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Episode 4 - Un endroit pour se reposer

Episode 4 - Un endroit pour se reposer

Publié le 2 mai 2022 Mis à jour le 2 mai 2022 Culture
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Episode 4 - Un endroit pour se reposer

                                  

Dominée par les monts Elixirus, la forêt de Sambuccalia s’étale sur plusieurs kilomètres entre deux villages. Elle est réputée pour ses bois touffus aux feuillages particuliers : couleurs aux camaïeux de pourpre et verts du plus clair au plus profond.  La sensation d’enfermement et les sons divers distillés en continu par les animaux, les végétaux et l’eau, surgissant de nulle part en nappes sombres ou cascadant sur les galets polis, surprennent le marcheur téméraire Les inflorescences ont des parfums enivrants et le malheureux visiteur sombre rapidement dans un état léthargique et onirique, parfois ne revenant pas de son périple. Ces manifestations ont lieu régulièrement, callées sur certaines phases de la Lune.

Toutefois, Emma vit au cœur de cette forêt depuis maintes années. Dans sa solitude présumée, elle semble en osmose avec cet environnement.

Bâtarde d’un seigneur, orpheline de sa mère morte en couches, elle a été élevée par sa grand-mère. C’était une femme libre et instruite, dont l’idéologie et la façon de vivre se rapprochait des béguines. Elle a remarqué très tôt les dons de sa petite-fille et lui a transmis les connaissances nécessaires pour vivre en synergie avec la Nature et soigner son prochain.

Mariée très jeune, soupçonnée de sorcellerie, épargnée des flammes par la convoitise d’un homme influent, Emma a assisté, impuissante malgré ses dons, à la mort atroce de son seul amour. Depuis, accablée de chagrin et avide d'une vengeance opportune, elle s’est retirée au bord d’une clairière, dans une petite maison de pierres où elle reçoit, accouche et soigne des femmes en détresse. La porte est toujours ouverte pour celle qui brave cette forêt réputée maudite.

Dans la maisonnette, une odeur de plantes séchées se mêle à celle du bois sec et forme un cocon apaisant.  Malgré la pénombre, une prunelle curieuse peut entrevoir sur la longue table divers pots de terre, des pilons et mortiers éparpillés. Une bougie se consume lentement dans un coin, entourée par la lumière douce des premières fleurs du printemps. Jaune tendre, blanc virginal et vert acidulé des feuilles forment une couronne protectrice sur le vieux meuble en noyer. Au fond de la pièce, sur tout un pan de mur, des étagères soutiennent des pots en porcelaine semblables à ceux des apothicaires.

Couché en rond dans une panière, près de la petite cheminée, un chat au pelage couleur de cendres guette d’un œil. Une silhouette menue, drapée dans des vêtements de toile brute et sombre écrase entre ses mains décharnées par des années de nourriture frugale, des végétaux odorants qu’elle dépose ensuite dans un mortier.

Emma est concentrée sur ses préparations médicinales.

Soudain, elle perçoit un léger bruit à l’extérieur, puis une infime odeur humaine inconnue s’infiltre dans la pièce. Des formes aux contours féminins se profilent sur le chemin. Intriguée, Emma cesse son ouvrage, va se poster en boitillant sur le pas de sa porte, observe deux femmes se diriger vers elle. Leur démarche est lourde, lente, accusant une légère boiterie. Elle discerne divers indices ténus d’une fatigue extrême causée par une longue marche sur des sols irréguliers, par temps frais. Leurs chaussures puis le bas de leurs vêtements maculés de boue et parsemés de brindilles n’échappent pas à son coup d’œil exercé. Les deux voyageuses ont les joues trop creuses, le regard trop las, souligné de cernes.  Manifestations involontaires de l’intensité de leur épuisement.

« - Bienvenue, mes dames. Entrez!

- Bonjour madame, merci. » répondent en chœur les deux voyageuses d’une voix à peine audible.

