Retour au Bercail
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Retour au Bercail
Elle avait laissé sa voiture un peu en contrebas, le long de la falaise surplombant la mer turquoise et quelques pins parasols et avait couru tout le long du chemin, s’arrêtant parfois pour reprendre son souffle, penchée en avant, les mains sur les genoux, se répétant qu’elle devrait vraiment se mettre au sport !
Ses longs cheveux bruns se balançaient au rythme de ses pas rapides, frôlant ses épaules, et quand le mistral s’amusait à souffler une petite bourrasque, la fine chevelure, affolée, lui masquait le visage. Elle la balayait alors d’une main quelque peu énervée, regrettant de ne pas avoir un élastique ou une barrette pour discipliner cette toison dont elle était pourtant fière habituellement.
Un jardin verdoyant et fleuri
Elle arriva enfin en haut du chemin. C’était la dernière maison, tout au bout de la route, et elle aperçut le grand portail doré, majestueux, aux formes d’un autre temps. En l’ouvrant, elle eut le sentiment de pénétrer dans le jardin d’Alice au pays des merveilles. De magnifiques roses grimpantes s’accrochaient légèrement aux grilles du portail, comme pour accueillir le visiteur. Elle s’arrêta un instant à l’entrée et posa sa main sur l’une des portes, comme prise d’un vertige, contemplant la vue qui s’étendait devant ses yeux admiratifs, et reprenant son souffle dans le même temps.
Le paysage qui se dévoilait face à elle n’était que couleurs et lumières. Le soleil du printemps, déjà bien vaillant dans cette contrée méditerranéenne, embrasait le jardin chamarré, dissipant un effet chatoyant sur chaque fleur, chaque feuille, chaque arbre. La pelouse était verdoyante : l’été brûlerait ses brins fins et fragiles qui se dessécheront et deviendront bientôt comme de la paille. Mais en ce jour, elle était encore vigoureuse, d’un vert pétillant, et se dressait fièrement secouée par la brise. Il n’était que dix heures du matin et l’on pouvait sentir le parfum de la rosée.
La maison de son enfance
Elle se décida à pénétrer dans cet antre merveilleux, silencieux, presque intimidant et elle poursuivit son chemin, doucement cette fois, se dirigeant vers la demeure : une superbe bâtisse de brique rouge et de bois, à la façade imposante, couverte de multiples fenêtres et balcons, laissant imaginer un cocon luxueux et calme à la fois.
C’était la résidence familiale, la maison de son enfance, imprégnée de mille souvenirs, la plupart joyeux, car nous savons bien que notre esprit enjolive notre mémoire. Du moins, lorsque nous avons été heureux, tout nous semble avoir été plus beau, plus intense… avant.
L’être humain est ainsi
Nous nous rappelons les repas en famille, les fêtes d’anniversaire, les pique-niques du dimanche, la visite des petits cousins, les jeux de société au coin du feu… À l’instant où nous vivions ces moments, ils nous paraissaient futiles, habituels. Ils nous appartenaient et nous décidions parfois de les gâcher par quelques disputes ridicules ou jalousies déplacées.
Nos parents trouvaient toujours à redire sur notre éducation, sur notre peu d’intérêt aux travaux ménagers, tels que le rangement de nos chambres, ou encore sur notre manque d’assiduité pour les études. Et puis un jour, les enfants quittent le nid, s’envolant de leurs propres ailes. La métaphore est facile et bien connue. Il n’en reste pas moins que les parents se remémorent alors tous ces instants familiaux et la moindre minute écoulée avec son enfant, blottis simplement l’un contre l’autre sur le canapé, sous le plaid, à ne rien faire, revient à leur esprit, pareil à un rêve du passé.
Nous sommes conscients que ces moments étaient fugaces et nous regrettons de ne pas avoir profité de l’instant présent, de chaque minute, chaque seconde de notre existence, comme si c’était la dernière. Il est très difficile d’admettre qu’une période passée est une époque systématiquement révolue, que nous aurons beau reproduire l’environnement du souvenir, le menu du repas, les décorations de Noël, bref les traditions familiales, nous grandissons chaque jour et tous ces instants sont éphémères et disparus à jamais.
C’est aussi pour cela qu’elle était à la fois pressée et intimidée, arrivée sur le perron de la maison, hésitant à appuyer sur la sonnette ; cela faisait tellement longtemps. Retrouverait-elle ces chaleureux moments familiaux ? Redécouvrirait-elle le plaisir de ces échanges du passé ?
La porte s’ouvrit doucement. Son père et sa mère, étonnés, mais souriants, la regardaient avec amour, lui sembla-t-il. D’un même élan, ils s’exclamèrent :
- Ah ma chérie ! Quel bonheur que tu sois là ! Entre vite !
Alors elle se précipita dans leurs bras, riant et pleurant à la fois, toute à la joie de ces retrouvailles. Elle savait qu’elle repartirait, mais pendant les quelques jours qu’elle passerait avec ses parents, elle profiterait de chaque instant… Et elle se créerait de nouveaux souvenirs qui deviendront des rêves inaccessibles, mais tellement plaisants à se remémorer…
Crédit photo de l'image en titre : ClaraundBen