Episode 2 - Un si long chemin
Sur Panodyssey, tu peux lire 10 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 9 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
Episode 2 - Un si long chemin
Episode écrit par Alicia Bouffay https://panodyssey.com/fr/user/alicia-bouffay-w7kb
Le cul posé sur sa monture, la chevaleresse avançait à petit trot. Alba doutait. Ce soleil tapant, ces grands pommiers qui ombrageaient son parcours. La nature, le climat avaient bien changé en quelques semaines de voyage. A tel point qu’elle se demandait si elle ne s’était pas trompée de direction. Coco, son beau palefroi au pelage roux, souffla fort. Alba tapota son cou, entortilla une mèche de sa crinière autour de son index, geste rassurant pour l’animal et la cavalière.
Avant le virage, elle se disait : “tu y verras plus clair”. Et puis le virage arrivait, un chemin long, droit, monotone apparaissait, toujours le même, sans signe d’arrivée, d’objectif atteint, de résolution de quête ou de solution au problème.
C’était d'un ennui ! Alors Alba rêvassait. Ressassait ses dernières aventures. L'armée qu'elle avait essayé de diriger, sa garnison laissée bien loin, dans un grand champ de blé. Elle pensait au magicien qu'elle avait rencontré. Un gaillard barbu et chevelu qui concoctait des potions dans son chaudron. Le type lui avait parlé d'un dragon. Un monstre, cracheur de chardons les jours grognons et de jasmin par clair matin. "Une histoire si délicate ne peut qu'être la réalité" pensait la jeune fille.
Alba aimait les belles histoires. Peut-être parce qu'elle lisait beaucoup. Elle écrivait aussi elle-même. La chevaleresse avait d'ailleurs rédigé elle-même sa devise. Un petit texte qu'elle avait bricolé à partir de ses lectures, de ses convictions, ses idées. Elle aimait bien la façon dont les mots sonnaient.
"Pas de vengeance, pas de vaine colère.
Honneur et humilité.
Défendre et protéger."
Que la chevaleresse semblait petite sur son cheval, inoffensive dans son armure trop grande. Son écuyer, un garçon deux ans plus âgé, l'avait surnommée "la fourmi". Minuscule mais déterminée.
Et puis, au détour d’un énième virage, il se passa enfin quelque chose. La fourmi (puisque c'était son surnom) crût d’abord à un mirage. Un groupe d’hommes au loin. Des soldats ! Les siens ?
Non, des combattants d'une autre contrée. Ils marchaient en cadence. Avançaient avec méthode. Elle les imagina mâchoires serrées et sourcils froncés. Rien à voir avec sa garnison enthousiaste et brouillonne.
A la tête du bataillon, une silhouette se découpait. Une longue chevelure tombant dans le bas du dos. Des cheveux couleur de feu. De longues mèches volaient dans l’air sec et chaud. Dans la lumière éclatante, la tête se détourna, aperçu notre jeune guerrière et son cheval. Le chef était une femme.
Un mot se forma immédiatement dans l'esprit de la chevaleresse. Fort, évident, implacable : beauté. Alba ne vit d’abord que ça. Une poitrine généreuse dont on voyait la naissance, des hanches larges. Une armure brillante et colorée comme une robe de gala. Précieuse, sur mesure, mettant en valeur son corps divin. La cheffe de guerre devait être fière de ses formes. Et aussi, un air buté. Quelque chose comme de la morgue.
Le bataillon avait avancé, menaçant. Alba ne bougea pas. Fascinée, hypnotisée, sidérée. La femme était si proche désormais qu’elle pouvait entendre sa respiration, forte, bruyante. Pouvait voir ses narines frémissantes. Elle avait en face d'elle une combattante solide, entière, tendue comme un roc.
Une pomme atterrit avec fracas au sol, près des sabots du cheval de la cheffe de guerre. Cette dernière l'avait balancé là, son canasson l'écrasa. Alba y vit un geste d'avertissement, de menace. La femme la toisa. Un regard d'une grave intensité, d'une sévérité rare. Ce regard semblait dire :
“Passes ton chemin, fillette. Rentre à la maison”
La chevaleresse fit craquer ses doigts, saisit sa lance, hurla à s’en décrocher la mâchoire, à s’en briser la voix. Effraya son cheval qu’elle sentit se tendre entre ses cuisses.
En s’élançant, solitaire, petit insecte face à la troupe d’hommes menée par la flamboyante combattante, elle cria ceci :
“Fillette toi-même”.