La plus jeune attire plus particulièrement l’attention. Son allure trahit son état : dans quelques lunes, elle devra enfanter. Malgré l’arrangement des plis de la large jupe, la guérisseuse décèle le ventre déformé. Cette femme a enduré plusieurs accouchements.

D’un regard elle a aussi compris qu’elle s’est échappée du carcan de la noblesse, trahie par ses mains longues et fines, sa peau pâle et son maintien altier.

Epuisée par la longue marche, les nuits au sommeil perturbé et les nausées elle s’appuie sur le chambranle de la porte.  Une fine pellicule de sueur perle sur son front. Doucement mais avec fermeté, Emma passe un bras autour de sa taille, l’installe dans une alcôve sommaire. Une épaisse couche de paille pour s’allonger et une couverture de laine au tissage grossier pour envelopper le corps exténué.

Dans les yeux emplis de larmes la devineresse discerne le poids d’une terrible décision, la sensation d’être une plume charriée par le vent, tombant en virevoltant dans une danse macabre, descendant toujours plus profondément dans un puits de suppositions et terreurs. Emma pose une main maternelle sur l’épaule de la visiteuse, saisi sa main gauche qu’elle retourne. Pensive elle scrute la paume, suit le sillon de la ligne de vie puis la ligne de cœur, hoche la tête.

« Repose-toi, nous avons du temps, nous prendrons le temps. » murmure doucement la guérisseuse.

La jeune femme s’endort, emportée par un sommeil profond.

Emma réprime un soupir de rage. Elle connait trop bien ce qu’endurent les femmes indépendamment de leur condition sociale. Elles sont vouées au mariage et au prolongement de la lignée. Point d’attachement possible. L’enfant leur est souvent enlevé et allaité par une jeune nourrice, parfois fautive, dont la survie dépend de sa capacité à nourrir deux enfants.

Lorsqu’elle se relève Emma croise le regard de l’autre déserteuse. Elle semble plus aguerrie aux aléas de la vie. Dans ses yeux brille une flamme intrépide. Ni noble ni paysanne, elle semble être la confidente et, dans cette aventure, l’ange gardien de la première.

Emma devine au plissement et au mouvement rapide de bas en haut des yeux la curiosité dont sa silhouette de petite femme vêtue de noir est l'invariable objet. Elle sait trop ce que sa posture un peu penchée, comme un arbre qui aurait souffert de vents violents et se serait construit malgré tous les aléas d’un climat rude et hostile inspire. Elle n'ignore pas que son regard très vert et perçant dans lequel il est impossible de pénétrer attire l’attention. Il évoque une forêt sombre, protectrice, l’acuité d’un aigle et l’enveloppe d’une chrysalide. Emma sourit. La chaleur de son sourire engageant irradie tout son visage, donne immédiatement une sensation de bienveillance, d’écoute et de respect.

« - Je suis Emma.

-Je m’appelle Marianne, et ma maîtresse,  Eliane » articule doucement la femme.

Emma invite la visiteuse d’un geste engageant à s’asseoir sur le banc près de la longue table en noyer et fait chauffer de l’eau dans un petit chaudron, disperse diverses herbes séchées. Aussitôt une odeur agréable et légèrement soporifique envahit la pièce.

« Dites -moi un peu le sujet de votre visite. Ici, vous êtes en sécurité. Les murs sont sourds et l’air qui nous entoure ne dispersera pas vos paroles. »

La réponse sera pour une autre fois, la seconde fugitive s’est endormie, ses longs cheveux libérés de la coiffe   paysanne étalés sur la table.

«Ces femmes ont besoin de repos. Elles fuient un destin qui ne leur convient pas, prêtes à affronter les dangers de l’exil pour vivre. J’ignore ce qu’elles ont sacrifié mais je pressens une immense douleur pour l’une d’elle», pense Emma en refermant la porte sur le sommeil de ses réfugiées, avant de partir pour une cueillette dans la forêt.

par Ysa Lapiert

 

 

                                  

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