que leur dialogue et leur amitié commencent réellement. George Sand a 62 ans et Flaubert 45 ans. Se livrant l’un à l’autre avec abandon et sincérité, leur correspondance est l’une des plus belles et des plus vivantes de la littérature française.

Fascination réciproque

George Sand est un fleuve, Gustave Flaubert produit au goutte à goutte. Elle écrit au fil de la plume sans presque se reprendre ni se raturer, tandis que les brouillons de Flaubert sont devenus légendaires par leur accumulation et leur complexité. Alors que leurs tempéraments d’artistes étaient très opposés, George et Gustave avaient suffisamment de respect l’un envers l’autre pour ne pas chercher à imposer leur façon de faire ou leur idéal littéraire. Au contraire, on les sent intrigués, impressionnés jusqu’à une fascination à la fois humaine et littéraire : « Je ne peux mieux vous comparer qu’à un grand fleuve d’Amérique : énormité et douceur. » (Flaubert à George Sand, le 27 décembre 1867)

« Votre Force me charme et me stupéfie. Je dis la Force de toute la personne, pas celle du cerveau seulement. »

Lettre de Gustave Flaubert, 2 février 1869.

Déconnades

Après avoir passé leur journée ou leur nuit à écrire, les deux écrivains reprennent la plume pour s’envoyer ou s’enquérir de leurs nouvelles, mais aussi pour se laisser aller, libres de contraintes, après un long effort. Au diable l’orthographe, le politiquement correct, les idées reçues ! Sans jamais se blesser l’un l’autre, George Sand et Flaubert se lâchent complètement dans leurs échanges épistolaires. Si Flaubert se donne beaucoup de plaisir à engueuler ses contemporains, comme il disait, la gaité de George Sand est plus heureuse et découle du bonheur de vivre.  Cette égalité d’humeur n’exclut pas les éclats : « vous orrez mon point sur la gueulle », lui écrit-elle un jour d’humeur farceuse.

« Monsieur Flobaire,
Faut que vous soïet un vraie arsouille pour avoir prit mon nom et en avoir écrit une lettre à une dame qu’avai des bontées pour moi que vous y avez sandoutte étée reçue à ma plasse et héritée de ma quasquete dont gai ressue la votre en plasse eque vous y avè laisser. s’est de salletées de conduitte de cette dame et de la vôtre faut panser quele manque bien d’educassion (…) Pourlor si je vous rancontre avec elle que je ni tient plus, vous orrez mon point sur la gueulle. »

Lettre de George Sand, 1866

Comment écrire ?

Si George Sand a publié plus de cent livres, Flaubert n’a achevé que cinq romans. Un curieux paradoxe, alors que l’écrivain normand disposait de tout son temps pour écrire, au contraire de George Sand qui devait s’occuper de sa famille ! On comprend dans leurs échanges à quel point la genèse d’un roman était différente pour l’un et pour l’autre. Tandis que Flaubert retournait ses phrases, raturait, recommençait, Sand laissait libre cours à sa plume et à son instinct. Voici quelques aperçus de leur façon d’envisager le travail de l’écrivain.

« Laissez donc un peu le vent courir dans vos cordes. Moi, je crois que vous prenez plus de peine qu’il ne faut… »

Lettre de George Sand, 29 novembre 1866

 

« Je ne suis pas du tout surpris que vous ne compreniez rien à mes angoisses littéraires ! – je n’y comprends rien moi-même. Mais elles existent pourtant et violentes. – Je ne sais plus comment il faut s’y prendre pour écrire, et j’arrive à exprimer la centième partie de mes idées, après des tâtonnements infinis. – Pas primesautier, votre ami. – non ! pas du tout ! ainsi voilà deux jours entiers que je tourne et retourne un paragraphe sans en venir à bout. – J’en ai envie de pleurer dans des moments ! » 

Lettre de Gustave Flaubert, 5 décembre 1866

 

« Nous nous aimons passionnément nous cinq, et la sacro-sainte littérature, comme tu l’appelles, n’est que secondaire pour moi dans la vie. J’ai toujours aimé quelqu’un plus qu’elle, et ma famille plus que ce quelqu’un. »

Lettre de George Sand, début 1872

Sport et santé

Il y a des écrivains de jour et des écrivains de nuit. Flaubert et Sand sont tous deux des écrivains de nuit. George Sand se met au travail le soir, et finit souvent vers 7 ou 8h du matin. Elle dort jusqu’à midi, émerge vers 15h. Flaubert suit à peu près le même rythme. Comment dans ces conditions ne pas détruire sa santé ? Les deux écrivains s’inquiètent donc beaucoup l’un de l’autre.
Mais là où George Sand trouve dans la nature sa place, une inspiration et des forces nouvelles, l’écrivain normand fulmine en évoquant un paysage magnifique : « Comme ça se fout de nous, la Nature ! ». A nouveau, leur personnalité d’auteur s’opposent. George Sand gambade dans les champs et laisse courir une plume fertile. Flaubert s’enferme dans son cabinet, reprend indéfiniment des phrases qui le grattent comme un urticaire.

« Cette solitude où tu vis me paraîtrait délicieuse avec le beau temps. En hiver, je la trouve stoïque […] Si le roman doit durer encore, il faut l’interrompre ou le panacher de distractions. Vrai, cher ami, pense à la vie du corps, qui se fâche et se crispe quand on la réduit trop. […] [Ce] travail que tu traites si mal en paroles, c’est une passion et une grande ! »

Lettre de George Sand, 15 janvier 1867

La tendresse

Lorsque George Sand commence sa correspondance avec Flaubert, elle a passé la soixantaine. Mais elle semble avoir gardé le cœur d’une jeune fille. Flaubert était sans doute un homme difficile à aimer. Plein de lui-même, délicat et capricieux, perpétuellement en colère contre le genre humain, son second et dernier séjour à Nohant, en 1873, a quelque peu agacé George Sand. Et pourtant, on sent jusqu’au bout une tendresse indestructible entre les deux êtres. Ils l’expriment sans façons et sans frein, à cœur ouvert : « Cruchard » (Flaubert) et « le vieux troubadour » (Sand) s’embrassent, s’aiment et se serrent dans les bras sans fin, par lettres interposées.

« Je t’aime de tout mon cœur. Je vois, quand je suis gloomy, ta bonne figure et je sens ta bonté rayonner autour de la puissance de ton être. tu es un charme dans l’arrière-saison de mes douces et pures amitiés, sans égoïsme et sans déceptions par conséquent. Pense à moi quelquefois, travaille bien et appelle-moi quand tu seras en train de flâner. Autrement pas de gêne. Si le cœur te disait de venir ici, ce serait fête et joie dans la famille. […]
Bonsoir ami de mon cœur. Je t’embrasse ainsi que ta bonne mère. »

Lettre de George Sand, 24 juillet 1867

Misanthropie et humanisme

Le XIXe est un siècle de révolutions et de coups d’Etat : 1830, 1848, 1851, 1871. Alors qu’elle avait ardemment embrassé la cause républicaine dans sa jeunesse, George Sand a été terriblement déçue par la répression ayant suivi la révolution de 1848. Elle viendra par la suite à des opinions beaucoup plus modérée, et sera même scandalisée par la Commune de 1871. Pourtant, elle ne sera jamais menacée par le désespoir qui minait Flaubert sur le plan politique, et tâchera toujours de le convaincre qu’il vaut la peine de lutter pour le progrès et le bonheur des hommes.
Leurs deux natures d’homme et d’écrivain s’opposaient. George Sand écrivait par amour de l’humanité, et Flaubert pour se dégager d’une humanité qui le consternait. Mais l’écrivain normand était-il exclusivement un bloc de colère et de mépris ? En 1876, quand George Sand mourut, Flaubert s’apprêtait à publier Trois Contes. Le premier de ces contes s’appelle « Un cœur simple » : c’est l’histoire d’une servante dévouée pendant toute sa vie à la famille qui l’emploie. Une histoire « bête comme la vie », mais qui est l’un des chefs d’œuvre de Flaubert. La dernière lettre entre les deux écrivains, en bas de page, montre, comme un symbole, que George Sand aura malgré tout exercé par son exemple une influence -lumineuse – sur l’œuvre de Flaubert.

« Faut pas être malade, faut pas être grognon, mon vieux chéri troubadour. Il faut tousser, moucher, guérir, dire que la France est folle, l’humanité bête, et que nous sommes des animaux mal finis ; et il faut s’aimer quand même, soi, son espèce, ses amis surtout. […] La vie à plusieurs chasse la réflexion. Tu es trop seul. Dépêche-toi de venir te faire aimer chez nous. »

Lettre de George Sand, 18 janvier 1873

« Vous verrez par mon Histoire d’un cœur simple où vous reconnaîtrez votre influence immédiate que je ne suis pas si entêté que vous le croyez. Je crois que la tendance morale, ou plutôt le dessous humain de cette petite œuvre vous sera agréable !
Adieu, chère bon maître. Amitiés aux vôtres.
Je vous embrasse bien tendrement.
Votre vieux
Gve Flaubert »

Lettre de Gustave Flaubert, 29 mai 1876

Cette dernière lettre restera sans réponse : George Sand meurt 10 jours plus tard, le 8 juin 1876.

Pour approfondir : 

  • Flaubert, sur Littératurefrançaise.net
  • George Sand, sur Littératurefrançaise.net. Sur cet espace, vous pourrez découvrir plus d'extraits de leur correspondance.
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